Revue de presse

"Quelle place pour la liberté d’expression dans l’islam ?" (La Croix L’Hebdo, 2 déc. 23)

(La Croix L’Hebdo, 2 déc. 23). Hamadi Redissi, islamologue et professeur de sciences politiques à l’université de Tunis. 1er décembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Hamadi Redissi, S’exprimer librement en islam, éd. Seuil, 06 oct. 2023, 224 p., 21.50 €.

"Représentation du prophète, caricature, blasphème : dans son nouvel ouvrage, S’exprimer librement en islam, l’islamologue Hamadi Redissi s’intéresse à l’histoire de la pensée libre dans les pays islamiques. Il montre que deux traditions, l’une iconophobe et l’autre iconophile, ont coexisté depuis l’âge médiéval.

Recueilli par Marguerite de Lasa

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La Croix L’Hebdo : Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre sur la liberté d’expression en islam ?

Hamadi Redissi  : C’est l’actualité qui l’a suscité. De la publication des caricatures du prophète Mohammed au Danemark en 2005 aux attentats de Charlie Hebdo en France en 2015, la polémique sur la liberté d’expression a pris une tournure mondiale. Seulement, je remarquais que la manière dont on abordait cette question était superficielle. Les gens se demandaient : « L’islam est-il pour ou contre les caricatures ? » Les termes du débat n’étaient pas bien posés du point de vue de l’islam.

Pour parler de la liberté d’expression dans les sociétés islamiques, il faut se garder de tout imputer à un islamisme mortifère, mais aussi de charger indûment l’islam tout court d’être « naturellement violent », comme on l’entend souvent aujourd’hui. L’islam « grand public » peut être ouvert non seulement à une lecture libérale et laïque des textes fondateurs, mais aussi à une pensée audacieusement irréligieuse. [...]

Sur quoi repose l’interdiction de la représentation figurée en islam, qui a restreint la liberté de caricaturer, par exemple ?

H. R. : À l’âge classique, l’interdiction de la représentation est fondée sur l’idée que c’est une imitation de l’œuvre divine. Même les animaux, qui possèdent une âme, ne peuvent être représentés. Quant au prophète Mohammed, sa représentation est interdite parce que son image ne peut être altérée : il est impossible de faire le portrait de l’homme parfait. Pourtant, des représentations figurées du Prophète ont circulé du XIIIe au XIXe siècle.

Beaucoup pensent qu’il n’y a qu’une doctrine iconophobe en islam, or je fais valoir une autre ­tradition, iconophile, qui a prospéré au XVIIe siècle mais qui a, hélas, disparu : c’est la théorie des deux calames. Les caricatures, elles, apparaissent au XIXe siècle, avec l’ouverture à la modernité. Cette éclipse se referme ­ensuite.

Après cette ouverture, pourquoi la liberté d’expression se durcit-elle au XXe siècle ?

H. R. : Avec la naissance des États postcoloniaux, la liberté d’expression se restreint. Ces États autoritaires font de l’islam une religion d’État, en adoucissant la rigueur du droit islamique classique. Mais ils interdisent par exemple le blasphème, en le sanctionnant par une peine de prison.

En concurrence, le clergé sunnite ou chiite, en rivalité mimétique avec les islamistes, réclame la peine de mort pour les blasphémateurs. C’est pour cela qu’affirmer que « l’islamisme n’a rien à voir avec l’islam », c’est se refuser à l’examen de conscience. Non pas que je veuille compromettre l’islam dans l’islamisme, mais la différence entre un islamiste qui tue un blasphémateur et un État musulman qui sanctionne le blasphème par une peine de prison n’est pas démesurée. [...]

J’estime qu’il faut laisser l’islam en l’état, dans la diversité de ses expressions : chiite, sunnite, libéral, orthodoxe, conservateur, et même fondamentaliste, pourvu qu’il n’ait pas recours à la violence.

En revanche, il faut neutraliser l’espace politique, c’est-à-dire considérer que l’État n’a pas à se mêler de religion. La laïcité démocratique peut permettre la coexistence de ces différents courants et la libre-pensée. [...]"


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