"Toujours Charlie ! De la mémoire au combat" (6 jan. 18)

S. Mayol : "A la différence des droits, nous répondons par à un droit à l’indifférence" ("Toujours Charlie !" 6 jan. 18)

Samuel Mayol, directeur de l’IUT de Saint-Denis (Paris XIII), Prix national de la Laïcité 2015. 8 janvier 2018

"Etre « Toujours Charlie » en Seine-Saint-Denis, est-ce possible ?

OUI c’est possible et l’immense majorité des gens en Seine Saint Denis sont Charlie.

Mais quoiqu’il en soit je reste convaincu que tout passe par l’éducation.

Ne rien céder, ne rien lâcher sur la libre pensée, la liberté d’expression, le droit à la critique et au blasphème, l’homophobie, l’égalité Femmes-Hommes, bref sur ce qui fonde les valeurs de la République.

Il faut être ferme et ne tolérer aucune dérive mais il faut surtout expliquer, échanger, convaincre et débattre. Et c’est comme ça que nous arriverons à rester fermes

Et il faut expliquer ce qu’est la liberté d’expression, ce qu’est la laïcité et surtout en quoi cette laïcité est un magnifique rempart contre le racisme. Avec la laïcité, tout le monde est traité sur le même plan d’égalité. Le seul moyen de faire vivre des citoyens différents par leurs origines, leurs convictions et leurs croyances, c’est qu’ils vivent en tant que citoyens avec les mêmes droits et pas plus et les mêmes devoirs et pas plus.

Alors que certains demandent une différence des droits, nous leur répondons par à un droit à l’indifférence, véritable principe républicain qui a permis de résoudre l’antinomie entre l’affirmation individuelle et l’exigence collective.

Certaines personnes pensent que la laïcité est une loi qui permet le racisme car ils ne voient la laïcité que « contre leur religion ». Or le racisme se fonde sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains.

Bien au contraire, le concept républicain de laïcité vise à un égalitarisme de droit quelles que soient les croyances, les non croyances et les religions de références des individus. En effet, la laïcité garantit la libre pratique de toutes les religions, tant que cette pratique est en concordance avec la constitution et les lois. A aucun moment la laïcité n’introduit une quelconque hiérarchie entre les religions.

Quand d’aucuns affirment la prééminence des valeurs d’une religion sur les autres, quand d’autres affirment que toute personne d’une autre religion est inférieure, ce sont bien eux qui introduisent une hiérarchisation et une catégorisation discriminatoire entre des groupes humains.

Justement, en s’interdisant toute hiérarchisation entre les religions, la laïcité s’interdit toute discrimination du fait de l’appartenance à une religion, à une autre, ou à aucune.

Je peux vous assurer que c’est aujourd’hui ce combat là qu’il faut gagner. Réussir à prouver que la laïcité est un rempart contre le racisme.
Et c’est en expliquant qu’on y arrive et en faisant preuve de pédagogie.

Dans l’affaire de l’IUT de Saint Denis, que je ne vais pas répéter ici, j’ai donc cherché à respecter la neutralité de l’Etat en mettant notamment fin à la présence d’une salle de prière. Et on connait la suite : 32 menaces de morts, 2 agressions physiques, des tonnes de menaces et d’insultes sur les réseaux sociaux, une suspension de mes fonctions par ma hiérarchie de l’époque, la saisine de la commission disciplinaire à mon encontre car on m’accusait d’avoir tout inventé. Finalement c’est sur le soutien des étudiants et d’une partie de du personnel de l’IUT que j’ai pu compter car eux me connaissent et savent que je ne suis ni raciste ni islamophobe. Bien au contraire.

Mon action n’a été que républicaine et on m’y a opposé des actes d’une violence inouïe. J’aurais pu tomber dans l’engrenage de la violence. C’est même le piège qu’on m’a tendu. Et alors tout se serait retourné contre moi. Moi, le fonctionnaire défendant la laïcité, je serais tombé au même niveau que ceux qui malmenaient nos valeurs républicaines. C’est justement l’inverse que nous avons fait. En pleine violence nous avons fait un colloque sur la non-violence et depuis nous avons même créé des modules de formation à la non-violence, faisant de cet IUT le premier espace universitaire où la Non-Violence s’enseigne.

La commission disciplinaire a estimé que ma suspension était abusive et a exigé ma réintégration et le tribunal a estimé que ma suspension était illégale et a condamné mon université.

Etre Charlie c’est ne rien lâcher, poursuivre encore et toujours le combat, expliquer et convaincre et prouver que la laïcité est là uniquement pour une chose : protéger les citoyens de notre pays, protéger la République et considérer que la religion est une affaire privée et la politique une affaire publique et que les deux n’ont pas à être mélangées."



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