Edito du Président

Charb, reviens, ils sont devenus fous ! (P. Kessel, 4 mai 15)

par Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République. 4 mai 2015

Charb, Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes, Les Echappés, 2015.

Salut Charb,

Ta Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes vient de nous parvenir comme une carte postale réconfortante. Ton message nous vivifie. Au lendemain de ton départ, curieusement il est apparu que tu n’avais que des amis. Même ceux qui, un temps, avaient brillé par leur absence quand tes amis de Charlie et toi aviez besoin de soutien après la publication des fameuses caricatures danoises, même ceux-là avaient compris qu’avec vos petits crayons et vos feutres impertinents, c’est le coeur des Lumières que vous défendiez.

Et puis, autant que tu le saches, après le sursaut pétri d’émotion du peuple et de ses élus, après la vague internationale de solidarité, au fil des jours, au coeur d’une confusion savamment entretenue, on a vu refleurir les discours compassionnels et culpabilisateurs.
Tout ça, tu l’avais un peu cherché avec tes copains ! On nous a donné à voir une nouvelle version de l’arroseur-arrosé. Les vraies victimes, ce n’étaient pas vous, tombés sous les balles de barbares mais ceux que vous aviez croqués avec vos caricatures impertinentes. Ce n’était pas l’intégrisme islamique mais votre liberté d’expression, un peu "trop", votre laïcité qu’il convenait de "moderniser", c’est à dire de vider de son contenu ! En quelques jours, le renforcement de la laïcité annoncée à renfort de grands discours avait laissé place à la chasse à l’islamophobie, nouveau crédo de la bienpensance !

Ta lettre arrive donc à temps, comme une piqûre de rappel à ces apprentis-sorciers qui, croyant lutter contre le racisme, nourrissent le communautarisme et, par réaction, la montée de l’extrême droite.

Petit à petit, le terme "islamophobie" remplace celui de racisme alors que lutter contre le racisme, c’est lutter contre tous les racismes, dis-tu. Là réside bien le piège tendu : faire passer le blasphème pour de l’islamophobie et l’islamophobie pour du racisme. Mais, comme tu le rappelles, la "race" islamique n’existe pas !
Y-a-t-il d’ailleurs des races ? [1] La science a établi que non. Des musulmans, il en est qui sont arabes, chiites ou sunnites, turcs, berbères, asiatiques, perses, slaves, mongols, chinois, indiens, pakistanais, africains, occidentaux et même américains du Nord comme du Sud ! Il en est des blancs, des noirs, des bruns, des jaunes, des qui sont pratiquants et d’autres non, des hétéro et des homo, des modernes et des traditionalistes, des cultivés, ouverts au monde et d’autres sectaires et ignorants.
C’est bien ce qui déplait aux intégristes qui n’aiment leurs peuples qu’à condition qu’ils marchent au pas et pensent en rond. Ce n’est pas vraiment nouveau ! Les crimes des islamistes d’aujourd’hui ne sont pas étrangers à ceux des Croisades et aux bûchers de l’Inquisition d’hier.

Mais, ce qui t’agace le plus, c’est la condescendance de certaines de nos élites, la complicité souvent imbécile de certains de nos médias partis en chasse contre l’islamophobie. Pourquoi serait-il louable de railler les idéologies, d’affubler Marx d’un nez de clown et criminel de blasphémer ? Faudrait-il considérer toute critique du communisme comme communistophobe et réclamer leur condamnation pour racisme anticommuniste, écris-tu ? La liberté d’expression aurait-elle ses bons et ses mauvais sujets ?

Mais ceux qui t’exaspèrent plus encore, ce sont ces politiques qui voient des musulmans là où il faudrait voir des citoyens. Qui flattent, accommodent, composent, en espérant récupérer le vote musulman. Alors là, tu vitupères. Ce serait, dis-tu, penser que la majorité des musulmans ne déterminerait pas leur vote en fonction des idées politiques, des candidats mais en fonction du degré de sympathie que ces derniers témoignent aux musulmans. Ce serait tout simplement prendre les musulmans pour des cons. Ce serait oublier que les musulmans, en France, ne demandent rien d’autre que d’être traités comme des citoyens.

En vertu de quelle théorie tordue l’humour serait-il moins compatible avec l’islam qu’avec n’importe quelle autre religion ? demandes-tu. Il serait temps d’en finir avec ce "paternalisme dégueulasse de l’intellectuel bourgeois blanc" qui s’adresse ainsi aux musulmans comme à des enfants ou à des attardés. Paradoxalement, c’est exactement la démarche des colonialistes qui s’adressaient aux colonisés comme à des arriérés. Lutter contre le racisme c’est parler à l’autre, si différent puisse-t-il être, comme à son égal et non comme à un pauvre malheureux, un étranger, qui ne pourrait rien comprendre à la liberté, à l’égalité, à la laïcité. La compassion peut-être le meilleur ennemi de la Fraternité. Comme le communautarisme est celui de la citoyenneté.

Mais tu vois Charb, au-delà de ces prétextes de circonstance, sous la réaction anti-Charlie, ce sont encore souvent les mêmes qui sont à la manoeuvre pour affaiblir la laïcité, revenir sur la Loi de séparation des églises et de l’Etat et celle sur les signes religieux à l’école. Qui nourrissent la culpabilité bienveillante, laquelle débouche, ici et maintenant sur l’autocensure, la peur d’appeler les choses par leur nom, la censure de pièces de théâtres, d’expositions, de films, de publications, de caricatures, le politiquement correct, c’est à dire la résignation et, par contre-coup, la montée de l’extrême droite qui n’a pas d’état d’âme à détourner la laïcité. Ceux-là au fond n’aiment pas la République. Ce que tu résumais de façon lapidaire en dessinant pour la couverture de mon dernier livre un petit bonhomme en chemise brune, défilant au pas de l’oie, bonnet phrygien au bout d’’une pique !

Bon, cela ne doit pas nous empêcher d’espérer et de rire. L’humour n’est pas un luxe superfétatoire, c’est souvent le début de la prise de conscience.

J’ai d’ailleurs reçu une lettre de François. Pas Mitterrand, l’autre, Rabelais. Tu sais me rappelle-t-il, le rire est le propre de l’homme. Profitons-en avant qu’on ne l’interdise !

Bon, ton petit livre nous fait du bien. Tu nous manques. On a besoin de toi, ils sont devenus fous.

Patrick Kessel
président du Comité Laïcité République


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