Note de lecture

J. Macé-Scaron : La religion, un totalitarisme réussi ?

par Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République. 16 novembre 2016

Joseph Macé-Scaron, L’Horreur religieuse, Plon, nov. 2016, 192 p., 15,90 e.

Les religions sont-elles responsables des crimes commis en leur nom ? La question n’est pas nouvelle, que se pose immanquablement tout lecteur un peu critique des livres "sacrés", hantés de crimes, de guerres, de massacres, de fratricides, de violence, davantage que d’amour et d’amitié. Au-delà de leurs lectures ésotériques et spiritualistes, l’actualité nous rappelle à la réalité. La longue litanie des attentat barbares commis au nom de l’islamisme radical fait ressurgir la question : et si le ver était dans le fruit ? Ainsi s’interroge Joseph Macé-Scaron, président du comité éditorial de l’hebdomadaire Marianne, qui, dans son dernier ouvrage, L’Horreur religieuse, publié un an après l’horreur du Bataclan, pourfend les faux amis et les idiots utiles de la laïcité [1] et met en garde contre le retour des démons obscurantistes.

Alors qu’il n’est plus guère possible d’innocenter le nazisme de la solution finale ni le stalinisme de l’enfer du goulag, il demeure très politiquement incorrect de s’interroger sur la responsabilité des religions et sur le sens de leur retour en politique.

"La France est entrain de perdre la bataille face à l’horreur religieuse dont l’islamisme est l’avant-garde", écrit l’auteur. Qu’adviendrait-il si d’aventure les églises catholique ou évangélistes retrouvaient le pouvoir qu’elles ont perdu en Occident ? "Lorsqu’il est en mesure de le faire, le catholicisme n’hésite pas une seconde à imposer ses vérités : censure cinématographique, divorce, contrôle des naissances", écrit l’éditorialiste.

Alors, pourquoi ce déni de la responsabilité du religieux chez les nouveaux chevaliers de l’Apocalypse ? L’auteur rappelle le temps qu’il a fallu et les bégaiements sémantiques qui l’ont accompagné pour nommer clairement les assassins qui ont frappé sur notre sol. Il souligne les efforts médiatiques et politiques pour expliquer que chaque agression est "surement l’action d’un déséquilibré", souligner les "lacunes théologiques du tueur", marteler que "la religion n’a rien à voir dans cette affaire", affirmer que ces attentats, Charlie, hyper-casher "n’avaient rien à voir avec l’islam", même après que l’Etat islamique eut revendiqué l’attentat.

Les coups les plus rudes vinrent parfois d’horizons inattendus. "Nous avions pensé - un temps - que l’immense manifestation du 11 janvier, le plus grand rassemblement de citoyens depuis 1945, cette prodigieuse marée humaine, allait nettoyer ces écuries d’Augias idéologiques. Il n’en fut rien". Et cette France généreuse fut traitée de "revancharde", accusée de porter "un préjugé raciste", invitée à négocier un "accommodement " avec l’islam au nom d’une "laïcité de complaisance". Sous certaines plumes, la laïcité devint ainsi un "archaïsme désolant" qu’elles opposaient à la religion, "moderne et plus tolérante" ! Des plumes passées d’un absolutisme à l’autre, qui, pour certaines, n’avaient pas vu la trace de l’islamisme radical dès les origines de l’indépendance algérienne (voir l’excellent livre de Jean Birnbaum, Un silence religieux. La gauche face au djihadisme, Seuil [2]), de la révolution iranienne et plus récemment au coeur du mouvement palestinien dont le symbole, le "fameux keffieh" a été remplacé par le "fumeux hijab", constate l’auteur.

Ce qu’ils ne veulent pas voir, c’est qu’avec l’essentialisation des différences religieuses, c’est une machine de guerre contre l’universalisme républicain qui est à l’oeuvre. "Derrière les islamistes, en embuscade, se trouvent des gens beaucoup plus nombreux qui ont beaucoup plus de force, beaucoup plus de puissance et qui n’attendent qu’une chose, c’est que les musulmans fassent le sale travail pour pouvoir s’engouffrer dans la brèche", rappelle l’auteur, citant Charb, l’ancien directeur de Charlie Hebdo [3], assassiné en janvier 2015 (Charb, Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes, Les Echappés, 2015 [4]).

Ce retour du religieux est à l’oeuvre, désormais visible, partout. "Il a envahi notre quotidien et nous avons fini par accepter l’inacceptable. Voir l’exécutif se presser au Vatican pour une canonisation, des élus rompre le jeûne du ramadan, des ministres porter kippa en se rendant à des manifestations du Crif. Voir le ban et l’arrière-ban de la République regroupés sous les fourches gothiques de Notre-Dame pour écouter le sermon du cardinal de Paris, l’esprit de Torquemada, sans le souffle de Bossuet". Etre gavé aux journaux télévisés d’images sur les voyages du pape, mais quasi sevré d’informations sur les scandales financiers du Vatican et les crimes pédophiles.

Ce religieux s’invite à l’école. Ce n’est pourtant pas à elle de s’adapter aux minorités religieuses ! Comme il s’est invité dans la rue contre le mariage pour tous, dans le droit fil des débats posés par le foulard à l’école, la prière dans la rue, les repas dans les cantines, les programmes scolaires, l’apartheid sexuel dans les piscines publiques, le refus qu’une femme puisse être examinée par un médecin homme à l’hôpital public... poursuit le journaliste. Comme il s’invite, au-delà de l’Hexagone, aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne quand il s’agit de polygamie, de mariages forcés, du statut des femmes... En Italie dont le chef du gouvernement a fait recouvrir d’un voile pudique les statues de femmes dénudées du Capitole, à l’occasion d’une visite du chef de l’Etat iranien [5] !

Désormais, cette offensive du religieux se présente de plus en plus en force politique. Et tout cela sans que personne ne trouve rien à redire comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle du monde. Qu’importe que Kamel Daoud, l’écrivain algérien, soit contraint de vivre sous protection pour avoir dénoncé les agressions sexuelles de Cologne après avoir subi en contre-coup la violence verbale de la bien-pensance parisienne [6].

"Il y a bien longtemps que la religion n’a pas été à ce point au-devant de la scène, revisitant notre passé, écrasant notre présent, empoisonnant notre futur. La religion porte en elle désormais le fanatisme, l’obscurantisme, le dogmatisme. Elle redevient - mais a-t-elle cessé un instant de l’être - la première forme historique de totalitarisme réussi", écrit Macé-Scaron.

Pour autant, l’auteur ne jette pas le bébé avec l’eau du bain. Il n’attaque ni la foi, ni le croyant et s’interdit toute conclusion définitive sur le sujet. Pas question d’ abandonner la question du sens aux religions qui se donnent à voir en dépositaires universels de la spiritualité. "Comme si un infidèle était incapable de connaître l’éveil, l’émerveillement, le mystère ou la reconnaissance à travers l’art, l’amitié, la littérature, la musique, l’amour ou la nature faute d’avoir lu les textes sacrés. La prétention de s’élever des sommités religieuses est le plus souvent lesté par leur souci de préempter le pouvoir."

"Ce n’est pas le croyant mais la croyance, ce n’est pas le religieux mais la religion qui m’indispose. Ni les dieux, ni les fidèles ne me contrarient tant qu’ils ne décident pas de se regrouper en essaim et qu’ils n’ambitionnent pas de façonner nos identités et nos existences. J’ai souvent cru, moi aussi, croiser Dieu, ou peut-être son illusion, son apparence, ses traces." Au terme de ce périple politique et spirituel, par définition inachevé, sur les traces de Montaigne, Joseph Macé-Scaron nous invite à "construire une identité sans être assigné à résidence", à ne jamais refuser de nous servir de notre entendement et à se trouver une "communauté lorgnant vers l’universel".

Un ouvrage écrit d’une plume alerte, aux références précises, aux formules acérées, aux constats impertinents mais lucides, qui retentit comme un vibrant appel au réveil.

Patrick Kessel



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