Note de lecture

J. Fourquet : Les nouveaux clivages qui se traduisent dans les votes Le Pen et Macron (G. Durand)

par Gérard Durand. 6 avril 2020

Jérôme Fourquet, Le nouveau clivage, éd. Cerf (rééd. poche), 2020, 216 p., 8 €

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Après le triomphe de son livre L’Archipel Français, Jérôme Fourquet reprend quelques-uns de ses ouvrages précédemment parus après les avoir actualisés. J’ai déjà publié une note de lecture sur A la droite de Dieu consacré à l’analyse fine du vote catholique et de son évolution. Il nous parle dans ce nouveau livre des fractures qui divisent la société française, mais aussi la plupart des sociétés occidentales.

Le propos et précisé dès les premières pages. Ce à quoi nous sommes en train d’assister est une mise en conformité du paysage électoral et de l’offre politique avec les nouveaux clivages économiques, sociaux et sociétaux. Ce constat vaut non seulement pour la France mais aussi pour les principales démocraties occidentales. Et analyser les résultats de ces derniers scrutins permet de mettre à jour les failles et les fractures qui parcourent ces sociétés confrontées à ce nouvel âge du capitalisme, au développement du libre-échange et à l’augmentation des flux migratoires.

Effectivement, ces failles sont nombreuses. Les analyser avec finesse permet d’éviter les réactions simplistes de certains discours politiques. Elles ne sont pas rectilignes mais traversent les classes sociales, les territoires, les tranches d’âge etc. Les exemples sont argumentés par des chiffres et des courbes permettant une compréhension facile du propos.

Fourquet nous parle de clivages non seulement en France mais aussi en Angleterre en Autriche, en Suisse, aux Pays Bas et bien sûr aux Etats Unis. On s’aperçoit que dans l’ensemble de ces pays la vie politique de ces cinquante dernières années est fortement malmenée par l’apparition de partis populistes rassemblant à chaque nouvelle élection de plus en plus d’électeurs. Et le clivage suit des lignes politiques bien précises. En France, il s’agira d’analyser les votes pour Emmanuel Macron et Marine le Pen.

Le premier est le niveau de diplôme. Si, en 2017, Marine le Pen reçoit 31 % des votes chez les électeurs n’ayant pas atteint le bac, il ne lui en reste plus que 8 % chez les bac+2 ou plus, au second tour les scores pour les mêmes catégories seront respectivement de 46 et 17 %. Ce clivage sera encore plus marqué en Angleterre avec le vote Brexit qui verra 82 % de oui chez les non diplômés contre 36 % chez les titulaires d’un diplôme de niveau supérieur. Pour Trump ce sera 51 et 37 % et Hofer en Autriche 67 et 19 %. Le grand basculement de la classe ouvrière explique en grande partie ces écarts. En trois décennie, les ouvriers votant pour Le Pen sont passés de 17 à 39 %. Egalement remarquable : la fin du clivage générationnel, les pourcentages étant très proches dans toutes les classes d’âge.

D’autres grilles d’analyse peuvent être retenues, notamment celle des différences régionales. Les anciens bassins miniers par exemple sont devenus des bastions lepénistes. Mais l’auteur va s’arrêter plus longuement sur un autre critère, la sédentarisation. La société française se partage entre 54 % de sédentaires (ayant toujours vécu dans le même département) et 46 % de nomades (ayant vécu dans plusieurs régions ou à l’étranger). Marine le Pen va bénéficier d’un survote dans les populations les plus enracinées, avec 62 % des électeurs mais seulement 32 % chez les nomades. Les Français de l’étranger, dont le nombre est passé en quinze ans de 385 000 à 1 264 000 vont avoir un rôle non négligeable à jouer : ils votent massivement pour Macron, certains ont soutenu financièrement sa campagne lors de diners de lever de fonds à l’américaine.

Le livre parle aussi d’autre clivages. Celui des régions ou la prospérité traditionnelle de la moitié Est à basculé vers les régions de l’Ouest. Celui de l’éloignement des centre urbains ou l’on voit le vote frontiste augmenter de façon quasi proportionnelle avec l’éloignement des habitants, comme à Paris ou il passe de 12,5 % dans le centre à 46,3 % à 60 km - ce qui se produit aussi dans la plupart des grandes métropoles européennes comme américaines. Celui du chômage, de 9 % dans les territoires au taux de chômage inférieur à 9 %, pour bondir à 30,7 % si le taux de chômage atteint ou dépasse les 13 %.

La ligne de fracture passe à l’intérieur même de territoires paraissant homogènes. Entre le littoral et l’intérieur des terres, quand le mètre carré habitable est à 6 000 € à Ramatuelle et à 1 900 € au Muy, 39 km plus loin, là où résident ceux qui vont travailler sur la côte. Mêmes écarts au Pays basque, dans le Sud Finistère ou sur les côtes aisées de Normandie. Mais aussi dans les lieux touristiques comme le Mont Saint-Michel ou « s’arrête le vote FN ». Lequel, pour de toutes autres raisons, verra ses scores exploser partout où se concentrent les militaires.

Le dernier point concerne l’influence de la question migratoire. A la question « L’avez-vous prise en compte pour le choix de votre vote ? », la réponse est oui a 92 % chez les électeurs de Le Pen contre seulement 18 % chez ceux de Macron.

J’imagine que ce livre est sur le bureau de la plupart des analystes politiques, car sa lecture est particulièrement éclairante pour comprendre la situation politique actuelle, certains de ses mouvements tel celui des "gilets jaunes". Il n’y a plus de société française mais deux sociétés qui se côtoient, celle de ceux qui vivent fort bien la mondialisation, en tirent de revenus satisfaisants, acceptent les échanges et l’ouverture et celle que l’on a tout simplement oubliée, dans les banlieues ou les régions et qui doivent vivre dans un désert médical et culturel. Si les premiers votent en majorité pour Macron, beaucoup parmi les seconds se réfugient dans l’illusion le Pen. Comme ils sont nombreux, ce livre nous dit : Attention danger !

Gérard Durand



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