Revue de presse

""Sale Français", une injure raciale ? Les hésitations des juges face au "racisme anti-Blancs"" (L’Express, 14 déc. 23)

(L’Express, 14 déc. 23) 20 décembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Dans l’affaire du bal de Crépol, le parquet ne retient pas, à ce stade de l’enquête, cette circonstance aggravante qui fait souvent l’objet de tergiversations de la part de la justice.

Par Etienne Girard

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Le débat s’en va et revient, au gré des faits divers. Immanquablement, il passionne et embarrasse. Lors du bal de Crépol (Drôme) du 18 novembre, au cours duquel le jeune Thomas Perotto a été poignardé mortellement, 9 témoins sur 104 disent avoir entendu des propos "hostiles aux Blancs", a révélé le procureur de la République de Valence dans un communiqué. Dans ses premières mises en examen, le parquet ne retient pour autant pas le racisme comme une circonstance aggravante du meurtre. Signe qu’à ses yeux, les premiers éléments de l’enquête laissent imaginer une motivation de l’acte toute autre.

La machine à controverse est lancée. Le racisme anti-Blancs déconcerte, car il bouleverse notre vision de la haine discriminatoire. Dans ce cas, la victime ne fait pas partie d’une communauté historiquement stigmatisée, elle est visée pour son appartenance à la partie majoritaire de la population française. "Débat piégé", constate Daniel Sabbagh, directeur de recherche à Sciences Po, qui a consacré un article au sujet dans la revue Pouvoirs, en 2022. De longue date, l’extrême droite instrumentalise l’idée d’une guerre larvée menée aux "Français de souche" ; Eric Zemmour parle de "francocide". A l’inverse, certains sociologues dénient toute validité au concept. "Est-ce qu’on a besoin d’appeler ça du racisme quand bien même on me dirait ’sale Blanc’ ?", contestait Eric Fassin, chercheur à Paris-VIII, sur France Culture, en 2018. Selon cet universitaire, "le racisme anti-Blancs n’existe pas pour les sciences sociales", faute de discriminations touchant ce groupe ethnique. Et pour les juges ? Les actions pénales ont un "succès limité", euphémise Mathias Möschel, professeur associé à l’Université d’Europe centrale, à Vienne, et auteur d’un article sur "la construction juridique de la notion de racisme anti-blancs en France", en 2022. Le chercheur a recensé une poignée de condamnations sur ce motif ; dans de nombreux cas, les juges hésitent à reconnaître la circonstance aggravante de racisme anti-Blancs.

Le cas archétypal est celui de propos anti-Blancs tenus au détour d’une longue liste d’insultes. Il s’agit parfois d’un "sale Français", dont la qualification se révèle encore plus délicate. En ce cas, le racisme n’est presque jamais retenu. "Bâtard, gros con, fils de pute, enculé, vas niquer ta race, quand je sors, je te retrouve et je vais te tuer, tu vas mourir, gros porc, sale Français", menace un homme transporté par un pompier à l’hôpital, le 8 octobre 2006 à Avesnes-sur-Helpe (Nord). Il reconnaît les faits, la cour d’appel de Douai le condamne pour outrage, mais le motif racial n’est pas relevé.

Autre affaire, en Guyane, le 8 juin 2016, un homme dérangé chez son frère par les gendarmes, les couvre d’injures. "Dégagez ; colonialistes, esclavagistes, sales Blancs, rentrez chez vous", déclare-t-il selon les forces de l’ordre. La cour d’appel de Cayenne le condamne pour outrage, mais la cour de cassation annule l’arrêt car l’homme n’a pas reconnu l’insulte "sales Blancs", seulement "colonialistes" et "esclavagistes". De toute façon, le motif racial de l’outrage n’a jamais été relevé, même par la cour d’appel.

Il n’existe véritablement que deux affaires dans lesquelles le racisme anti-Blancs a été retenu. Dans la première, l’agresseur est blanc, lui aussi, mais s’est décrit de "type arabe", devant le juge d’instruction. En septembre 2010, il tabasse avec un complice et balafre à l’arme blanche un autre homme, sur le quai du RER de la Gare du Nord. "Sale Blanc", "sale Français", "blanc-bec", entendent la victime et plusieurs témoins. Le tribunal correctionnel écarte l’intention raciste, mais la cour d’appel la relève. Elle retient la circonstance aggravante de racisme et condamne le prévenu à trois ans de prison ferme, le 21 janvier 2014. Le 9 juin 2014, un contrôle de billets tourne mal dans le TER Mâcon-Lyon. Un voyageur intervient, il est insulté. "Sale Français, sale Blanc", lui dit un jeune homme de 22 ans. Il est condamné par la cour d’appel de Lyon à trois mois de prison ferme pour injure raciale. [...]

En France, la reconnaissance du racisme anti-Blancs demeure prudente. Confrontée à la liberté d’expression, elle est minimale. En 2017-2018, l’affaire Nique la France, morceau du groupe de rap Zep, l’a montré. "Les nazillons sont lâchés/Les bidochons décomplexés/Carte blanche pour les gros beaufs/Qui ont la haine de l’étranger", rappait avec virulence le chanteur. Dans le morceau, il était question, entre autres, des "petits Gaulois de souche", des "gros cons" au pays "puant, raciste et assassin" ou encore des "culs tous blancs" de l’Assemblée nationale.

Aucun racisme dans les paroles, car les "Français blancs de souche" ne constituent pas un groupe de personnes protégé par la loi sur la liberté d’expression, avait jugé la cour d’appel. Le 28 février 2017, la cour de cassation affirme à l’inverse qu’"en toute hypothèse, les Français blancs dits ’de souche’ constituent un groupe de personnes désigné à raison de leur origine ou de leur appartenance à une nation et à une ethnie ou une race". Mais Zep est relaxé. Les juges estiment qu’il n’a pas dépassé les limites du "débat d’intérêt général".

En 1972, la Cour de cassation avait reconnu la culpabilité de l’activiste calédonien Nidoïsh Naisseline, pour "diffamation" et "excitation à la haine" envers les Blancs calédoniens, comparés aux nazis, rappelle l’historien Emmanuel Debono dans son ouvrage Le racisme dans le prétoire (Humensis), en 2019. Mais le militant n’avait finalement pas été condamné, pour vice de forme. Même issue dans l’affaire Nick Conrad, l’auteur du morceau Pendez les blancs. "Je rentre dans les crèches, je tue des bébés blancs […], pendez leurs parents, écartez-les pour passer le temps", chantait le rappeur. Il a été condamné à 5000 euros d’amende avec sursis pour provocation au crime, en première instance. Le 23 septembre 2021, la cour d’appel de Paris a entièrement annulé la procédure contre lui, pour un vice de forme."


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Racisme anti-blanc dans Discriminations (note de la rédaction CLR).


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