"Fin de vie, la liberté de choisir" (CLR, 28 oct. 17)

P. Kessel : "Le droit à mourir dans la dignité : une nouvelle avancée de la liberté de conscience" (Colloque du 28 oct. 17)

Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République. 28 octobre 2017

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La laïcité ne se réduit pas à une loi, fut-elle essentielle comme la loi de séparation des églises et de l’Etat qui permet, selon la formule de Victor Hugo, à l’Eglise d’être chez elle et à l’Etat d’être chez lui. Elle ne se réduit pas au dialogue interreligieux, par ailleurs souhaitable que certains voudraient lui substituer. Elle ne compose pas avec les revendications différencialistes des communautaristes.

La laïcité, c’est le mouvement philosophique qui ouvre la voie à l’extension de la liberté de conscience pour chaque homme et chaque femme et conduit l’humanité sur son chemin d’émancipation.

C’est elle, et elle seule, qui garantit à chaque citoyen, quels que soient ses origines, ses convictions, son sexe, la liberté absolue de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire, d’adhérer à une religion, d’en changer, de la critiquer, de s’en moquer aussi, de disposer de soi-même. De la même façon qu’elle garantit l’égalité en droits et en devoirs entre tous les citoyens quelles que soient leurs singularités. Qu’elle protège la paix sociale.

Elle est le fruit d’une longue chaîne de femmes et d’hommes courageux, engagés contre les dogmes et les préjugés, au risque de l’embastillement, de la mise à l’Index, des bûchers de l’Inquisition.

Il a fallu des siècles pour dissocier le religieux de la Cité, pour séparer les églises du pouvoir politique. Pour faire émerger cette idée de la femme, de l’homme, libre et responsable, de la citoyenneté universaliste.

Cet héritage de la Révolution française et des Lumières est plus fragile que nos contemporains l’imaginent ainsi qu’en témoigne l’inquiétant retour du religieux dans la sphère politique et dont l’islamisme politique constitue l’illustration la plus menaçante mais qui n’est pas la seule. Ainsi chez nous, la séparation des églises et de l’Etat se trouve-t-elle parfois contournée par les pressions communautaristes en faveur de dispositions différencialistes qui fragilisent les principes fondateurs de notre République.

C’est pourquoi le Comité Laïcité République demeure très vigilant, les attaques ne venant pas toutes des adversaires traditionnels de la Laïcité.

Il a fallu des siècles pour conquérir la liberté de penser, de s’exprimer, d’imprimer, de croire ou de ne pas croire, de douter. Pour mettre en place l’école laïque et républicaine qui a tant besoin d’être reinstituée. Chaque liberté individuelle a du être conquise de haute lutte, en particulier contre l’Eglise romaine pour qui l’homme, et qui plus est la femme, ne devaient pas devenir maitres de leur destin. Souvenons-nous des batailles menées pour arracher l’égalité entre hommes et femmes, la contraception, l’IVG, le mariage pour tous, la PMA, les premières lois bioéthiques.

Le droit à mourir dans la dignité constitue une nouvelle étape de ce mouvement d’émancipation. Henri Caillavet, ancien Président du CLR et créateur de l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité a ouvert la voie. Mais pourquoi cette étape est-t’elle si difficile à franchir ? Probablement parce que nous touchons au noyau dur. La mort pour les religions du Livre, doit échapper aux humains. La vie, la mort plus encore, ne leur appartiendrait pas.

En fait, le sujet est tabou, parce que l’angoisse de mort constitue le terreau sur lequel s’est édifié le pouvoir des églises sur les hommes. C’est là que nichent les formes résiduelles de l’obscurantisme. La mort, selon elles, devrait demeurer un espace interdit à la liberté de conscience.

Il est tout à fait louable que certains croient que la vie leur aurait été donnée par le Créateur et que seul celui-ci aurait le droit de la retirer. Que la douleur serait rédemptrice. Mais en quoi ces croyants auraient-ils le droit d’imposer leur règle, à celles et ceux qui essaient de se poser en maître de leur destin ?

En réalité, le problème n’est plus philosophique dès lors que, selon les sondages, de 80 à 90 % de nos concitoyens, parmi lesquels de nombreux croyants, se déclarent favorables à la liberté de pouvoir choisir sa fin de vie. Le problème est politique. Il a déjà trouvé solution dans de nombreux pays, aux Pays-Bas, en Belgique, en Suisse, dans plusieurs états nord-américains et depuis quelques jours dans l’état de Victoria en Australie. Aucun des malheurs annoncés par les détracteurs de cette liberté de choisir n’est advenu. Nos invités belge et suisse en témoigneront dans quelques instants.

Curieusement personne ne semble vouloir sereinement étudier leur expérience.
Pourquoi la France, République laïque pétrie de la philosophie des Lumières, est-elle en retard sur des pays commue la Belgique où les églises sont pourtant plus présentes dans la vie sociale ? Pourquoi les politiques, les anciens Présidents de la République de droite et de gauche, n’ont-ils pas osé franchir le Rubicon ?

On évoquera les petites avancées en faveur des soins palliatifs qu’il ne faut pas rejeter d’un revers de la main. Mais la réalité, comme le dit le député et professeur de médecine Jean-Louis Touraine, c’est qu’en France "on meurt mal" et qu’il "convient de sortir de ce déni". Sortir de cette hypocrisie qui ne veut pas voir qu’il faut partir à l’étranger pour mourir dans la dignité comme hier il il fallait se rendre à Londres ou à Bruxelles pour pratiquer une interruption de grossesse sauf à risquer sa vie dans des avortements clandestins.

Il a fallu l’audace des "343 salopes" lançant un appel au droit à l’IVG dans le Nouvel Observateur, l’audace de Valéry Giscard d’Estaing, le courage de Simone Veil, la détermination d’une majorité de députés des deux rives de la République pour voter le principe de l’interruption de grossesse. Pourquoi cela serait-il impossible aujourd’hui ?

Jean-Louis Touraine, député du Rhône et Olivier Falorni, député de Charente-Maritime ont chacun déposé une proposition de loi afin que la République reconnaisse enfin la liberté de choisir sa fin de vie. La ministre de la Santé a fait savoir cette semaine qu’elle était favorable aux soins palliatifs mais pas vraiment au droit à mourir dans la dignité. Le Président de la République au cours de la campagne présidentielle avait semblé favorable à cette nouvelle liberté. Osera-t’il avancer en ce sens comme François Mitterrand le fit en faisant abroger la peine de mort ?

Notre colloque se veut contribution à un débat serein afin, comme ce fut le cas pour l’IVG, de rassembler les républicains progressistes des deux rives, les femmes et les hommes de bonne volonté. Afin de lever les inquiétudes, les blocages, nous avons souhaité comprendre comment ce droit à choisir sa fin de vie fonctionne dans les pays qui l’ont adopté. Quels butoirs ont-ils retenu pour éviter toute dérive que certains pourraient craindre ? Quelles expériences ont-ils tiré de plusieurs années de pratique ? Comment se prennent les décisions ? Comment sont traités les cas où la personne concernée ne peut plus s’exprimer ? Quelles responsabilités pour les médecins ?

C’est pourquoi nous avons pris le parti de donner la parole à des spécialistes compétents qui nous expliqueront comment, dans leur pays, fonctionne cette liberté de choisir sa fin de vie. Je remercie Christiane Vienne, ancien ministre de la santé de Wallonie-Bruxelles et Jerome Sobel, président de l’association Exit pour le pays de Vaud en Suisse, d’être venus spécialement à Paris nous faire part de leur expérience.



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