Revue de presse

Ph. d’Iribarne : « Islam : pourquoi beaucoup, en France, s’interdisent de nommer les faits qui gênent » (Le Figaro, 31 juil. 19)

Philippe d’Iribarne, sociologue, directeur de recherche au CNRS. 31 juillet 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"[…] Face à l’islam, la gauche paraît particulièrement à la peine quand il s’agit de reconnaître l’existence de faits problématiques. Mais la droite elle aussi a du mal à se situer.

La gauche s’affirme passionnément attachée à la liberté et à l’égalité. Or, les pays musulmans témoignent jour après jour du fait que l’islam fait mauvais ménage avec l’une et l’autre

La gauche s’affirme passionnément attachée à la liberté et à l’égalité. Or, les pays musulmans témoignent jour après jour du fait que l’islam fait mauvais ménage avec l’une et l’autre. La liberté de conscience y est malmenée : aucun ne reconnaît le droit pour un musulman de se convertir à une autre religion.

Aucun n’accepte pleinement dans la loi l’égalité entre hommes et femmes. […]

On pourrait donc s’attendre à ce que la gauche dénonce massivement cette hostilité aux valeurs de la République. C’est bien ce que fait une partie d’entre elle, que l’on peut qualifier de républicaine. Mais la majorité d’une gauche dite antiraciste dénonce plutôt ceux qui jettent sur le monde musulman un regard empreint de réalisme. C’est que toute une conception de ce que c’est qu’être de gauche, d’avoir une identité de gauche, est à l’œuvre.

La gauche se veut l’héritière de la Révolution française, ennemie de l’Ancien Régime, avec ses privilèges, les mille distinctions qui structuraient la vie sociale entre nobles et roturiers, maîtres et serviteurs, chrétiens et juifs, aînés et cadets, enfants légitimes et naturels. Son rapport au monde est aussi nourri de la mémoire d’innombrables luttes menées contre toutes les formes d’oppression exercées par un segment de la société sur un autre, l’esclavage, l’exploitation des travailleurs, la Shoah. Il s’agit donc pour elle d’œuvrer à l’avènement d’une société de citoyens que rien ne distingue, dans une vision de la nation exclusivement politique, refusant tout attachement, volontiers qualifié d’ethnique, à un héritage singulier.

Dans cette perspective, seuls ceux qui diffèrent par leurs options politiques, progressistes et conservateurs, méritent d’être distingués. Il convient, pour beaucoup à gauche, d’effacer toutes les distinctions traditionnelles, progressivement vouées aux poubelles de l’histoire, jusqu’à celles qui ont longtemps paru aussi naturelles que la distinction entre hommes et femmes. […]

Comment dès lors constater et analyser ce qui singularise l’islam, entre les difficultés d’une démocratie pluraliste à prospérer dans les pays musulmans, le statut qui y est réservé aux minorités religieuses, le terrorisme mené au nom d’Allah, ou, dans notre pays, les mouvements qualifiés de « partition » ou de « sécession » par les derniers présidents de la République ?

Reste la construction d’un mythe dont l’objet, affirme Lévi-Strauss, « est de fournir un modèle logique pour résoudre une contradiction (tâche irréalisable si la contradiction est réelle) ». Un islam imaginaire, « religion de paix », protégé par une sorte de muraille de Chine de ce qu’enseigne l’observation, est présenté comme le « vrai islam ». Tout ce qui questionne l’image d’Épinal ainsi construite est réputé n’avoir « rien à voir avec l’islam » ou du moins relever de simples « dérives ».

Si celles-ci concernent l’ensemble des pays musulmans, ce qui suggère qu’elles ont un caractère structurel, il s’agit, est-il affirmé, d’un pur concours de circonstances. Les musulmans qui sombrent dans le terrorisme ont des problèmes psychiatriques ou sont victimes de sociétés qui les rejettent. Alors que la colonisation française du Maghreb est déclarée « crime contre l’humanité », la colonisation musulmane de l’Espagne est présentée comme éminemment civilisatrice, facteur de culture et de paix. Une option minimale permet de reconnaître l’existence d’aspects sombres de l’islam, tel le fait de réserver aux femmes un statut inférieur, mais à condition de déclarer que toutes les religions font de même.

Et puis, comme la meilleure défense est l’attaque, ce sont ceux qui prêtent attention aux aspects problématiques de l’islam qui sont dénoncés, déclarés islamophobes, accusés d’être aveuglés par une hostilité viscérale envers l’islam en soi et les musulmans en tant que tels. Là encore, le discours ne veut rien connaître des faits.

Une observation attentive montre que ce que les sociétés occidentales rejettent massivement n’est nullement l’islam comme foi mais un ordre social islamique, ennemi de leurs valeurs cardinales de liberté et d’égalité. Loin d’être hostiles de manière indiscriminée aux musulmans, elles réservent un bon accueil à ceux qui cherchent à s’y intégrer. Mais, dans une vision de gauche, le simple fait de scruter sans a priori la réalité du monde musulman fait scandale, car cela risque de conduire à « stigmatiser » un groupe particulier de citoyens.

Face à cette construction idéologique, la droite s’unirait-elle pour construire un discours de vérité ? Il n’en est rien. Certes, opérer des distinctions entre les citoyens ne la choque pas. Sa vision de l’égalité reste largement celle d’Aristote : traiter de manière égale ce qui est semblable et de manière inégale ce qui diffère. Prêter attention aux spécificités du monde de l’islam s’impose donc. Mais elle est engluée elle aussi dans des imaginaires qui diffèrent, pour reprendre la distinction classique de René Rémond, entre les trois droites.

Pour la droite légitimiste, attachée à l’héritage de la France de toujours, l’islam est un corps étranger, à considérer en bloc ; les musulmans doivent s’assimiler jusqu’à respecter scrupuleusement les us et coutumes de leur nouvelle patrie et l’idéal serait qu’ils disparaissent en changeant de religion. La droite bonapartiste croit à la toute-puissance de l’État et considère qu’il va de soi que si celui-ci se montre suffisamment ferme, les musulmans se comporteront en bons citoyens tout en pratiquant dans le privé une religion qui a, en soi, trop peu d’importance pour mériter qu’on s’y intéresse. Pour la droite orléaniste, les musulmans forment une collection d’individus indépendants dont chacun a le droit d’agir à sa guise, et il n’y a pas lieu de prêter attention à l’emprise collective d’un islam social et politique. […]"

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