Revue de presse

"Quand présidents et papes s’entretenaient de l’héritage chrétien de la France" (Le Figaro, 23-24 sept. 23)

(Le Figaro, 23-24 sept. 23) 23 septembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"L’histoire des relations entre l’Élysée et le Saint-Siège est un sujet de grande portée, à l’heure où Emmanuel Macron reçoit François à Marseille.

Par Guillaume Perrault

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Lire "De Gaulle, Giscard, Sarkozy… Quand les présidents de la République rencontraient les papes en assumant l’héritage chrétien de la France".

« Au moment où j’assume cette lourde responsabilité, ma pensée respectueuse se porte vers Votre Sainteté. En toute piété, j’appelle son soutien spirituel sur mon action et lui demande de bénir la France ». C’est De Gaulle qui s’exprime ainsi, le 21 juin 1958, au pape Pie XII, dans un télégramme qu’il lui adresse. À peine revenu au pouvoir, le fondateur de la Ve République éprouve le besoin de se tourner vers le Saint-Père et de solliciter ses prières.

La démarche de De Gaulle, à l’époque, ne semble pas avoir scandalisé, en dehors des cercles étroits d’anticléricaux les plus radicaux. L’État était laïc, la loi de 1905 respectée, mais la séparation des églises et du pouvoir coexistait, en ce temps-là, avec le maintien du catholicisme comme référence culturelle commune. L’histoire des relations entre les présidents de la Ve République et les papes est ainsi un sujet de grande portée, à l’heure où Emmanuel Macron reçoit François à Marseille et où certains le chicanent parce qu’il assistera à la messe que le souverain pontife célèbrera le 23 septembre.

Liens séculaires

La France et la papauté entretiennent des relations diplomatiques depuis toujours, et échangent des ambassadeurs permanents depuis la fin du XVe siècle. Le premier ambassadeur du roi de France auprès du pape est nommé par Charles VIII en 1493. Un siècle plus tard, lorsque Henri IV abjure le protestantisme pour la dernière fois, revient au catholicisme et reçoit l’absolution du pape (1593), le Bourbon, désireux d’être agréable au souverain pontife, offre à la basilique Saint-Jean-de-Latran (qui est la cathédrale de Rome) une abbaye bénédictine située dans l’actuel Lot-et-Garonne.

Le pape, en remerciement de ce cadeau diplomatique, accorde alors à Henri IV le titre de premier et unique chanoine honoraire de la basilique Saint-Jean-de-Latran. Ce titre a été, depuis, porté par tous les rois de France, puis transmis aux présidents de la République française. Il symbolise les liens particuliers qu’entretiennent la papauté et le pays qui fut, pendant des siècles, un des fleurons du catholicisme.

Le baptême de Clovis à Reims, peint en 1837 par Francois-Louis Dejuinne. © Photo Josse / Bridgeman Images
De même, aujourd’hui encore, en vertu d’une coutume séculaire, tous les ans, le 3 juin, une messe pour la France est célébrée à Saint-Pierre de Rome dans la basilique Sainte-Pétronille, prise comme sainte patronne par de nombreux rois de France. La coutume demeure d’invoquer sa protection pour notre pays à l’occasion de sa fête.

De l’anticléricalisme à la réconciliation

Sous la IIIe République, les relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège ont été rompues en 1904 par le gouvernement de l’anticlérical Emile Combes, puis rétablies en 1921. La droite et le centre, qui dominent la Chambre des députés élue au lendemain de la Grande guerre, renouent avec la papauté par souci de réconciliation nationale avec les catholiques, durement éprouvés par l’expulsion des congrégations en 1903-1904, et qui ont ensuite payé « l’impôt du sang » en 1914-1918 (même les ecclésiastiques, eux aussi mobilisés). Depuis lors, l’ambassade de France près le Saint-Siège, située depuis 1950 à la villa Bonaparte (un temps propriété de Pauline Bonaparte, la sœur préférée de l’Empereur) est un des postes diplomatiques français les plus prestigieux. Il couronne souvent une carrière de premier plan.

Sous la IVe République, le rapprochement entre Paris et la Papauté se manifeste par la première visite officielle d’un président français au Vatican : René Coty rencontre Pie XII le 13 mai 1957, peu après la signature des traités de Rome (25 mars 1957) regardés avec faveur par le Saint-Siège dès leurs prémices, et dont le pape s’est beaucoup réjoui (Pie XII a fait sonner les cloches de Rome à cette occasion).

Lorsque naît la Ve République, en 1958, son premier président, De Gaulle, élevé dans une famille très pieuse, est nourri de la doctrine sociale de l’Église et pratiquant. Le père de la nouvelle Constitution n’en est pas moins un réaliste, déterminé à ne pas modifier les rapports entre les églises et l’État, qui ont suscité tant de passions dans sa jeunesse (à 17 ans, pendant l’année scolaire 1907-1908, l’adolescent avait quitté Lille et passé un an en Belgique, à Antoing, au Collège du Sacré-Cœur, pour suivre ses professeurs congréganistes expulsés et poussés à l’exil par Emile Combes).

À l’initiative de De Gaulle, sans doute désireux de rassurer sur son état d’esprit, la laïcité est même, pour la première fois, consacrée au plus haut niveau juridique. L’article 1er de la Constitution d’octobre 1958 proclame que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » alors que le Préambule de la Constitution de la IVe République, en octobre 1946, ne comportait aucune affirmation aussi nette et se contentait d’affirmer que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ».

« La gloire de notre Église catholique »

Le catholicisme, pour autant, est aux yeux de De Gaulle une composante majeure de l’histoire nationale, qu’il n’entend nullement passer sous silence. Dans l’exercice de sa charge, le chef de l’État français juge naturel de se rendre à plusieurs reprises à des messes. Le plus souvent, certes, il ne communie pas. C’est le cas, par exemple, à la cathédrale de Reims, le 8 juillet 1962, lorsque, aux côtés du chancelier allemand Konrad Adenauer, il assiste à une messe célébrant la réconciliation franco-allemande.

Adenauer, lui, est démocrate-chrétien et gouverne une RFA dont la Constitution de 1949 proclame dans son Préambule que le peuple allemand est « conscient de sa responsabilité devant Dieu et les hommes ». Aussi l’homme d’État allemand communie-t-il tout naturellement. Mais comme le fait observer Marc Tronchot dans Les présidents face à Dieu (2015), ce jour-là, De Gaulle « est -symboliquement parlant dans cette cathédrale qui a vu le baptême de Clovis - l’héritier des rois de France, fidèle aux racines chrétiennes de son pays et aux valeurs de la civilisation occidentale. Et cela suffit sans doute à son bonheur ».

Selon le décompte de cet auteur, lors de ses dix ans à l’Élysée, De Gaulle choisit en revanche de communier quatre fois en public, toujours lors d’un voyage officiel à l’étranger, et dans un but précis. À Gdansk, en Pologne, pour marquer son soutien aux catholiques polonais brimés voire persécutés sous le régime communiste ; à la cathédrale catholique Notre-Dame de Lourdes à Leningrad (URSS) lors d’une visite d’État en juin 1966, pour la même raison (l’abbé de la cathédrale sera, l’année suivante, condamné à 7 ans de travaux forcés, précise Marc Tronchot) ; à Istanbul, en hommage aux chrétiens d’Orient ; et au Québec, afin de saluer l’œuvre des missionnaires catholiques.

Le président français fait par ailleurs installer une chapelle à l’Élysée en vue d’un usage strictement privé et familial lorsque sa charge lui interdit de rentrer à Colombey pour le week-end. La messe est alors, le plus souvent célébrée, par son neveu, François de Gaulle, membre de la congrégation des Pères blancs. Et, à Colombey, le dimanche comme le 31 décembre, De Gaulle et son épouse assistent à la messe à titre privé et communient.

L’héritage catholique de la France, le président le revendique en revanche hautement lors de sa première visite au pape Jean XXIII, le 27 juin 1959 (après avoir, à l’invitation de l’Italie, participé à la commémoration du centenaire des batailles de Magenta et Solférino, ce qui permet, au cours du même voyage, d’honorer tour à tour la république italienne et le Saint-Siège). Ce jour-là, au Vatican, le président français porte le collier de l’Ordre du Christ, plus haute distinction pontificale que lui a remise Jean XXIII.

Après un entretien en tête à tête entre les deux chefs d’État, de Gaulle s’agenouille devant le pape et baise son anneau devant la presse. Puis il se relève et déclare, sans notes suivant son habitude : « Nous déposons, au nom de la France, nos respects aux pieds de sa Sainteté. Nous la connaissons pour le vicaire du Christ. Et nous lui demandons, dans la tâche difficile qui est celle du Président de la République française et de la communauté [structure associant, à l’époque, la France et ses colonies en passe d’accéder à l’indépendance, NDLR], de son gouvernement et des autorités françaises, tout son bienveillant appui. C’est cela que je tenais à dire en formant les vœux les plus ardents pour la santé du très Saint-Père et pour la prospérité et la gloire de notre Église Catholique ».

La France face à Vatican II

Suivant un usage séculaire, le président français avait « son poulain » lors de l’élection du successeur de Pie XII (automne 1958) puis de Jean XXIII (été 1963). Lors de ces deux scrutins, l’ambassadeur de France a fait discrètement campagne auprès des cardinaux francophiles du Sacré collège en faveur des deux candidats qui sortiront tour à tour vainqueurs : Mgr Roncalli, futur Jean XXIII, ancien nonce apostolique à Paris pendant huit ans, et qui avait laissé un excellent souvenir ; Montini, archevêque de Milan, futur Paul VI, qui avait donné des preuves de sa sympathie pour la France. De Gaulle se sent donc en confiance.

La nomination des évêques demeure néanmoins un sujet délicat. Depuis la loi de 1905 et la fin du Concordat, le Vatican est souverain en la matière. Toutefois, lors des négociations qui ont précédé le rétablissement des relations diplomatiques, en 1921, le gouvernement d’Aristide Briand (il avait été le rapporteur de la loi sur la Séparation des églises et de l’État en 1905), désormais soutenu par la droite, obtient du Saint-Siège l’engagement que Paris sera informé de l’identité du candidat pressenti et autorisé à formuler d’éventuelles objections. Au cours de sa présidence, choqué de ne pas avoir été consulté sur la nomination d’un prélat, De Gaulle ordonne ainsi une enquête sur ce loupé, enquête qui semble s’être perdue dans les sables de l’administration.

La grande affaire de l’époque demeure Vatican II. De Gaulle suit avec attention les travaux du Concile. Le président français se réjouit d’abord de l’aggiornamento annoncé par Jean XXIII, puis paraît s’inquiéter devant l’ampleur des bouleversements qui se profilent. Après la mort du pape (juin 1963), selon le témoignage d’Alain Peyrefitte, le Général déplore devant lui que Jean XXIII se soit laissé « entortiller à la fin » par une « coterie qui prétendait tout révolutionner d’un coup », au risque de « donner l’apparence de se renier ». Le président français espère que son successeur fera preuve d’autorité et maîtrisera le processus engagé, sans le stopper pour autant (C’était De Gaulle, Tome 2, 1997).

Afin de suivre Vatican II à la loupe, cette même année 1963, De Gaulle nomme un de ses plus anciens collaborateurs, René Brouillet, ambassadeur auprès du Saint-Siège. Il y restera dix ans, fort de la confiance des deux premiers présidents de la Ve République -Brouillet était le camarade de promotion de Pompidou à Normale Sup et c’est à lui que Pompidou s’était adressé, à la Libération, pour briguer une place au cabinet du Général, première étape de son ascension. Jugeant que la forte présence de Français dans la hiérarchie de l’Église contribue à l’influence internationale de la France, l’ambassadeur prête son concours à quantité de rencontres entre évêques et théologiens français à l’ambassade et au Centre culturel Saint-Louis (qui existe toujours) pour valoriser ses hôtes et favoriser leur promotion.

Ce n’est pas sans mélancolie que De Gaulle lit, en 1965, la Constitution pastorale Gaudium et spes, qui met l’accent sur la diplomatie multilatérale. Pour le Saint-Siège, les rapports d’État à État, sans disparaître, passent au second plan au profit de grandes questions universelles (la paix, le désarmement, le développement, l’idée de justice). Le pape Paul VI lui-même, quittant soudain Rome, se met à arpenter la planète et prononce même un discours devant l’assemblée générale des Nations unies (4 octobre 1965), institution pour laquelle De Gaulle n’a pas d’estime. Il s’agit, pour le Saint-Père, qui reçoit ensuite De Gaulle au Vatican le 30 juin 1967, de s’adapter au monde nouveau qui se dessine, et de l’orienter dans le sens de l’œcuménisme et du bien commun de l’humanité.

Le décrochage de la foi

Or dès 1965, la pratique religieuse commence à diminuer en France. Il y a bien eu une rupture « brutale, massive et spectaculaire » à la fin du concile Vatican II, souligne l’historien Guillaume Cuchet, Et selon lui, la « sanctuarisation idéologique » de Vatican II, unanimement salué par les médias du monde entier pour l’ouverture d’esprit qui caractérisent ses conclusions à leurs yeux, a empêché le libre examen de ses choix.

À la suite du concile, les catholiques ont souvent interprété la liberté de conscience comme la fin du caractère impératif des prescriptions de l’Église. Cuchet analyse également la crise du sacrement de pénitence et l’abandon de la prédication des fins dernières. Les critères du « vrai » christianisme deviennent « la sincérité des consciences, l’engagement militant ou le service de la cité et des pauvres », et non plus la fidélité aux commandements de Rome. Ce bouleversement majeur, De Gaulle ne le perçoit pas d’emblée car les cohortes fournies du baby-boom rendent, d’abord, « difficile de s’aviser du décrochage des proportions au sein de la génération » (Comment notre monde a cessé d’être chrétien -Anatomie d’un effondrement, 2018).

Une affiche de mai 1968, revendiquant l’accès libre à la pilule contraceptive, cinq mois après l’adoption de loi Neuwirth la légalisant. Collection Michael Lellouche / Bridgeman Images
Arrive Mai 68, qui ébranle les milieux catholiques, aggrave la crise qu’ils affrontent et impressionne le pape autant que De Gaulle. C’est de ce paysage bouleversé qu’hérite Georges Pompidou lorsqu’il est élu président de la République dans un fauteuil le 15 juin 1969 avec 11 millions de voix, soit 58,2% des suffrages, face au centriste Alain Poher.

Pompidou, le transcendant

Pompidou, s’il n’est pas issu d’un milieu catholique, a montré, tout au long de sa vie, un vif intérêt pour le sacré et la transcendance. Avant même son élection, il frappe par sa lucidité et ses analyses au laser. En mai 1968, voilà une semaine que le quartier latin s’embrase lorsque celui qui est à l’époque premier ministre rentre précipitamment de son voyage officiel en Afghanistan le 11 mai. Il prend les commandes de l’État alors que De Gaulle perd pied.

Visé par une motion de censure à l’Assemblée, Pompidou fait un discours de haute tenue devant les députés dès 14 mai. Allant aux racines de la crise, il déclare : « Quoi d’étonnant enfin si le besoin de l’homme de croire à quelque chose, d’avoir solidement ancré en soi quelques principes fondamentaux, se trouve contrarié par la remise en cause constante de tout ce sur quoi l’humanité s’est appuyée pendant des siècles : la famille est souvent dissoute, ou relâchée, la patrie discutée, souvent niée, Dieu est mort pour beaucoup et l’Église elle-même s’interroge sur les voies à suivre et bouleverse ses traditions », allusion transparente au concile Vatican II et à son application.

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Le premier ministre conclut : « Je ne vois de précédent dans notre histoire qu’en cette période désespérée que fut le XVe siècle, où s’effondraient les structures du Moyen-Âge et où, déjà, les étudiants se révoltaient en Sorbonne. À ce stade, ce n’est plus, croyez-moi, le Gouvernement qui est en cause, ni les institutions, ni même la France. C’est notre civilisation elle-même. Tous les adultes et tous les responsables, tous ceux qui prétendent guider les hommes se doivent d’y songer, parents, maîtres, dirigeants professionnels ou syndicaux, écrivains et journalistes, prêtres et laïcs ».

Il juge ainsi légitime que « des personnalités représentatives de toutes les familles spirituelles » soient associées à une réflexion sur la jeunesse. Une sorte de manifeste discret pour une laïcité positive, qui prend acte des limites de ce que l’ordre temporel permet pour répondre aux besoins des hommes. Et qui, sans abdiquer son indépendance, ne juge pas dégradant de dialoguer avec l’ordre spirituel.

Tel est l’état d’esprit de Pompidou lorsqu’il accède à l’Élysée. Le paradoxe est que ce président, à la fois si secret et si ouvert aux choses de l’esprit (il réclamera une messe en grégorien pour ses obsèques, dans son testament rédigé en 1972), ne se rendra pas au Vatican et ne recevra jamais le pape, cas unique parmi les présidents de la Ve République. Comment l’expliquer ?

Deuxième séparation de l’Église et de l’État

À l’époque, Mai 68 reste dans toutes les têtes. Le climat social demeure tendu. Les « questions de société » font la Une de l’actualité. La société française se transforme. La gauche domine culturellement des secteurs-clés de la société (école, université, culture, médias). Quoique fort du soutien du suffrage universel, le président et son gouvernement prennent l’allure d’une citadelle assiégée. Faut-il en conclure que Pompidou préfère ne pas jeter de l’huile sur le feu, alors que l’encyclique Humanae vitae (25 juillet 1968), qui réaffirme l’opposition du pape à la contraception et à l’avortement, a fait de Paul VI, hier si populaire dans les médias, une tête de Turc ? C’est là une conjecture, nullement une certitude.

Car le président lui-même, opposé à l’avortement, ne blâme assurément pas le pape d’exercer son magistère sur ce sujet et ne cherche pas à plaire aux journalistes. Par ailleurs, Pompidou est très sévère pour Vatican II et son instigateur, Jean XXIII, qu’il tient pour un apprenti sorcier, si l’on en croit les propos sévères rapportés par Alain Peyrefitte dans Le mal français (1977).

Si le président a un reproche à adresser à Rome, il est tout différent : Pompidou est ulcéré par l’attitude « progressiste » de nombreux prélats français nommés par le Vatican, comme Mgr Marty, archevêque de Paris, qui apporte son soutien aux activistes de la Gauche prolétarienne condamnés par la justice ou fustige les essais nucléaires de l’armée française. Constatant le désamour entre de nombreux évêques et les autorités publiques, l’historien René Rémond évoque même, en 1972, « une deuxième séparation de l’Église et de l’État », cette fois-ci à l’initiative de l’Église de France.

Les obsèques de Georges Pompidou à Notre Dame de Paris, le 6 avril 1974. Le second président de la Ve République ne s’est jamais rendu Vatican au cours de son mandat prématurément interrompu. AGIP / Bridgeman Images
Si Pompidou et le pape ne se sont jamais rencontrés pendant sa présidence, deux autres raisons qui n’ont aucun rapport avec ces considérations l’expliquent très certainement. D’une part, la brièveté de la présidence de Pompidou, emporté par une cruelle maladie en avril 1974, quatre ans et dix mois après son élection. Une durée aussi courte lui a interdit, à l’évidence, de mener à bien tous ses projets. En outre, en janvier 1969, lorsqu’il n’était plus premier ministre et en froid avec le Général en raison de l’affaire Markovic, les Pompidou s’étaient rendus à Rome et avaient été reçus en audience privé par le pape.

Ils n’étaient donc nullement des inconnus l’un pour l’autre. Surtout, interrogé immédiatement après par un journaliste lors d’une conférence de presse, Pompidou avait annoncé son intention d’être candidat à l’Élysée le moment venu, déclaration qui avait fait sensation à Paris (la presse avait titré sur « l’appel de Rome »). Il est donc probable que le successeur de De Gaulle, une fois élu, a jugé qu’une visite officielle au Vatican serait surinterprétée par les médias.

Giscard, le pape et la loi Veil

Président de 1974 à 1981, Valéry Giscard d’Estaing entretient en revanche des relations difficiles avec le Saint-Siège en raison de la loi Veil (janvier 1975) qui autorise l’avortement en cas de « situation de détresse » sans, à l’époque, en faire à proprement parler un droit (l’incitation à l’avortement demeure interdite, et, à la différence de la contraception dorénavant, l’IVG est alors non remboursée par la sécurité sociale, sauf si l’IVG est motivée par le souci de protéger la santé de la femme ou si celle-ci n’a pas les moyens de payer).

Peu après l’adoption de la loi, Giscard est reçu par Paul VI le 1er décembre 1975. Or leur entretien en tête à tête est tendu : le pape reproche au président la loi Veil et l’intéressé lui répond que sa foi personnelle ne doit pas dicter ses décisions en tant que chef d’un État laïc. Furieux d’avoir essuyé des reproches, Giscard passe ensuite sa colère sur l’ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, Gérard Amanrich, qu’il accuse -à tort ou à raison- de l’avoir assuré que la loi Veil ne serait pas évoquée lors de l’entretien.

Six mois plus tard, l’ambassadeur est limogé et laissé sans affectation. Advient alors un drame qui reste dans les annales du Quai d’Orsay : pris de folie, le diplomate tue son épouse et leur fils à son domicile, puis se constitue prisonnier et se suicide en prison. Giscard évoquera l’affaire dans ses mémoires, Le pouvoir et la vie.

Le triomphe de Jean-Paul II à Paris

Le Saint-Siège a en revanche la satisfaction, cette même année 1975, d’être admis, avec le concours des autorités françaises, à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (1975), qui concluent les Accords d’Helsinki, bélier pour les dissidents des pays d’Europe de l’Est et d’URSS dans leur lutte contre le totalitarisme soviétique. Puis, à l’automne 1978, Giscard est le premier président reçu par le nouveau pape, Jean-Paul II, Polonais dont l’élection le 16 octobre est un évènement de portée mondiale. L’entretien roule sur la guerre au Liban et sur la situation du Bloc de l’Est.

Le 30 mai 1980, enfin, Giscard accueille Jean-Paul II pour son premier voyage, triomphal, à Paris. Dans son allocution Place de la Concorde, le président déclare au pape : « Le peuple français vous souhaite la bienvenue sur le sol du pays qu’une longue tradition désignait comme la fille aînée de l’Église », en utilisant l’imparfait et non le présent.

Puis Giscard prononce ces phrases qui ne sont pas seulement nourries d’arrière-pensées électorales à dix mois de la présidentielle, car l’argumentation a, à l’époque, un caractère d’évidence pour la majorité du pays : « La République française fonde son organisation chacun le sait, sur le respect de la liberté de l’homme, et sur la diversité des opinions. Elle reste fidèle à son histoire et à sa vocation. Une des premières, elle a reçu le message chrétien. Elle l’a servi avec un exceptionnel éclat. Son peuple a donné à la foi chrétienne les humbles artisans qui ont bâti nos églises de village et nos triomphantes cathédrales, les fondateurs des grands ordres monastiques qui ont essaimé dans le monde, les théologiens, les penseurs, et les orateurs qui ont enrichi sa réflexion. Aujourd’hui encore, une religieuse sur dix dans le monde est une Française. »

Après s’être efforcé de démontrer que la France et le Saint-Siège partageaient une communauté d’inspiration, chacune dans son ordre propre, Giscard conclut : « tel est le peuple qui va tourner ses regards vers son illustre visiteur, et chercher dans sa parole et son exemple, une réponse à ses préoccupations essentielles. Tel est aussi le peuple qui s’est toujours interrogé sur le devenir de l’homme et sur le sens de la vie, et qui sera attentif à ce qui viendra éclairer et vivifier sa dimension spirituelle. »

Jean-Paul II répond : « (…) je suis venu vous encourager dans la voie de l’Évangile, une voie étroite certes, mais la voie royale, sûre, éprouvée par des générations de chrétiens, enseignée par les saints et les bienheureux dont s’honore votre patrie, la voie sur laquelle, tout comme vous, vos frères dans l’Église universelle s’efforcent de cheminer. » Et le pape polonais de poursuivre : « Cette voie ne passe pas par la résignation, les renoncements ou les abandons. Elle ne se résout pas à l’affadissement du sens moral, et elle souhaiterait que la loi civile elle-même aide à élever l’homme. Elle ne cherche pas à s’enterrer, à demeurer inaperçue, mais elle requiert au contraire l’audace joyeuse des Apôtres. Elle bannit donc la pusillanimité, tout en se montrant parfaitement respectueuse à l’égard de ceux qui ne partagent pas le même idéal ».

« France, Fille aînée de l’Église »

Giscard et son épouse assistent ensuite à une messe célébrée par le pape à Notre-Dame de Paris, en présence de nombreuses personnalités. Puis, le lendemain 1er juin, au Bourget, devant une foule immense, Jean-Paul II déclare : « De même qu’aujourd’hui je me trouve pratiquement dans la capitale de la France, de même, il y a un an, en ce même jour du premier dimanche après la Pentecôte, je me trouvais dans une grande prairie de l’ancienne capitale de la Pologne, à Cracovie, dans la ville où j’ai vécu et d’où le Christ m’a appelé au Siège romain de l’Apôtre Pierre », référence à son voyage historique dans la Pologne communiste.

Et Jean-Paul II achève son homélie par ces mots célèbres : « Il n’existe qu’un problème, celui de notre fidélité à l’alliance avec la sagesse éternelle, qui est source d’une vraie culture, c’est-à-dire de la croissance de l’homme, et celui de la fidélité aux promesses de notre baptême au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ! Alors permettez-moi, pour conclure, de vous interroger : France, Fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? Permettez-moi de vous demander : France, Fille de l’Église et éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l’homme, à l’alliance avec la sagesse éternelle ? »

L’épisode ne suffira pas à réconcilier Giscard avec tous les catholiques qui avaient voté pour lui sept ans plus tôt. Lors de l’élection présidentielle de 1981, quelque 400.000 voix de catholiques lui auraient fait défaut.

De façon frappante, après sa défaite, Giscard, dans son allocution aux Français à l’avant-veille de la passation de pouvoir, recourt au vocabulaire de Bossuet pour prendre de l’altitude et partir en beauté. Il conclut son allocution par ces mots qui ne manquent pas d’allure : « Dans ces temps difficiles où le mal rode et frappe dans le monde, je souhaite que la Providence [terme qui désigne l’intervention de dieu dans l’histoire humaine, NDLR] veille sur la France, pour son bonheur, pour son bien, et pour sa grandeur ».

Mitterrand, l’Église et la France tranquille

François Mitterrand, issu de la moyenne bourgeoisie de province, a lui aussi été élevé dans le catholicisme. On ne parle jamais d’argent à table. À dix ans, le garçon entre au collège Saint-Paul à Angoulême, tenu par des prêtres du diocèse. En 1934, lorsque le bachelier s’inscrit à la faculté de droit et à l’École libre des Sciences politiques, il loge à l’internat des pères maristes, 104, rue de Vaugirard. Mauriac, un quart de siècle plus tôt, l’a précédé dans ses murs et s’est lié d’amitié avec l’oncle de Mitterrand, mort de la tuberculose à 20 ans. Dès que le jeune homme prometteur monte à Paris, le romancier catholique le reçoit donc et sera toujours bienveillant envers lui.

En 1946, le Rastignac s’appuie sur le clergé local pour se faire élire député de la Nièvre. Deux ans plus tard, devenu secrétaire d’État à l’information, il accepte la proposition audacieuse des Dominicains : retransmettre la messe de Noël à Notre-Dame à la télévision publique, alors balbutiante. Puis Mitterrand donne son accord pour mettre sur les rails ce qui deviendra la plus ancienne émission de télévision, Le Jour du Seigneur (qui s’appelait à l’origine L’émission religieuse).

Après bien des vicissitudes, plus de trois décennies plus tard, en 1981, le candidat du PS dévoile son affiche électorale : « La Force tranquille ». À sa droite un village du Morvan, Sermages, et, à côté de la tête du candidat, une église et un clocher au-dessus de l’horizon. Le haut du clocher, avec sa croix, a été gommé à la demande de Mitterrand, soucieux de ne pas en faire trop. Une France immuable, tranquille, organisée autour de son église, forte de ses racines et de ses traditions. Il ne s’agit pas de galvaniser les électeurs de gauche, mais de rassurer les électeurs de droite.

Après son élection, Mitterrand n’effectue qu’une visite privée au Vatican, le 28 février 1982. Il s’entretient avec Jean-Paul II pendant 1h15, un record à ce jour pour un président français. Le nouvel archevêque de Paris, Jean-Marie Lustiger, les projets de la gauche à l’égard de l’école libre, l’état de siège en Pologne, la guerre civile au Liban, la situation des Lieux saints de Jérusalem sont tour à tour évoqués.

Après l’audience élargie à la délégation qui accompagne le président français, le Souverain Pontife, avant de se retirer, propose médailles de la Vierge et chapelets à ses armoiries à son hôte. Hésitant, Mitterrand n’ose pas en prendre un mais chuchote à un de ses collaborateurs, Michel Vauzelle : « Prenez-en un pour ma sœur », croyante comme leur mère (La décennie Mitterrand, de Pierre Favier et Michel Martin-Roland, tome 1, 1990).

Loi Savary, cas d’école

Le projet de loi Savary va tendre les relations entre le président de gauche et l’épiscopat français ainsi que le Vatican, malgré la réserve et la prudence traditionnelles des papes lorsqu’il s’agit d’une affaire intérieure française. Les 110 propositions du candidat PS, en 1981, prévoyaient la création d’« un grand service public, unifié et laïque de l’éducation nationale », vieille revendication des syndicats d’enseignants proches de la gauche.

Mitterrand a confié ce ministère à Alain Savary, un ancien adversaire qu’il n’aime pas. Ancien Français libre, intègre et respecté, l’homme s’efforce d’élaborer un compromis. Mais le sujet se révèle explosif. Savary reconnaît la liberté d’enseignement et la liberté de choix des parents. Mais, en contrepartie de l’aide accordée par l’État aux écoles confessionnelles sous contrat d’association depuis la loi Debré de 1959, le ministre veut titulariser les professeurs qui y exercent.

Or l’Église craint que l’État n’assujettisse les écoles catholiques à son contrôle. De leur côté, les syndicats d’enseignants du public fustigent Savary, jugé trop conciliant. Tandis que, aux yeux des défenseurs de l’école libre, le privé ne fait que remplir les missions d’une éducation nationale devenue infidèle à ses promesses. Au printemps 1984, la cote de popularité de Mitterrand est au plus bas et le dossier se transforme en affrontement gauche-droite. Le 4 mars, à Versailles, une manifestation rassemble au moins 800.000 personnes pour la défense de l’école libre. Tous les leaders RPR et UDF sont présents.

En mai, les députés socialistes ripostent en durcissant le texte. Avec l’accord de Mitterrand et contre l’avis de Savary, l’Assemblée limite la possibilité pour les communes d’aider financièrement les écoles privées. Le cardinal Lustiger, archevêque de Paris, qui n’est pas n’importe qui dans la France des années 80, dénonce « un manquement à la parole donnée ». Saisi à son tour du projet de loi, le Sénat, à majorité RPR et UDF, mène une guérilla de retardement. Le 24 juin, une deuxième manifestation contre la loi Savary, réunit plus d’un million de personnes à Paris. Le 12 juillet 1984, sans avoir prévenu ni Savary ni Mauroy, Mitterrand annonce le retrait du projet de loi. Savary démissionne, imité par le premier ministre. Les communistes quittent le gouvernement. L’épisode clôt la guerre scolaire.

L’Église et le projet européen

Si le président français ne se rendra pas une nouvelle fois au Vatican, c’est sans doute parce que Jean-Paul II, de son côté, réalise de nombreux voyages en France lors de ses deux septennats -Lourdes (1983), Lyon (1986), Strasbourg, Metz et Nancy (1988), sans compter La Réunion (1989)- et rencontrera souvent l’hôte de l’Élysée à cette occasion. L’histoire a retenu, en particulier, son discours devant le Parlement européen, le 11 octobre 1988. C’est la première fois qu’un souverain pontife s’exprime dans cet hémicycle. Mitterrand a été réélu cinq mois plus tôt et fait de l’approfondissement de la Communauté économique européenne (CEE) le grand dessein de son second septennat.

L’achèvement du marché unique est alors en cours, et la création d’une monnaie commune une hypothèse sérieuse. Or Jean-Paul II s’inquiète de voir la CEE s’éloigner de l’état d’esprit des démocrates-chrétiens qui avaient tant contribué à sa création en 1957 et refuser de faire explicitement référence aux racines chrétiennes de l’Europe.

« Depuis bientôt deux millénaires, l’Europe offre un exemple très significatif de la fécondité culturelle du christianisme qui, de par sa nature, ne peut être relégué dans la sphère privée. Le christianisme, en effet, a vocation de profession publique et de présence active dans tous les domaines de la vie, argumente le pape devant les députés européens le 11 octobre 1988. Aussi mon devoir est-il de souligner avec force que si le substrat religieux et chrétien de ce continent devait en venir à être marginalisé dans son rôle d’inspirateur de l’éthique et dans son efficacité sociale, c’est non seulement tout l’héritage du passé européen qui serait nié, mais c’est encore un avenir digne de l’homme européen – je dis de tout homme européen, croyant ou incroyant – qui serait compromis ».

Pour sa part, Mitterrand, très sensible aux questions spirituelles aussi bien qu’à l’énergie de certains lieux, fréquente, en privé, le philosophe catholique Jean Guitton et se rend tous les ans à la Communauté de Taizé, après avoir gravi la roche de Solutré à la Pentecôte avec ses fidèles. Le 31 décembre 1994, Mitterrand présente ses derniers vœux aux Français et déclare : « L’an prochain, ce sera mon successeur qui vous exprimera ses vœux. Là où je serai, je l’écouterai le cœur plein de reconnaissance pour le peuple français qui m’aura si longtemps confié son destin et plein d’espoir pour vous. Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas ».

Chirac et « l’héritage chrétien » de la France

Jacques Chirac, président de 1995 à 2007, a eu pour grand-père paternel un instituteur radical-socialiste corrézien, anticlérical et franc-maçon. Sa mère obtient cependant que le garçon, très choyé, suive une instruction religieuse et serve un temps un temps la messe. Devenu Chef de l’État, Chirac, d’un tempérament œcuménique, semble entretenir un rapport distancié avec la foi. À la différence de son épouse, Bernadette Chirac, catholique très pratiquante. Néanmoins, il arrive assez régulièrement à l’hôte de l’Élysée d’assister à des messes. Et le président communie quelquefois en public lors de cérémonies solennelles, en particulier, en au moins une occasion, à Notre-Dame de Paris, se souvient Mgr Mathieu Rougé, ancien aumônier des parlementaires, interrogé par Marc Tronchot.

Le 20 janvier 1996, Chirac se rend en visite d’État au Vatican avec son épouse. Le président français, habit noir et nœud papillon blanc, porte le grand collier et la plaque de l’Ordine Piano, décoration très ancienne, refondée par Pie IX en 1847, et que le Saint-Père accorde à des Chefs d’État qu’il reçoit ainsi qu’aux personnalités qu’il veut honorer. Bernadette Chirac est coiffée d’une mantille noire. Après un entretien de quarante minutes avec Jean-Paul II et l’échange de cadeaux diplomatiques, le président déclare au pape qu’il souhaite « témoigner de la fidélité de la France à son héritage chrétien ». Il se rend ensuite à Saint-Jean-de-Latran pour prendre possession de son titre de chanoine honoraire.

Puis, en septembre 1996, le pape se rend en France pour un voyage de trois jours. Accueilli par Chirac et son épouse à Tours, Jean-Paul II se rend sur la tombe d’un saint qui l’inspire particulièrement, Louis-Marie Grignion de Montfort, fondateur de congrégations qui ont marqué le bocage vendéen au XVIIe siècle. Le pape rencontre ensuite plus de 100.000 personnes à Sainte Anne d’Auray (Morbihan), lieu d’un pèlerinage fameux en Bretagne.

Puis, de retour à Tours, Jean-Paul II célèbre les 1600 ans de la mort de l’évêque Saint-Martin et rencontre 400 « blessés de la vie », dont de nombreux handicapés, en la basilique. « Mains serrées, visages caressés, signes de croix sur le front, émotion partagée : la scène évoque des pages de l’Evangile », raconte Joseph Vandrisse, correspondant du Figaro au Saint-Siège (Ce jour-là, Jean-Paul II, 50 dates qui ont marqué son pontificat, Perrin/Mame, 2003).

L’apogée du voyage est la messe qui réunit près de 150.000 personnes autour de Reims pour célébrer les 1500 ans du baptême de Clovis par l’évêque Saint-Rémi. La participation de l’État aux commémorations du 1500e anniversaire du baptême de Clovis -d’ordinaire considéré comme une des dates-clés de la genèse de la France- a suscité à l’époque une polémique.

Dans son discours d’accueil, le 19 septembre 1996, Chirac réaffirme son choix sans vaciller : « Enfin, entouré des évêques de France, Vous célébrerez à Reims le 1500ème anniversaire du baptême de Clovis. Vous soulignerez ce que la conversion du roi païen allait signifier dans l’Histoire, scellant l’union des peuples franc et gaulois, et tissant des liens étroits entre l’Église et une France en devenir, déclare le président. Des liens, un enseignement, des valeurs dont notre pays, sa culture, sa civilisation, son identité même se sont nourris au long du temps. Ainsi, la foi chrétienne devait-elle marquer de son empreinte nos comportements, nos structures, nos institutions éducatives, hospitalières, sociales. Nos villes et nos campagnes en portent l’admirable témoignage. »

Et Chirac de poursuivre : « Oui, Très Saint-Père, par-delà les siècles, la France républicaine et laïque, la France de la Déclaration des droits de l’homme, respectueuse des croyances et des convictions de chacun, respectueuse de tous les cultes et de leur libre expression, mais la France aussi, vieille nation, façonnée par l’Histoire et par l’Esprit, demeure fière de ses racines. La France, dont tant de filles et de fils se reconnaissent aujourd’hui dans le message évangélique. ».

Les JMJ de 1997

Chirac et Jean-Paul II se retrouveront onze mois plus tard, à Paris, pour les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ). Le président a perdu les législatives anticipées qu’il a provoquées au printemps 1997 en décidant de dissoudre l’Assemblée. Lionel Jospin est désormais premier ministre, à la tête d’un gouvernement dit de gauche plurielle. Organisées par Mgr Lustiger, les JMJ de Paris s’achèvent le 24 août 1997 par une messe qui rassemble un million de personnes, dont 300.000 pèlerins étrangers venus de 160 pays. L’hippodrome de Longchamp, lieu du rassemblement, se révèle trop étroit pour les accueillir tous.

C’est peut-être la plus grande messe de l’histoire de France. La veille, 150.000 cierges s’étaient allumés dans la nuit pour une liturgie baptismale, c’est-à-dire une cérémonie de baptême d’adultes. La plupart des médias sont surpris de la jeunesse et la ferveur des participants. Jean-Paul II rend hommage au père Joseph Wresinski, fondateur d’ADT Quart-monde ; il béatifie Frédéric Ozanam, fondateur de la société de Saint-Vincent-de-Paul ; et le pape, malgré une polémique, se rend en visite privée sur la tombe du professeur Jérôme Lejeune, dans une commune de l’Essonne.

Lors du second mandat présidentiel de Chirac (2002-2007), convergences et dissensions alternent entre l’Élysée et la Papauté. Jean-Paul II se réjouit que le Chef de l’État refuse d’engager la France aux côtés des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne lors de la deuxième guerre d’Irak (février-mars 2003). En revanche, le Saint-Siège se navre de voir Chirac demander - et obtenir - l’abandon de la référence aux racines chrétiennes de l’Europe dans le Préambule du traité constitutionnel européen élaboré en 2004. Du point de vue de la Papauté, c’est un revirement injustifié par rapport aux déclarations antérieurs du président français sur le sujet.

C’est en France que Jean-Paul II, âgé et souffrant, réalise son dernier voyage, lors d’un pèlerinage à Lourdes le 15 août 2004. Il meurt le 2 avril 2005. Le Sacré-Collège désigne son successeur, qui devient pape sous le nom de Benoît XVI.

La « laïcité positive » de Sarkozy

Chirac, pour sa part, quitte la présidence de la République en mai 2007 et cède la place à Nicolas Sarkozy. Le nouveau Chef de l’État a reçu une éducation chrétienne sans paraître en avoir été particulièrement marqué. Son goût de la publicité et son rapport décomplexé avec la réussite et l’argent heurtent une tradition catholique de discrétion à cet égard. Il est par ailleurs le premier divorcé à occuper la plus haute charge de l’État.

Lorsqu’il accède à l’Élysée, l’ancien ministre de l’Intérieur en charge des Cultes a souvent manifesté son admiration pour des hommes de foi. Et le nouveau Chef de l’État défend ce qu’il appelle « la laïcité positive ». Sarkozy juge injuste de regarder avec suspicion les représentants des religions qui s’expriment dans l’espace public. Leur participation à la société civile donne aux religions, à ses yeux, le droit de participer au débat politique.

« La République devrait-elle écouter les avis de tous les experts, de tous les lobbies et ne jamais entendre ce que des hommes et des femmes qui consacrent leur vie à la transcendance ont à lui dire ? », lance-t-il volontiers (Le mystère Sarkozy, Samuel Pruvot, 2016). Accusé par ses adversaires d’importer le modèle communautariste américain et de considérer ses interlocuteurs religieux comme des apporteurs de voix à cajoler, l’intéressé n’en a cure. Et il aime provoquer.

Le président français se rend en visite officielle au Vatican le 20 décembre 2007 et est reçu par Benoît XVI. Pour ses électeurs attachés aux convenances, la scène est pénible. Sarkozy arrive en retard à l’audience. Après leur entretien en tête à tête, il tapote amicalement l’épaule du pape comme si c’était un électeur. Le président français consulte son téléphone portable en présence du souverain pontife. Et, parmi les invités qui accompagnent Sarkozy et que celui-ci présente au pape, figure un hôte improbable : l’humoriste Jean-Marie Bigard, homme de foi qui a soutenu sa candidature à l’Élysée. Présenté au pape par Sarkozy, l’humoriste se montre tout à fait respectueux. Mais après avoir expliqué à Benoît XVI que Bigard donnait généreusement aux œuvres de l’Église, le président français ne peut se retenir d’ajouter : « Vous vous rendez compte, cet homme a rempli le Stade de France ! ».

Sarkozy gagne ensuite la basilique Saint-Jean-de-Latran et prend possession de son titre de chanoine honoraire. Lors de l’office, célébré devant un parterre de cardinaux, il se signe. Puis le président français se rend dans la salle de la signature du palais du Latran et prononce un discours.

« La laïcité ne saurait être la négation du passé. Elle n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n’aurait pas dû, argumente Sarkozy. La morale laïque risque toujours de s’épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration à l’infini ».

Puis il ajoute des mots imprudents qui, en France, vont susciter une de ces polémiques un peu vaines dont nous avons le secret : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ».

Benoît XVI, pour sa part, se rend à Paris en septembre 2008. Grand intellectuel, élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques lorsqu’il était cardinal, le pape, accueilli par le Chef de l’État, prononce aux Bernardins, devant un parterre de représentants du monde de la culture, un discours fameux contre le relativisme et sur la nécessité, pour l’Europe, de demeurer fidèle à son héritage et sa vocation.

Le président français rencontrera de nouveau Benoît XVI au Vatican, le 8 octobre 2010, après son discours controversé à Grenoble sur les causes de la délinquance, qui avait suscité les critiques de certains prélats français. Il assiste à la prière du Notre-Père, se signe en public dans la basilique Saint-Pierre et se recueille à la Chapelle du Saint-Sacrement puis à la chapelle de Sainte-Pétronille. En définitive, au terme de son quinquennat, les positions de Sarkozy sur « la laïcité positive » n’auront eu aucune traduction législative. La loi de 1905 demeurera inchangée sous sa présidence.

Hollande et la coexistence pacifique

François Hollande, qui succède à Sarkozy à l’Élysée de 2012 à 2017, paraît le président le plus éloigné de la religion et des questions spirituelles. Il n’éprouve, envers les églises, aucune hostilité. Et considère les représentants des grandes confessions comme une composante légitime de la société civile au même titre que les syndicats ou de grandes associations, mais rien de plus. Un éloignement des questions de foi d’autant plus singulier que Jacques Delors a été son mentor. Et que, dans son entourage, on compte de nombreux chrétiens de gauche.

Hollande a reçu une instruction religieuse catholique avant de s’en éloigner, et a été élève des Frères des écoles chrétiennes à Rouen. Peut-être en a-t-il conservé malgré tout l’idée qu’il convient de dialoguer avec chacun. Qu’une bonne négociation doit s’achever sans vainqueur ni vaincu. Et qu’il faut viser, sinon la réconciliation, du moins une coexistence pacifique avec tous, ce qui implique de n’humilier personne.

Le quinquennat de Hollande a été marqué par la loi sur le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels (2013), engagement de campagne du candidat PS. La loi a suscité un puissant mouvement d’opposition, « La Manif pour tous », qui a rassemblé, à plusieurs reprises, des centaines de milliers de manifestants au bas mot. Le Saint-Siège, sans cacher son opposition à la loi, a laissé aux évêques de France le soin d’intervenir dans le débat public. La hiérarchie catholique a été surprise par l’ampleur de « La Manif pour tous », ainsi que par la jeunesse des organisateurs et des participants.

Ce n’est qu’une fois la loi adoptée, en mai 2013, et les premiers mariages de couples homosexuels célébrés, que François Hollande se rend au Vatican : il est reçu par le pape François le 21 janvier 2014 (François avait succédé à Benoît XVI après la renonciation de celui-ci en février 2013). Les deux chefs d’État semblent avoir laissé de côté les autres sujets de dissension au cours de leur entrevue : bioéthique, euthanasie, guerre civile en Syrie (le pape s’est opposé, en août 2013, aux bombardements contre Assad projetés par Washington et Paris après l’utilisation, par Damas, d’armes chimiques). Les deux chefs d’État paraissent s’être entretenus de sujets consensuels tels l’environnement.

Parmi la délégation de Hollande, on relève la présence de l’avocat Jean-Marie Mignard, intime du président socialiste et codirecteur de Témoignage chrétien, de Bernard Poignant, ancien maire de Quimper, terre bretonne typiquement passée du catholicisme à la social-démocratie, et de Nicolas Hulot. Comme Mitterrand avant lui, Hollande ne prend pas possession de son titre de chanoine d’honneur de la basilique Saint-Jean-de-Latran. Il se rendra de nouveau au Vatican pour un entretien avec François, en août 2016, après l’assassinat du père Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray.

De la francophilie à la tiédeur polie

Président depuis 2017, Emmanuel Macron, ancien élève du collège de la Providence d’Amiens, dirigé par des pères jésuites, indique avoir reçu le baptême une fois au collège et à sa demande. (2017, Les candidats à confesse, entretiens avec Samuel Pruvot). Il explique avoir été, à l’époque, « très fasciné » par les Exercices Spirituels d’Ignace de Loyola, mais se déclare désormais agnostique. Le 26 juin 2018, il se rend au Vatican et s’entretient avec François pendant près d’une heure, durée exceptionnellement longue. Le Chef de l’État a-t-il entrepris d’éblouir le pape par son agilité intellectuelle ? Macron, en tous cas, se rend ensuite à Saint-Jean-de-Latran et prend possession de son titre.

Les relations entre les deux hommes prennent place dans un environnement nouveau. Les papes ont très longtemps été à la fois francophiles et francophones. Ils éprouvaient une sollicitude et une affection particulière pour la France, toujours la fille aînée de l’Église à leurs yeux. Et, jusqu’à Benoît XVI, jugeaient naturel de maîtriser notre langue.

Tel n’est plus le cas aujourd’hui. Le Saint-Siège n’accorde plus une attention particulière à la France ni même à l’Europe, et considère avant tout les autres continents. Une tiédeur polie pourrait succéder aux rapports plus exigeants d’antan. Le jugement de De Gaulle dans ses Mémoires de guerre, lorsqu’il raconte l’audience que lui a accordée le pape à sa demande, le 30 juin 1944, n’en demeure pas moins exact : « Rome, du haut de sa sérénité, regarde de siècle en siècle couler au pied de ses murailles le flot des hommes et des événements sans cesser d’y être attentive »."

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