"L’identité républicaine" (CLR, 9 déc. 17)

VIDEO P. Kessel : "Les principes mêmes de la République se trouvent aujourd’hui menacés" (Colloque du 9 déc. 17)

Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République. 10 décembre 2017


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"Bienvenue à ce colloque organisé par le CLR dans le cadre de la célébration du 112e anniversaire de la loi de séparation des églises et de l’État.

En préparant ce colloque, m’est revenu en mémoire le souvenir de mes jeunes années à l’école communale. Les années 1960. L’instituteur, au début du cours, passait dans les travées et inspectait les cahiers de correspondance avec les familles. Ce faisant, s’il décelait au cou d’un élève une médaille ou un signe religieux, il invitait l’élève à la glisser à l’intérieur de sa chemise lui suggérant de la sortir à la fin des cours.

Personne, ni élèves ni parents ne s’en offusquait. Aucune famille, quelles que soient leurs origines, ne revendiquait de dérogation aux principes de l’école. Tous les enfants issus de l’immigration, notamment nord et sub-saharienne, et il y en avait déjà beaucoup dans mon école du XIIIe arrondissement parisien, étaient des écoliers comme les autres. Leurs parents voulaient qu’ils s’instruisent, fassent des études pour trouver un bon travail et devenir des citoyens comme les autres. Personne ne parlait d’origines, de couleur de peau, de croyances religieuses. S’intégrer à la République, d’où qu’on vienne, de la ville, d’une province lointaine, d’un pays étranger, constituait l’ambition de toute famille. Une fierté.

Il y avait bien, de temps à autres, des manifestations de racisme ou d’antisémitisme, notamment pendant la guerre d’Algérie, mais elles étaient exceptionnelles dans l’école. Étudiants, nous sûmes que ces attitudes xénophobes étaient le fait de mouvements d’extrême-droite, pour qui l’identité française devait être réservée aux blancs, catholiques apostoliques et romains. Nous nous organisions pour les combattre. Et notre engagement, au-delà de toutes les singularités politiques, avait en commun l’adhésion à une citoyenneté républicaine universaliste, porteuse de liberté de conscience et d’égalité des droits, en un mot de fraternité. Cela nous semblait définitivement acquis et notre génération se devait d’élargir la citoyenneté aux droits sociaux et aux peuples qui en étaient privés.

Un demi-siècle plus tard, le ciel nous est tombé sur la tête. L’école mais aussi des crèches, des hôpitaux, les services publics, des universités, des entreprises, les espaces collectifs subissent de plein fouet les revendications différencialistes des communautarismes. Ce sont les principes mêmes de la République qu’à l’école on nous apprenait à aimer qui se trouvent aujourd’hui menacés. Cela s’est fait par étapes.

Il y eut le grand échec de la bataille de l’unification du système scolaire en 1983 qui démobilisera pour longtemps la famille laïque. Il y eut ensuite, en septembre 1989, l’affaire du collège de Creil [1], deux jeunes filles voulant entrer voilées dans la classe. On se souvient que le principal, un Antillais qui fut traité de raciste, refusa, que l’affaire monta jusqu’au Premier ministre qui transmis le dossier brûlant au Conseil d’État plutôt que de prendre une circulaire qui aurait fait gagner trente ans à la République. Cette date marque le début de la dérive communautariste et des tergiversations politiques.

Ce fut ensuite le rapport Obin en 2004 [2], réalisé par des inspecteurs généraux de l’Éducation nationale, qui nous mettait en garde sur la montée des différencialismes menaçant la paix sociale dans les "territoires perdus de la République". Des cantines scolaires aux tables séparées par communauté d’origine, des cours comme les sciences naturelles, la littérature ou la gymnastique boycottés par certaines petites filles, des instituteurs menacés, des piscines aux horaires réservés... Les jeunes ne se pensaient plus en futurs citoyens de la République mais comme membres de tribus : "blacks", "blancs", "reubs", "feujs", "homos". S’ouvrait le temps des dérogations à la loi commune, des accommodements dits “raisonnables”, des renoncements coupables.

Dix ans plus tard, le rapport Tuot, publié sur le site du Premier ministre, propose d’intégrer le droit à la différence dans la Constitution en ouvrant la voie à une “citoyenneté à géométrie variable”. Une idée banalisée par la Fondation Terra Nova [3].

Régis Debray, voilà plus de trente ans, nous avait prévenu en écrivant que le droit à la différence déboucherait sur la différence des droits. Nous y sommes ! Le communautarisme s’est installé au cœur de la Cité et menace l’universalisme de la citoyenneté républicaine.

Un jour, ce sont des femmes assises à une terrasse de café qui sont prises à partie et traitées de “traînées” parce que le fait de fumer ou d’être en jupe contreviendrait aux préceptes de l’islam ; un jour ce sont des prières de rue ; un été c’est un camp de formation dit « décolonial » qui est interdit aux blancs ; ce sont des forums interdits à la parole blanche ; c’est une organisation syndicale qui propose une formation interdite aux blancs ; c’est un rappeur, Medine Zaouiche, qui chante “Crucifions les laïcards comme à Golgotha” ; ce sont des universités qui entrouvrent leurs portes aux défenseurs de l’“indigénisme”, lesquels prêchent leurs théories racialistes, séparatistes, ethnicistes ; ce sont ces manifestations où l’on entend des slogans “Mort aux juifs”. C’est, il y a quelques jours, une militante indigéniste qui veut créer une association de mères d’élèves pour combattre l’école où, dit-elle, des “enseignants stigmatisent et humilient les enfants traumatisés” (Fatima Ouassak, "Front des mères") ! Ce sont des plaintes en justice de plus en plus nombreuses contre celles et ceux qui, sur le terrain, résistent à l’infiltration des réseaux sociaux.

La race, la couleur de la peau, la religion, l’essentialisation sont de retour qui assignent les individus à leurs origines, à leurs croyances, à leur supposée communauté d’origine.
C’est la revanche des anti-Lumières, la victoire des obscurantistes sur les principes universalistes qui ont fait la Révolution française.

Et paradoxalement, la liberté de conscience et l’égalité des droits sont moquées, vilipendées, dénoncées, comme la laïcité désormais traitée de “colonialiste”, de “raciste”.

On ne peut plus dire qu’il n’y a pas de problèmes de laïcité en France comme osait l’affirmer le Président de l’Observatoire de la laïcité.  [4]

Le rapport du Collectif laïque national [5] publié ce jour démontre une nouvelle fois le contraire. Il est urgent de réagir si nous ne voulons pas ouvrir des boulevards aux idéologies de la haine et du racisme, toujours en embuscade politique, partout en Europe et malheureusement au-delà.

Mais le plus terrible tient au fait que les nouveaux ennemis des Lumières viennent de l’autre rive de la politique. Ce ne sont plus seulement l’extrême-droite et l’intégrisme catholique qui menacent les Lumières et les principes républicains. Ce sont des femmes et des hommes issus des rangs progressistes qui apportent leur concours au travail de sape de la République.

Nous l’avions perçu au lendemain des attentats barbares contre nos amis de Charlie, au Bataclan, à Nice, des assassinats antisémites, lorsque des voix s’étaient élevées, timidement d’abord puis de plus en plus fermes, pour dire qu’elles n’étaient pas Charlie. Qu’ils “l’avaient un peu cherché”, les caricaturistes. Et les voilà qui se prennent pour Manouchian et ont l’impudeur de comparer la une de Charlie avec L’Affiche rouge !

Au fil des semaines, des voix d’intellectuels, de sociologues, de journalistes, et même de quelques élus aux origines plutôt progressistes, ont cultivé le déni des réalités, ont nié les problèmes posés par les revendications communautaristes dans les institutions, les entreprises, ont détourné le combat antiraciste, ont falsifié le combat féministe, ont témoigné de l’indulgence, parfois de la complaisance avec ceux qui menacent et pour certains tuent les défenseurs de la laïcité.

Ces voix ne nous feront pas croire que les islamistes politiques porteraient l’étendard des “nouveaux damnés de la Terre” et seraient les nouveaux combattants d’un prolétariat perdu !
La question sociale ainsi caricaturée ne sert qu’à affaiblir la laïcité, à justifier des régressions dont les femmes sont les premières victimes, à légitimer des alliances contre nature avec les forces obscurantistes. La République est laïque et sociale. Pas l’un sans l’autre [6] !

La confusion s’est installée. On aurait aimé qu’à l’occasion de la présidentielle [7] s’ouvre un véritable débat qui mette en lumière le fait que le multiculturalisme ne conduit pas au métissage, ni même à la rencontre des cultures mais à l’ethnicisation.

Au lieu de cela, nous avons vu une partie de la droite instrumentaliser la laïcité contre tous les musulmans et une partie de la gauche la mettre entre parenthèses pour essayer de conquérir leurs voix. D’un côté on défend une laïcité qui accepte les crèches dans les mairies, une catho-laïcité [8], de l’autre une laïcité avachie qui ferme les yeux sur les réalités du communautarisme.

Hier, nous avons perdu la bataille des mots en laissant les adversaires de la République détourner les mots de racisme et de colonialisme, de Liberté et d’Égalité. Ils ont essayé de vider la laïcité de sa substance en lui accolant les qualificatifs, “nouvelle”, “tolérante”, “moderne, “apaisée” qui, au final, lui enlèvent du sens. Ils reviennent à la charge ces temps-ci en voulant la transformer en “dialogue interreligieux”, certes souhaitable mais qui est d’une toute autre nature et qui pourrait bien engendrer un concordat qui ne dirait pas son nom.

Désormais, il convient de mener la bataille des idées si nous ne voulons pas que la montée des communautarismes fracture un peu plus la société française et que les séparatismes culturels et religieux n’aient raison de l’universalisme des Lumières.

Il convient d’expliquer que l’identité française n’est pas définie par une couleur ou une religion mais qu’en revanche, la citoyenneté républicaine, c’est l’universalisme, la liberté de conscience, l’égalité en droit entre tous et en premier lieu entre hommes et femmes.
Ainsi s’exprimait Anacharsis Cloots qui, de la tribune de la Convention, se présentait avec fierté, “moi, baron en Allemagne, citoyen en France”. Eh bien, ces principes issus de la grande Révolution ne se négocient pas sauf à renier la République elle-même.

Et nous ne devons avoir aucune culpabilité. Il nous faut défendre l’intégration, l’apprentissage de la langue, de la loi commune comme accession à la citoyenneté. Il nous faut promouvoir la laïcité comme accession à l’émancipation.

C’est pourquoi réinstituer l’école de la République [9] constitue la priorité des priorités. C’est pourquoi nous ne sommes pas insensibles aux messages donnés en ce sens par le ministre de l’Éducation Nationale lorsqu’il affirme la nécessité de l’apprentissage des fondamentaux.

Et au cœur de cette bataille des idées, nous disons haut et fort que « Nous sommes toujours Charlie ». D’ailleurs nous pourrons le dire ensemble si vous souhaitez nous rejoindre le 6 janvier prochain aux Folies Bergères pour une journée intitulée “Toujours Charlie, de la mémoire au combat”, organisée par le Printemps Républicain, la Licra et le CLR et avec le soutien de Charlie [10].

Se réapproprier les mots. Promouvoir les idées. Encore faut-il que ces mots et ces idées soient portés politiquement. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils sont peu nombreux à oser. “Nos responsables ne sont pas conscients des ressources d’une laïcité dont ils se réclament et dont ils ont la charge”, écrivait il y a quelques jours Paul Thibaud. Il a raison.

En ce jour, 112 ans après l’adoption de la loi de séparation des églises et de l’État, le Comité Laïcité République alerte les élus de la Nation de la gravité de la fracture culturelle et sociale.

Le Comité Laïcité République lance un appel au Président de la République pour, au-delà de vaines querelles, promouvoir cette laïcité sans qualificatif, et permettre le rassemblement fraternel des citoyens libres et égaux.

Nous avions perdu la bataille des mots. Nous gagnerons la bataille des idées et déjà quelques signes témoignent d’un soutien de plus en plus fort de l’opinion. Il nous faut, encore et encore, lever les confusions, expliquer, débattre. D’où l’enjeu de ce colloque dont je remercie les participants qui ont bien voulu répondre à notre invitation."


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