Débats laïques

G. Delfau : "Des signaux inquiétants" (debatslaiques.fr , 9 jan. 18)

Gérard Delfau, ancien sénateur, fondateur d’Egale (Egalité Laïcité Europe), directeur de la collection Débats laïques (L’Harmattan). 10 janvier 2018

"Ce n’est pas encore une attaque frontale contre la laïcité qui se dessine au sommet de l’État, en ce début d’année, mais déjà se multiplient les signaux inquiétants.

L’absence de toute parole officielle à l’occasion du 9 décembre, date anniversaire de la loi de 1905, nous avait alertés. En ce début janvier, la réception à l’Élysée des « représentants des cultes » ès qualités, une première à ma connaissance depuis la Ve République, confirme ce glissement. Et la présence du ministre de l’Intérieur, comme « représentant du Président », à une cérémonie religieuse, à Notre-Dame, à l’occasion de l’intronisation du nouvel archevêque de Paris, accentue ce changement d’attitude par rapport au quinquennat de François Hollande. Dans chacune de ces circonstances, la République n’est plus « laïque », au sens juridique et historique du terme. La stricte neutralité, qui doit prévaloir entre le pouvoir politique et les dignitaires religieux, s’efface au profit de ces derniers, à qui, dès lors, est reconnue une place à part, et donc un privilège, dans le fonctionnement des institutions.

Nous glissons vers une forme de conception concordataire des rapports entre État et religion, à laquelle les lois Ferry-Goblet sur l’école, et la loi de Séparation, en 1905, confirmées depuis par toute une jurisprudence, avaient mis fin. Un pas de plus est franchi avec la déclaration du Président de la République condamnant une éventuelle « radicalisation de la laïcité ». Dans sa formulation même, c’est une insulte à tous ceux qui veulent vivre pleinement leur liberté de conscience, dont la liberté de religion et de culte n’est qu’une composante, au même titre – mais pas plus – que l’expression des convictions athées ou agnostiques, qui doivent être tout autant respectées. Et, dans l’histoire de la France, ce ne sont pas les militants de la laïcité qui ont agressé ou ostracisé des croyants. En revanche, ils ont été victimes de l’intolérance, et de l’Inquisition. Ils n’ont pas suscité, eux, de « guerres de religion ». Ils n’ont pas troublé la paix civile. Ils n’ont cessé au contraire de la conforter.

Or, les Français sont aujourd’hui très massivement laïques, et majoritairement « non croyants », tandis que la représentativité des cultes dans notre société se réduit inexorablement, comme peau de chagrin. Comment pourrions-nous admettre que cette liberté absolue de conscience soit peu à peu rognée, et qu’une caste cléricale, toutes religions confondues, prenne le pays en otage ? Nous l’accepterons d’autant moins que nous en connaissons d’avance l’enjeu : un certain nombre de droits conquis par les femmes, en matière de contraception ou d’IVG, seraient immédiatement mis en danger ; et, dans certains quartiers populaires, où sévit une forme de communautarisme à base d’islam, ce sont les droits élémentaires de la femme, comme celui d’aller et venir librement, sans tuteur masculin, ou d’exercer un métier, qui seraient contestés.

Au moment où j’écris, une adolescente de 14 ans, Inès [1], plongée dans un état végétatif, depuis juin dernier, se voit refuser la délivrance que préconise un collège de médecins par la seule application de la loi Leonetti-Claeys sur la fin de vie. Ses parents s’y refusent toujours pour les raisons religieuses, bien que leur requête ait été rejetée par le Conseil d’État. Attitude inhumaine que dicte un dogme !

Monsieur le Président de la République ne comprenez-vous pas que votre attitude nourrit ce type de réaction ? Vous nous faites prendre collectivement le risque d’un regain des intégrismes et des conflits entre religions. L’antisémitisme se verra encouragé. Nous ne l’accepterons pas. Nous nous battrons, nous qui avons beaucoup contribué à vous donner la plus haute responsabilité et le plus beau des mandats. Respectez-nous ! Ou plutôt respectez l’histoire de notre Nation."

Lire "Des signaux inquiétants".

[1Prénom d’emprunt pour préserver l’anonymat.



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