Revue de presse

"Charlie et la laïcité : le diable est dans les détails" (V. Toranian, revuedesdeuxmondes.fr , 8 jan. 18)

Valérie Toranian, directrice de la "Revue des deux mondes". 10 janvier 2018

"[...] Même si le sursaut républicain déclenché par les tueries de Charlie, de l’Hyper cacher puis du Bataclan est bien réel, en trois ans la laïcité et la liberté d’expression ont pris du plomb dans l’aile. Les détracteurs de l’hebdomadaire satirique l’accusent « d’aller trop loin ». La conception voltairienne de la liberté d’expression n’est plus au goût du jour. On ne se bat plus jusqu’à la mort pour que les opinions adverses aient le droit de s’exprimer, on exige de la société et de la justice de faire taire toute critique jugée irrespectueuse selon des critères subjectifs et particuliers.

Être Charlie c’est refuser qu’on puisse mourir pour avoir moqué une religion, n’importe quelle religion. Désormais certains se battent pour rétablir le délit de blasphème : on valorise la religion là où avant on sanctuarisait la liberté d’expression. On interdit toute critique sous prétexte qu’elle puisse offenser. L’offense est le crime suprême. L’anticiper doit être la règle. La réparer est une obligation, plus forte que le droit commun. [...]

Cette remise en question de la laïcité, sous prétexte de s’affranchir d’un « dogme » arriéré, fait le jeu de tous ceux qui prêchent pour une nouvelle interprétation de la loi de 1905 : ils veulent la reconnaissance de toutes les religions avec leurs droits et leurs particularismes ; la bataille est menée en premier chef bien sûr par l’islam politique, les salafistes et les frères musulmans. [...]

Sur les questions sociétales, le président prend son temps. Il se méfie. Il sait que le sujet est sensible. Contrairement à la Secrétaire d’Etat Marlène Schiappa qui parle clairement d’une « Laïcité, point » dans son dernier livre, sans adjectif pour la qualifier, il avance prudemment. La Manif pour Tous a pourri le quinquennat de François Hollande avec la question de la PMA, de la GPA et des Abc de l’égalité. Pourquoi faire de la laïcité un nouveau chiffon rouge qui exacerbe les tensions ?

De plus, Emmanuel Macron est un libéral. Il défend la laïcité mais il n’est peut-être pas si insensible à l’approche anglo-saxonne du vivre ensemble. Il revendique le droit à la nuance. Il veut être le président des valeurs républicaines, mais aussi celui des Français qui croient aux forces de l’esprit. Le disciple de Ricœur se rattache à une transcendance : les représentants des six religions, qu’il a reçus à l’Élysée le 21 décembre, sont des « partenaires » ; la laïcité doit être « dépassionnée » et le président n’hésite pas à mettre en garde contre « le risque de radicalisation de la laïcité ». (Met-il sur le même plan le risque de radicalisation de la laïcité avec le risque réel de radicalisation islamique qui a fait 238 morts sur notre sol depuis janvier 2015 ? On ne lui fait pas l’offense de le croire…)

Pour lui, « la République est laïque mais pas la société ». On comprend bien l’idée mais comme le rappelle fort justement la philosophe Catherine Kintzler sur son blog [1], il serait plus juste de dire « la République est laïque ; la société n’est pas tenue de l’être. » Nuance importante. De même, l’attachement répété d’Emmanuel Macron à la « liberté religieuse » est essentiel. Mais ne serait-il pas plus pertinent, surtout dans le contexte de la France post Charlie, de parler de « liberté de conscience » ?

La différence n’est pas anodine : la liberté de conscience contient la liberté religieuse, l’inverse n’est pas vrai. En matière de laïcité aussi le diable est dans les détails."

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