Tribune libre

Non, Daech n’est pas révolutionnaire (J. Glavany)

Jean Glavany, député PS des Hautes-Pyrénées, ancien ministre. 29 octobre 2015

"Paris, le 22 octobre 2015

Cher Michel Wieviorka,

Nous nous connaissons peu, même si nous nous sommes croisés dans les cercles de travail que nous avons politiquement en commun, mais j’ai pour vous estime et respect et je lis vos productions intellectuelles avec une vive attention, depuis de longues années.

C’est à ces titres que je tiens à réagir à votre édito intitulé « Daech, la Terreur et la diplomatie » publié dans Ouest France le 9 juin 2015 dont je n’ai pris connaissance que très récemment.

Vous deviez vous attendre à des réactions comparables à la mienne puisque, d’entrée de jeu, vous écrivez : « La comparaison historique entre Daech et la France de Robespierre choquera peut-être ». Je vais transformer ce « peut-être » en certainement car… j’ai été très choqué.

Parce que comparaison, vous le savez, n’est pas raison. Et cela, à double titre :

  • Comparaisons entre des périodes historiques et des situations si différentes : Daech et sa guerre obscurantiste s’inscrivent-ils dans un processus révolutionnaire ? J’ai du mal à en voir les signes ! Mais si tel était le cas, au nom de quelles valeurs cette révolution serait-elle menée ? Des valeurs inverses, opposées de celles des Lumières. Et la Terreur de 1793 peut-elle être déconnectée de ce processus révolutionnaire ? J’ai du mal à ne pas le croire. Il ne s’agit pas pour moi d’exonérer Robespierre et sa Terreur de leurs crimes sous prétexte qu’il fut un révolutionnaire porteur de valeurs universelles quelques années auparavant, mais de m’inscrire dans l’école de F. Furet qui consiste à prendre la Révolution française comme un tout, avec ses lumières (LES lumières !) et ses ombres.

Mais avec Daech, quelles lumières ? Franchement cette comparaison-là me trouble et me choque car elle laisse entendre soit que la Révolution française ne fut qu’ombres, soit que Daech cacherait des Lumières… Invraisemblable.

  • Mais il y a peut-être plus grave : les comparaisons entre organisations et votre subtil distinguo entre Daech et Boko Haram d’une part, Al Qaïda d’autre part, sous prétexte que les premiers n’aspireraient qu’à construire un Etat tandis que Al Quaïda serait une organisation purement terroriste sans visée politique relative à un Etat.

Le distinguo me laisse pantois : voilà que les organisations qui assassinent, qui décapitent, violent les femmes et, accessoirement détruisent un patrimoine historique, pourraient amener à l’indulgence non seulement parce que la Terreur n’a pas fait mieux dans le passé mais de plus, parce que le futur cacherait l’éventualité de la construction d’un Etat, ou d’Etats aujourd’hui « balbutiants mais en formation ». C’est assez ahurissant comme logique.

Et comme je vous lis avec attention et une grande précision, je vois que le principal argument de ce distinguo serait le refus de confondre le terrorisme global de groupes non étatiques voire
l’action d’individus ou de petits groupes isolés… et l’affirmation de ces Etats. Mais où se trouve la frontière ? A partir de quand dirait-on « Ah mais vous, je vous pardonne vos horreurs parce que vous voulez créer un Etat » ?

Vous avez raison de dire qu’il s’agirait d’un choix majeur entre l’isolement politique desdits Etats – dont on peut aussi ne pas se résigner à la création ! – ou le réalisme oublieux des horreurs qui marquent (marqueraient ?) la phase émergente de ces Etats. Serait-ce le choix entre la guerre ou la diplomatie ? Comme si la diplomatie serait la fatalité d’accepter les horreurs, tôt ou tard ! La communauté internationale n’a-t-elle pas combattu l’apartheid en Afrique du Sud en restant ferme sur ses valeurs aux côtés de Mandela et des siens ?

Au-delà de ces deux divergences de fond sur votre approche, s’en cache sans doute une troisième, qui touche à l’extrême confusion qui règne derrière ce type de raisonnement et que je vois se développer dans notre pays, et au sein de la Gauche notamment, à propos de l’Islam et de l’islamisme.

En France, et souvent à Gauche, critiquer l’Islam – droit fondamental pourtant comme on peut critiquer le pape et la religion catholique – ce serait être islamophobe. Ce serait renier le « droit à la différence » comme si celui-ci pouvait amener à la différence des droits.

En France, et souvent à Gauche, on veut bien dire « Je suis Charlie » mais on s’en excuse aussitôt en précisant « oui mais, avec leurs caricatures, ils ont exagéré ».

En France, et souvent à gauche, on prend prétexte que Madame Le Pen et Sarkozy se sont emparés abusivement de la Laïcité pour n’en faire qu’un combat contre la religion et une seule, pour se précipiter à réduire à tout prix la laïcité à l’antiracisme.

En France, et souvent à Gauche, on est tellement obnubilés par le respect des droits – et notamment ce droit à la différence – qu’on en oublie les devoirs, à commencer par le devoir de construire le commun.

Et voilà qu’en France, et toujours à Gauche, on voudrait, toujours au nom de la même confusion, du refus de l’islamophobie, du droit à la différence, nous amener à distinguer Daech d’Al Quaïda !

Pardonnez si je prends ce raccourci, je ne veux pas être caricatural.

Pardonnez si je m’emporte mais c’est le signe que j’ai encore quelque enthousiasme pour mes convictions.

Pardonnez si je suis franc mais j’aime le débat.

Bien à vous.

Jean GLAVANY"


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