Revue de presse

"Un président de la République peut-il aller à la messe ?" (lefigaro.fr , 14 sept. 23)

15 septembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La participation d’Emmanuel Macron à la messe du pape François, à Marseille, exaspère la France insoumise. Que dit la loi de 1905 et quel fut l’usage des précédents chefs d’Etat français ?

Par Paul Sugy

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[...] Un président de la République à la messe, cela s’est déjà vu plus d’une fois. La loi de 1905 et les grands principes de la laïcité auraient-ils été malmenés par les présidents de la Ve République ?

« Non, il n’y a rien dans la loi, et en particulier celle de 1905, qui interdit au président de la République ou à tout autre élu politique d’assister à un culte » tranche Emmanuel Tawil, docteur en droit public et maître de conférences à Paris. « En l’absence de règle établie, la participation du chef de l’État à une messe est question de coutume, je dirais même de sentiments personnels » ajoute l’universitaire, spécialiste du droit des cultes en France.

La coutume, précisément, a considérablement évolué depuis 1905. C’est d’ailleurs là toute l’ambiguïté de la position de la France insoumise : invité de Sud Radio mercredi et s’exprimant au sujet de la visite du pape, Alexis Corbière n’a pas évoqué la laïcité mais... « la vraie laïcité ». « Celle d’Aristide Briand ! » ajoute-t-il avec énergie, en référence au député socialiste qui fut rapporteur, en 1905, de la loi de séparation. Sous-entendu : la laïcité, selon Alexis Corbière, s’est émoussée avec le temps, et n’est plus mise en œuvre aujourd’hui avec la même intransigeance qu’au début du siècle dernier.

On ne saurait lui donner tort sur ce point. Précisément l’usage, au lendemain du vote de la loi de 1905, fut que ni le président de la République ni le président du Conseil n’assistèrent à des messes. Ce fut si vrai que même au lendemain de la Première Guerre mondiale, alors que le clergé catholique espérait une forme de réconciliation entre l’Église et l’État à la faveur de ce temps de concorde nationale, Clemenceau s’obstina à ne pas mettre les pieds dans une église.

Quelques mois avant l’armistice, l’archevêque de Bordeaux lui fit même observer que c’est en priant le Dieu de son épouse que Clovis remporta naguère la victoire, de même que c’est au nom de Jésus et de Marie que Jeanne d’Arc avait délivré Orléans... Peine perdue : Clemenceau ne lui répondit même pas. Il interdira par la suite au président de la République, Raymond Poincaré, d’assister au Te Deum célébré à Notre-Dame de Paris pour la victoire.

Cette règle tacite, mais consacrée par l’habitude, valut comme le rappelle Benjamin Fayet sur Aleteia, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, à l’issue de laquelle le général de Gaulle, du reste catholique pratiquant, renversa peu à peu les usages.

De Gaulle ne fit ainsi aucune difficulté à assister au Magnificat dans la cathédrale de Paris, le 26 août 1944, alors même que l’on entendait encore les fusils au loin. Plus tard, lorsqu’il devint président de la Vème République, il fit installer une chapelle à l’Élysée, comme le raconte dans Paris Match la journaliste Caroline Pigozzi. Mais le général de Gaulle n’affichait pas en public la même dévotion qu’en privé. Ainsi lorsqu’il invita le chancelier allemand Konrad Adenauer à assister avec lui à la messe en la cathédrale de Reims, le 7 juillet 1962, pour préparer le traité de réconciliation franco-allemand, il ne communia pas... C’est qu’il assistait à l’office liturgique en qualité de chef d’État et non de simple chrétien. Seul l’homme pouvait s’agenouiller devant l’hostie consacrée ; en aucun cas le chef d’État d’une République laïque.

À son neveu prêtre le Père François de Gaulle (selon les propos de ce dernier rapportés par Caroline Pigozzi), le général aurait dit un jour : « Tu n’es pas l’aumônier de l’Élysée, c’est une messe privée que tu célèbres car je ne suis pas le président des catholiques mais de tous les Français. Il ne faut pas confondre le président de la République et le cardinal archevêque de Paris. » Le même Père François confie également que Charles de Gaulle dérogea seulement à ses principes lors d’une messe à laquelle il assistait en URSS en juin 1966, dans la chapelle française de Leningrad. Ce jour-là, il accomplit en communiant un geste politique, pour afficher devant les Soviétiques son attachement à la liberté de culte bafouée par ses hôtes.

À la suite du général de Gaulle, la souplesse qu’il avait installée quant aux relations avec le culte catholique resta de mise. Georges Pompidou et son épouse assistaient à la messe pendant leurs vacances à Bormes-les-Mimosas, en simples paroissiens. Idem pour les Giscard d’Estaing.

Le 30 mai 1980, Valéry Giscard d’Estaing accueillit cependant en grande pompe le jeune pape Jean-Paul II à Paris - c’est la première fois qu’un souverain pontife visitait la France en sa qualité de chef de l’Église, depuis... le sacre de Napoléon par le pape Pie VII, le 2 décembre 1804 ! Pour l’occasion, Giscard avait vu les choses en grand. Il accueillit Jean-Paul II sur les Champs-Élysées, prononça un discours place de la Concorde, puis assista à la messe célébrée par le Saint-Père sur le parvis de Notre-Dame. Le surlendemain au Bourget, devant 350.000 personnes, Jean-Paul II exhortera les catholiques de France en des termes restés célèbres : « France, fille aînée de l’Église, qu’as-tu fait des promesses de ton baptême ? »

Ce fut, à vrai dire, la première et la seule fois que le président de la République assista à une messe célébrée par le pape en France. Celle du Vélodrome sera la seconde. Jacques Chirac en effet, avait choisi en 1996 de n’assister à aucune des cérémonies religieuses présidées par Jean-Paul II lors d’une nouvelle visite apostolique en France, précédée de plusieurs semaines de polémiques autour de la célébration par l’État du 1500e anniversaire du baptême de Clovis.

En protestation à la venue du pape, les francs-maçons du Grand Orient de France organisèrent à Valmy une célébration pour le 204e anniversaire de la proclamation de la République, pendant que des associations locales incitaient des apostats à se faire rayer des registres de baptême de leurs paroisses. Ces manifestations eurent toutefois moins de succès que la messe célébrée à Tours par Jean-Paul II, devant 100.000 personnes.

Tout ceci n’empêchait pas Jacques Chirac d’assister à la messe pendant ses vacances, en compagnie de Bernadette qui, elle, a toujours assumé sa foi catholique. Après lui, Nicolas Sarkozy déclencha de nouvelles polémiques en effectuant ostensiblement et à plusieurs reprises le signe de croix lors de sa visite à Rome en 2010, à l’occasion d’un « moment de prière » (selon la communication vaticane) rebaptisé « moment de recueillement » par les services de l’Élysée.

Emmanuel Macron, qui est baptisé mais se dit agnostique, a pour sa part assisté à la messe à plusieurs reprises en qualité de chef d’État, à l’occasion des funérailles de Jacques Chirac à Saint-Sulpice le 30 septembre 2019 par exemple. Il est également allé recevoir, à Rome, son titre de chanoine honoraire de la basilique Saint-Jean-de-Latran, au cours d’une cérémonie sans messe. Si le titre revient de droit à tous les présidents français, plusieurs avant lui avaient pourtant refusé de participer à une cérémonie au Latran, notamment François Hollande et François Mitterrand.

Ce même François Mitterrand à qui revient sans doute le dernier mot dans cette vaste controverse. Hanté par le mystère de l’au-delà et apôtre des « forces de l’esprit », l’ancien président socialiste pétri d’une éducation catholique a néanmoins toujours pris ses distances avec la religion. Cela ne l’a pas empêché d’écrire dans son testament, au sujet de ses obsèques, cette phrase lapidaire qui répond de manière définitive à notre question : « une messe est possible »."


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