Revue de presse

P. Sastre : « La sororité est une immense arnaque » (Le Figaro, 19 déc. 23)

(Le Figaro, 19 déc. 23). Peggy Sastre, journaliste scientifique et essayiste 19 décembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"ENTRETIEN - Pour l’essayiste et journaliste Peggy Sastre [1], l’agression filmée d’une jeune fille à Lyon montre l’absence de solidarité féminine et illustre le rôle paradoxal que les femmes exercent dans le maintien de ce que certains appellent la « domination masculine ».

Par Eugénie Bastié

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Lire "Jeune fille tabassée à Lyon : « La sororité est une immense arnaque »".

LE FIGARO. - La vidéo d’une jeune femme tabassée par d’autres jeunes filles à Lyon a fait beaucoup réagir. On n’est pas habitué à voir de la violence intraféminine… Celle-ci est-elle exceptionnelle ?

Peggy SASTRE. - C’est une réalité, même si elle est moins fréquente, et globalement moins directe que la masculine.La violence létale est très majoritairement masculine, par exemple - et concerne des hommes qui ciblent aussi très majoritairement des hommes. Comme souvent, ce sont des tendances que l’on retrouve dans bien d’autres espèces animales, et en particulier chez les primates. On fait donc fausse route en croyant qu’il en va uniquement de facteurs socioculturels. Cela étant dit, ce qui est intéressant ici, par ailleurs, c’est que le tabassage se double d’une vidéo, a priori diffusée par les agresseuses elles-mêmes. On touche une certaine spécificité féminine : non seulement on « sanctionne » la « contrevenante », mais on cherche aussi à faire passer un message chez celles qui seraient tentées de l’imiter. La stratégie est autant punitive que dissuasive et les armes autant interpersonnelles que sociales. Le groupe, la communauté, est mis à profit pour s’assurer de l’efficacité de la manœuvre.

On est loin du mythe de la « sororité »…

La sororité, telle qu’elle semble conceptualisée par certains milieux féministes, est une immense arnaque. Je le détaille dans La Haine orpheline : les êtres humains sont intrinsèquement conflictuels. Et quand il y a (et il y a, évidemment) coopération, elle est un moyen pour avoir l’ascendant dans un conflit. Pour paraphraser Zamiatine, les humains peuvent survivre sans dieu, mais jamais ils ne peuvent se rassembler sans diable. Dans ce cadre, les hommes ont une capacité à nouer des alliances collectives que les femmes n’ont pas, car elles fonctionnent plutôt sur un mode dyadique. Au-delà, des rivalités se font jour et l’entente devient difficile à maintenir. Si les féministes n’ont jamais fait de guerre (ou même mis sur pied de parti un tant soit peu efficient), ce n’est pas parce que les femmes seraient essentiellement plus paisibles et pacifistes que les hommes, c’est qu’elles sont incapables de s’oublier dans un objectif qui les dépasse et, dès lors, de se placer « comme un seul homme » derrière un chef, d’autant plus s’il s’agit d’une femme.

Les femmes sont bien plus égalitaristes que les hommes, elles ont moins le sens et le goût de la hiérarchie. Leurs alliances sont donc relativement plus fragiles et éphémères. Bien des anthropologues et biologistes du comportement ont d’ailleurs démontré qu’hommes et femmes n’abordent pas le conflit de la même façon. Voyez la synthèse que propose Robin Dunbar, professeur à Oxford, dans Amitiés (Markus Haller) : un homme aura tendance à privilégier une stratégie frontale, directe, à exprimer ouvertement ses inimitiés, tandis qu’une femme se fera plus hypocrite et passera davantage par la rumeur et le commérage. Elle exploitera en priorité des ressources sociales et non physiques pour résoudre un conflit. Ce qui est d’ailleurs souvent plus efficace, car davantage de discrétion diminue les risques (et la vigueur) du retour de bâton…

Il semblerait qu’il s’agisse d’une expédition punitive suite à une plainte pour viol de la victime. Cela illustre-t-il le rôle que peuvent tenir les femmes dans le maintien du patriarcat ? Les femmes peuvent-elles se faire les auxiliaires zélées de la domination masculine ?

Je dirais même plus : ce qu’on appelle la « domination masculine » ne pourrait exister et perdurer sans le concours parfaitement volontaire des femmes, tant cela peut favoriser leurs propres intérêts. On le constate dans beaucoup d’enquêtes faites de par le monde : les franges les plus sociétalement conservatrices des opinions sont très majoritairement féminines. C’est d’ailleurs passionnant d’y voir la compétition intrasexuelle à l’œuvre. Les femmes sont celles qui poussent en priorité aux progrès sociétaux (la légalisation de l’avortement, la PMA, le mariage gay, etc.), même si leurs architectes sont tendanciellement des hommes (qui constituent soit dit en passant les franges les plus libertaires et individualistes), mais ce sont d’autres femmes qui y sont violemment défavorables.

Aux États-Unis, par exemple, la « nouvelle » révolution conservatrice trumpiste n’aurait pas pu décoller sans l’enthousiasme des femmes blanches d’âge moyen voire avancé. En petit, on en a une traduction dans cette fameuse expédition punitive : la meneuse est une fille voilée, la victime ne l’est pas. Ce qui traduit en outre le mode opératoire des normes comportementales contraignantes, dont l’islamisme est un cas paradigmatique : sans terreur, elles ne s’enracinent pas.

Bizarrement, on n’a pas vu les principales associations féministes réagir, alors qu’elles ont beaucoup réagi sur les propos de Depardieu ou les accusations à l’égard de Beigbeder. Y voyez-vous une forme d’aveuglement ?

J’y vois surtout, et malheureusement, du désintérêt. Les féministes orthodoxes contemporaines sont dans une bonne vieille logique de guerre culturelle. Mettre les mains dans le caca, se frotter à des populations « défavorisées » ne les motive pas. Elles veulent la lumière et visent à « contrôler le narratif ». Elles s’attaquent donc en priorité à tout ce qui leur semble statutaire, si ce n’est prestigieux. Sans compter que taper sur des mâles blancs en perte de vitesse est une entreprise largement plus rentable… car les frais et les risques sont bien moindres que si elles entendaient faire la leçon aux grands frères (et grandes sœurs) des « territoires perdus de la République »."

[1Docteur en philosophie des sciences, Peggy Sastre est journaliste au « Point », essayiste et traductrice. Elle a notamment publié « La Haine orpheline » (Anne Carrière, 2020) et « La domination masculine n’existe pas » (Anne Carrière, 2015).


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