Revue de presse

L’arrêt de la la Cour européenne sur le voile intégral peut ouvrir la voie à l’interdiction du burkini (G. Chevrier, atlantico.fr , 18 juil. 17)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, formateur et chargé d’enseignement à l’université, ancien membre de la mission Laïcité au Haut Conseil à l’Intégration. 20 juillet 2017

"La CEDH a rendu son arrêt sur l’interdiction du niqab en Belgique. Cet arrêt pose des questions sur le traitement de la religion en Europe occidentale par les pouvoirs publics. La place de la laïcité est encore ténue.

L’ "Arrêt Dakir c. Belgique", de la Cour européenne des droits de l’homme, confirmant l‘interdiction du port du voile intégral dans ce pays, vient d’apporter (Communiqué de presse de la CEDH du 11/07/20171) un nouvel éclairage sur les motifs pouvant justifier des restrictions au port de signes religieux ostensibles. Un arrêt qui est à lire dans le détail, car les arguments qu’il avance pourraient bien résonner jusqu’au débat sur l’interdiction du burkini en France.

La CEDH prend de mieux en mieux en compte les manifestations ostensibles de signes religieux qui posent problème aux sociétés démocratiques.

L’affaire en cause

L’affaire concerne une disposition réglementaire adoptée en juin 2008 par trois communes belges (Pepinster, Dison et Verviers) relative à l’interdiction de porter une tenue vestimentaire dissimulant le visage des personnes dans leur espace public.

En août 2008, Mme Dakir, qui se déclare de confession musulmane et qui indique avoir pris de sa propre initiative la décision de porter le niqab – voile couvrant le visage à l’exception des yeux – introduisit un recours en annulation de l’article en question devant le Conseil d’État belge. Elle soutenait, entre autres, que cette disposition visait expressément le voile islamique qu’elle portait et que l’interdiction qui en résultait était constitutive d’une ingérence dans ses droits garantis par les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), 9 (droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion), 10 (liberté d’expression), pris isolément et combinés avec l’article 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle estimait également que l’ingérence ne poursuivait pas un but légitime dans la mesure où le principe de laïcité n’était pas un principe constitutionnel en Belgique (sic !) et que le port du voile ne pouvait être interdit de manière générale. En juin 2011, le Conseil d’État rejeta ce recours pour non-respect d’une condition de recevabilité qu’il souleva d’office. En conséquence, elle introduisit une requête dans le même sens devant la Cour européenne des droits de l’homme le 22 décembre 2011.

Précisons que ce litige intervient, alors qu’une loi a été adoptée en Belgique, promulguée le 1er juin 2011, interdisant tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage. Qu’outre une amende de 120 à 200 euros, la loi prévoit pour les contrevenants une peine d’emprisonnement d’un à sept jour.

Un jugement sur le fond qui pose le principe de la supériorité des choix de société sur les particularismes

Sur le fond, la Cour juge en particulier que l’interdiction posée peut passer pour proportionnée au but poursuivi, à savoir, la préservation des conditions du « vivre ensemble » en tant qu’élément de la « protection des droits et libertés d’autrui », tel que cela avait déjà été évoqué dans l’arrêt concernant la loi française d’interdiction de la dissimulation du visage dans l‘espace public, du 11 octobre 2010. Elle juge donc que la restriction en question peut passer pour « nécessaire », « dans une société démocratique », et ainsi, que la question de l’acception ou non du port du voile intégral dans l’espace public belge constitue « un choix de société ». Autrement dit, lorsqu’une religion remet en cause par ses manifestations les règles de la vie sociale établies par un Etat démocratique, ce sont ces règles représentées par l’Etat, et donc l’intérêt général, qui prévalent sur les particularismes. Plus encore, dans l’argumentaire retenu par la CEDH, celle-ci précise : « en l’espèce, l’État belge a entendu, en adoptant les dispositions litigieuses, répondre à une pratique qu’il jugeait incompatible, dans la société belge, avec les modalités de communication sociale et plus généralement l’établissement de rapports humains indispensables à la vie en société. Il s’agissait de protéger une modalité d’interaction entre les individus essentielle, pour l’État, au fonctionnement d’une société démocratique. »
Il ressort de cela l’idée d’acquis de la société démocratique, et que de les défendre en interdisant le port du voile intégral, est, au contraire de ce que prétend la requérante, non pas porter atteinte aux droits de l’Homme, mais les défendre.

La Cour dans son jugement fait état des éléments suivants relatifs à la loi belge d’interdiction du port du voile intégral : « Les auteurs de la proposition de loi entendaient souscrire à un modèle de société faisant prévaloir l’individu sur ses attaches culturelles, philosophiques ou religieuses. » C’est ainsi qu’ils préconisaient l’interdiction en cause, « sur le fait qu’elle ne reposait pas seulement sur des considérations d’ordre public mais plus fondamentalement sur des considérations sociales (…) indispensables au "vivre ensemble" dans une société émancipatrice et protectrice des droits de tous et de chacun. » Ceci, « en vue de favoriser l’intégration de tous et faire en sorte que les citoyens partagent un patrimoine commun de valeurs fondamentales que sont le droit à la vie, le droit à la liberté de conscience, la démocratie, l’égalité de l’homme et de la femme ou encore la séparation de l’Église et de l’État. »

Un rôle des Etats prépondérant dans les choix de société qui garantissent l’accès à un ensemble de droits universels

Evidemment, la requérante pour se poser en victime fera appel à un contexte qui serait « caractérisé par un niveau élevé d’hostilité à l‘égard des musulmans ». Elle avancera qu’ « il devient difficile de faire la part des choses entre des mesures prises de bonne foi dans l’intérêt général et le harcèlement de minorités impopulaires destiné à plaire aux sentiments intolérants d’une majorité », se considérant comme stigmatisée et potentiellement discriminée, ceci augmentant selon elle, « les risques pesant déjà sur les musulmans du fait du climat islamophobe ».
Mais à aucun moment elle ne se posera la question de savoir si cette interdiction ne vient pas tout simplement répondre à un rejet de sa part de la société dans laquelle elle dit vouloir vivre, et dont les fondements sont totalement contraires à ce que signifie, comme forme de soumission archaïque à une forme de pensée religieuse qui discrimine les femmes, niqab et burqa.

Le gouvernement belge fonde sa défense de l‘interdiction du voile intégral sur la loi du 1er juin 2011, en expliquant qu’elle a été précédée d’une réflexion plus générale et d’un débat démocratique au sein des institutions. Il souligne qu’il n’appartient pas aux individus de s’arroger, à la faveur de leurs libertés individuelle ou religieuse, le pouvoir de décider quand ils accepteraient de se découvrir dans l’espace public. « L’appréciation des exigences de la sécurité publique doit nécessairement être déléguée à l’autorité publique. » Si le gouvernement n’entend pas porter de jugement de valeur sur l’égalité et la dignité concernant le voile intégral, considérant dans l‘absolu le droit à la liberté de choisir sa tenue, pour autant, il considère que, si « la notion de dignité de la tenue vestimentaire peut être subjective, plus une société est multiculturelle et plus coexistent des formes de convictions religieuses et des formes d’usages culturels, plus les personnes doivent veiller à ne pas s’afficher de manière ostentatoire sur la voie publique. Force est de constater que les codes vestimentaires sont le produit d’un consensus sociétal et le fruit d’un compromis entre les libertés individuelles et les codes d’interaction en société, et que les personnes qui portent un vêtement dissimulant leur visage donnent aux autres le signal qu’elles ne veulent pas participer de manière active à la société alors que l’une des valeurs qui constituent les bases du fonctionnement de la société démocratique est qu’un échange actif entre les individus soit possible. » On notera au passage là, le simple exposé pertinent d’éléments de sociologie.

La Cour précise dans ce sens que, « grâce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les autorités de l’État se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour évaluer les besoins et le contexte locaux. Lorsque des questions de politique générale sont en jeu, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans un État démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national. S’agissant de l’article 9 de la Convention, il convient, en principe, de reconnaître à l’État une ample marge d’appréciation pour décider si et dans quelle mesure une restriction au droit de manifester sa religion ou ses convictions est "nécessaire". »
On voit là renforcé le rôle des Etats dans leur capacité à protéger les droits et libertés de tous, y compris si nécessaire en restreignant les manifestations religieuses. C’est donc le principe d’égalité de traitement des individus devant la loi qui est ici retenu, mis en exergue, comme principe démocratique, et non le principe de non-discrimination, c’est-à-dire de l’égalité de traitement des différences. L’air de rien, c’est une sévère critique indirecte du multiculturalisme, qui sévit comme modèle d’organisation sociale au Royaume-Uni et en Allemagne.

De l’arrêt Dakir au débat sur le burkini, les mêmes enjeux de liberté et de « vivre-ensemble », de choix de société.

L’arrêt Dakir renforce la laïcité et sa portée

On voit dans les arguments retenus par cet arrêt de la CEDH, clairement exposée l’idée selon laquelle les droits et libertés individuels universels sont supérieurs aux différences et diverses attaches qui s’y réfèrent. Une avancée dont il faut mesurer toutes les conséquences dans le prolongement d’une laïcité française, qui porte précisément au-dessus des différences, ces biens communs cités par l’arrêt, au cœur desquels se trouve la citoyenneté. Des acquis communs qui finiraient par se lézarder si on laissait les individualités disparaitre derrière des communautés tournant au communautarisme, avec leur fonctionnement clanique. On voit bien ici ce qui est questionné, le danger du communautarisme, dont le voile intégral n’est que la partie la plus visible. C’est ce communautarisme qui tend à séparer, par le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance, une partie de nos concitoyens du reste de la société, en faisant adopter par ceux qui s’y soumettent, des comportements de plus en pus en rupture avec nos normes et valeurs communes.
Le burkini en est une des manifestations, qui jette le trouble sur des plages où l’acquis de l’égalité hommes/femmes tout particulièrement s’exprime, ce n’est pas là un hasard. Il en va d’un combat idéologique religieux qui s’oppose à nos choix de société, qui entend les remettre en cause avec l’égalité hommes/femmes. On sait combien pour les religions, la soumission des femmes à un ordre patriarcal venu du fond des âges, est la garantie de leur pérennisation. En attribuant aux hommes un statut de domination sur l’autre sexe, elles instaurent un ordre des choses, qu’ils ont ainsi tout intérêt à maintenir.

Dans l’exposé des débats précédant l‘arrêt, il est décrit que l’objectif poursuivi par la loi d’interdiction de porter le voile intégral en Belgique est « de protéger les femmes contre l’oppression culturelle masculine et à assurer leur dignité ». Mais précisément, le burkini qui n’a rien à voir avec une prescription religieuse quelconque, comme le voile intégral, et qui est donc une innovation qui vise à distinguer sur les plages les femmes musulmanes soumises à un ordre religieux qui veut que, elles seules se trouvent en situation de devoir ainsi restreindre leur liberté de découvrir leur corps au regard d‘hommes qui, eux, en ont toute liberté, n’est-il pas sans ambiguïté discriminatoire ? Ne constitue-t-il pas dans ces conditions une manifestation de la domination masculine et une atteinte à la dignité de ces femmes ? N’est-ce pas aussi ainsi, porter atteinte aux droits des femmes en général, et donc à ce qui caractérise le mode vie dans une société démocratique ? D’autant plus que cela ne concerne pas simplement une femme de temps à autre mais des centaines, voire des milliers de femmes, comme ce fut le cas sur les plages, de Marseille à Nice l’été 2016, et donc relève d’un groupe de pression religieux sur les libertés d’autrui, et spécialement des autres femmes. Ceci allant bien plus loin que le recours au simple motif de « trouble à l’ordre public », jusqu’à la « protection des droits et libertés d’autrui » ! L’Etat dans cette affaire, n’a-t-il pas là à prendre ses responsabilités, si on suit les délibérations de l’arrêt Dakir ?

S’il fallait le confirmer, c’est le milliardaire algérien Rachid Nekkaz, connu pour ses positions islamistes, qui règle les amendes de femmes contrevenantes à la loi française du 11 octobre 2010, qui a tenté d’organiser en marge du dernier festival de Cannes, « un rassemblement de femmes en burkini bleu-blanc-rouge », interdit par la préfecture de police pour risques de troubles à l‘ordre public. On voit très bien à quoi sert le burkini, tout en créant un amalgame déplorable avec l’ensemble des musulmans.

L’interdiction du burkini, ne passerait-elle pas ainsi pour « proportionnée au but poursuivi » à savoir, la préservation des conditions du « vivre-ensemble » ? C’est même d’autant plus vrai que le burkini est la manifestation directe et volontaire d’un communautarisme religieux qui s’étend de plus en plus en France, à la faveur d’un laisser-faire, et qui constitue aux yeux du dernier rapport du Sénat sur la radicalisation le principal terreau de celle-ci. Laisser se développer ce genre de manifestation qui confine à la provocation au regard de nos valeurs démocratiques, est ainsi aussi le marqueur d’une évolution qui ne peut que poser à terme des problèmes de sécurité publique.

Des situations en France qu’il faut juridiquement garantir par la loi, ou nous nous en mordrons les doigts

L’année passée, ce sont 31 communes qui avaient, peu ou prou, pris un arrêté anti-burkini. Finalement, celui de Villeneuve-Loubet un peu emprunté, faisant appel à la « une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité », tant décrié, n’est aujourd’hui plus si ridicule au regard des arguments avancés dans l’arrêt de la CEDH. Car, en se référant au principe de laïcité, l’égalité entre tous, la commune n’entendait rien d’autre que la mise en cause de valeurs démocratiques fondant un mode vie commun, dont l’égalité hommes/femmes est bien considérée comme en faisant partie, par la Haute Cour.
Le Conseil d’Etat devrait sans doute plancher sur les termes de cet arrêt de la CEDH, qui avait pris dans la précipitation, une décision d’invalidation de cette interdiction, pour favoriser finalement une pratique aux mille dangers et profondément contraire aux fondements de notre conception de l’Homme, c’est-à-dire, des rapports égaux entre femmes et hommes, si difficilement acquis face à la religion et sa puissante Eglise catholique en France ! C’est par le religieux que l’inégalité entre hommes et femmes revient, rien de surprenant. Le Conseil d’Etat a donné à ce moment raison au Collectif contre l’islamophobie en France, cette organisation obscurantiste, qui rejette toutes les lois laïques de la République, prône le patriarcat religieux et milite pour le communautarisme, et donc la fermeture aux autres, la fin de tout mélange, fait procès sur procès aux intellectuels laïques. Cet organe de l’Etat n’est-il pas là pour défendre autre chose de notre société ?

Seule la commune de Sisco en Corse a vu son arrêté validé par la justice, il a fallu pour cela qu’une rixe éclate à propos d’un burkini, entre des villageois excédés, tel que le définit le parquet, par la tentative de « privatiser » la plage par « violence avec armes », et une famille « d’origine maghrébine », ce qui aurait provoqué des « tensions communautaires ». C’est la Ligue des droits de l’homme qui s’est une fois de plus illustrée en se trompant de combat, qui a tenté de faire suspendre par le tribunal administratif de Bastia l’arrêté d’interdiction du burkini pris légitimement par la commune. Le tribunal avait alors estimé que le port du burkini était « de nature à générer des risques avérés d’atteinte à l’ordre public qu’il appartient au maire de prévenir ». La LDH a interjeté appel de la décision auprès de la Cour administrative d’appel de Marseille qui a confirmé, le 3 juillet dernier, la décision du tribunal administratif de Bastia. Autrement dit, il faut attendre des violences pour que l’on puisse interdire le port d’une tenue qui ne peut que provoquer des problèmes, jeter le trouble. C’est donner aussi un bel exemple que l‘on peut faire tout et n’importe quoi en France au nom d’exhiber sa différence, quitte à nier ce sur quoi se fonde notre société, ses droits fondamentaux, notre contrat social.

Face à cette situation, la ville de Marseille, qui a vu se développer de façon importante les burkinis sur ses plages a pris un arrêté imposant « Le port d’une tenue de bain (…) obligatoire pour tous les baigneurs », précisant que la tenue ne « devra pas entraver l’aisance dans l‘eau et constituer un frein au sauvetage ». Une mesure qui existe déjà sur des bases de loisirs. Il est dommageable de prendre de tels arrêtés interdisant le burkini sans le nommer. Nous aurions mieux à faire en étant clairs à fixer les limites des manifestations religieuses par la loi, en rappelant nos valeurs et principes communs à l’ensemble de nos concitoyens et à toutes les familles. Ce qui constituerait sans doute un bien meilleur signe en faveur de l’intégration sociale et de l’éducation, que cette confusion dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, que met en relief avec force l’arrêt Dakir."

Lire "La CEDH valide l’interdiction du voile intégral en Belgique et ouvre la voie à celle du burkini en France".



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