Revue de presse

"Mort accidentelle d’une pécheresse" (G. Biard, Charlie Hebdo, 13 sept. 23)

(G. Biard, Charlie Hebdo, 13 sept. 23). Gérard Biard, rédacteur en chef de "Charlie Hebdo" 14 septembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Mort accidentelle d’une pécheresse".

"Il y a tout juste un an, le 13 septembre 2022, Mahsa Amini, une jeune étudiante iranienne d’origine kurde, était arrêtée par la police des mœurs pour « port de vêtements inappropriés » – son voile était mal positionné sur sa tête – alors qu’elle était en vacances avec sa famille à Téhéran. Quelques heures plus tard, elle était transportée, inanimée, à l’hôpital, après avoir été passée à tabac par les policiers. Elle mourait trois jours après.

Tout le monde se souvient de ce qui a suivi. L’annonce de sa mort a déclenché un soulèvement populaire inédit et massif. Des centaines de milliers de personnes, majoritairement des jeunes, sont descendues dans les rues des grandes villes du pays, piétinant ou brûlant des portraits du Guide suprême, Ali Khamenei. Plusieurs partis politiques ont appelé à la grève générale. Partout en Iran, des milliers de femmes, de tous âges, arrachaient leur voile de rage, des écolières se prenaient en photo dans leur classe, tête nue, faisant un doigt d’honneur face au portrait du Guide suprême…

Sans surprise, malheureusement, le régime des mollahs a répondu par une répression sanglante et implacable. La police a tiré dans la foule, les manifestants ont été arrêtés et emprisonnés par milliers, certains ont été exécutés – en mai dernier, la Foundation for Defense of Democracies estimait que 552 manifestants avaient été tués, et 21 100 arrêtés, lors de ces événements. Pour les opposants et les récalcitrants, les condamnations à mort se sont enchaînées.

« Plus compliqué que ça »

Les dirigeants iraniens, qui ont fait du voile islamique le symbole de leur pouvoir, ont décidé de resserrer encore davantage l’étau autour des femmes. Au printemps 2023, une traque tous azimuts fut lancée contre les femmes, toujours plus nombreuses, circulant tête nue. Les magasins, cinémas, cafés, restaurants, musées et autres lieux publics qui acceptaient ces impures provocatrices furent fermés par les autorités. « Sans le hijab, la République islamique n’aurait pas beaucoup de sens  », déclarait alors le vice-­président pour les affaires juridiques iranien, ­Mohammad Dehghan.

Pourtant, tout au long de cette année, il s’est trouvé des éditorialistes, intellectuels, universitaires, représentants politiques, pour nous expliquer contre toute évidence que c’était « plus compliqué que ça », que le vrai moteur de cette révolte, c’était la paupérisation sociale et le coût de la vie… Une bête histoire de frigo vide le 15 du mois.

Comme si la revendication le plus largement partagée par les manifestants iraniens n’était pas la fin des lois religieuses et de la théocratie islamiste. Comme si les Iraniennes n’arrachaient pas publiquement leur voile, et ne risquaient pas leur vie, pour ce geste. Comme si le régime des mollahs, tout comme celui des talibans en Afghanistan, n’avait pas fait de l’oppression des femmes l’alpha et l’oméga de son programme politique et l’assise de son pouvoir. Comme si Mahsa Amini avait stupidement glissé dans l’escalier du commissariat…

Pudeurs de gazelle

Dès que surgissent dans un débat ou une conversation sur l’actualité – aussi dramatique ou terrifiante soit-elle – les mots « Coran », « islam », « voile », « Frères musulmans », « prophète »…, on est prié de parler d’autre chose. Ce n’est pas le sujet. C’estpluscomplikéksa. Il y a plus important. Çanarienàvoiravec­lislam. C’est la mode. C’est l’adolescence rebelle, il faut bien que jeunesse se passe. Il ne faut pas stigmatiser une religion. Même quand il s’agit de dénoncer un État totalitaire et misogyne qui pend ses opposants en haut de grues et où les prisonniers d’opinion croupissent dans des culs-de-basse-fosse.

Depuis un an, les femmes iraniennes crient au monde que le sujet, c’est pourtant bien ça. L’islamisme, le pouvoir obscurantiste religieux, le Coran transformé en programme politique, le voile comme étendard… Prétendre le contraire, c’est leur cracher au visage. C’est tuer Mahsa Amini encore et encore."



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