Revue de presse

"Lycée musulman Averroès : révélations sur le coup de force du préfet" (mediacites.fr , 23 jan. 24)

30 janvier 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Mediacités révèle le déroulé de la commission consultative réunie par le préfet Leclerc pour valider la résiliation du contrat d’association entre l’État et le lycée lillois Averroès. Une réunion sous très haute tension qui en dit long sur un dossier biaisé.

Matthieu Slisse

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Le 10 décembre 2023, le lycée privé musulman Averroès de Lille, sous contrat d’association avec l’État depuis 2008, apprenait qu’il perdait son agrément. Une décision rarissime prise trois jours plus tôt par le désormais ex‐préfet du Nord, Georges‐François Leclerc, et validée le 27 novembre par la «  commission de concertation pour l’enseignement privé  ». Cette entité composée d’élus locaux, de représentants de l’Etat ainsi que de l’enseignement privé [lire la liste des membres plus bas], se réunissait alors pour la toute première fois.

Ce jour‐là, les membres de ladite «  commission de concertation  » ont voté par seize voix pour, zéro contre et neuf abstentions en faveur de la résiliation du contrat d’association entre l’État et le lycée Averroès, ce qui équivaut à la fin de tout financement public pour l’établissement et à sa mort programmée. Une décision que le préfet dit justifiée par des «  faits graves  ». Les 2h30 d’échanges de cette réunion révèlent pourtant d’importants biais et un dossier aux nombreuses fragilités.

Mediacités a reconstitué le déroulé de cette audience à huis clos. Les éléments inédits, que nous portons à la connaissance du public, décrivent une commission qui n’aura eu de «  concertation  » que le nom, et qui s’assimile davantage à une chambre d’enregistrement afin d’entériner les positions radicales du préfet… mais aussi du président de la Région Xavier Bertrand, qui s’est invité pour l’occasion. Le tout dans une ambiance houleuse, sans respect du contradictoire et avec des arguments parfois énoncés au mépris des faits.

Un financement «  potentiellement frauduleux  »

Il est 14h30, ce jeudi 27 novembre, à la préfecture du Nord. Le directeur du lycée Averroès Éric Dufour, le président de l’association en charge de l’établissement Mohammed Damak et le directeur financier Makhlouf Mamèche prennent place aux côtés de leurs avocats Paul Jablonski et Joseph Breham pour une rencontre qu’ils ne pouvaient pas imaginer aussi éprouvante.

À l’initiative de cette réunion, le préfet Georges‐François Leclerc préside les débats. Il ouvre la séance en citant les deux aspects qui doivent, selon lui, amener la commission à acter la résiliation du contrat d’association. À l’appui d’un rapport de la chambre régionale des comptes, il fait état «  d’un financement potentiellement frauduleux et en tout état de cause non traçable sous la forme de prêts non remboursés  ». Second grief énoncé en ouverture de la séance : le contenu du cours facultatif d’éthique musulmane qui contreviendrait selon lui «  assez gravement aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République  ».

À peine a‑t‐il achevé son propos introductif que, déjà, le ton monte entre le préfet et Joseph Breham, l’un des deux avocats de l’association Averroès qui trépigne de répondre. «  Qui êtes vous monsieur  ? interroge le préfet. Sachez que seul le directeur d’établissement ainsi que le président de l’association feront l’objet de mes questions. C’est mon privilège, c’est moi qui préside cette réunion.  » «  J’ai bien compris, Monsieur le Préfet, que la démocratie et la libre parole ne sont pas vos amours parfaits  », rétorque Maître Breham. Ambiance. [...]

La préfecture dit suspecter des prêts non remboursés provenant des mosquées de Lille‐Sud, situées à quelques centaines de mètres du lycée, et de Villeneuve d’Ascq dont le recteur était jusqu’à récemment professeur de mathématiques au sein du lycée Averroès. Le président de l’association réfute cette accusation avec force : «  Il n’y a pas d’abandon définitif de créance, il y a abandon avec retour à meilleure fortune  »

Le préfet persiste en citant le rapport adressé par la Chambre régionale des comptes au parquet de Lille… Un rapport confidentiel qui n’a pas été communiqué aux dirigeants d’Averroès. À nouveau, les esprits s’échauffent. «  Vous affirmez qu’il existe un rapport et vous ne le prouvez pas, ni à nous, ni aux membres de la commission, en contradiction du principe du contradictoire  », s’emporte Maître Breham. «  Parce que bien évidemment, je l’ai inventé  ? C’est ça que vous sous‐entendez  ? », rétorque le préfet. «  En tous les cas, vous ne nous le fournissez pas  », réplique l’avocat d’Averroès, très remonté. [...]

Déjà en difficulté pour répondre sur le fond à ces éléments tirés d’un rapport dont ils n’ont pas eu connaissance, les représentants d’Averroès assistent ensuite, médusés, à la projection d’une vidéo de Sofiane Meziani, ex‐professeur d’éthique musulmane au lycée Averroès. Pris au dépourvu devant cet élément sorti du chapeau, Maître Paul Jablonski décide de filmer l’écran. La diffusion est interrompue et l’avocat sommé de supprimer son enregistrement. [...]

Accusation basée sur un rapport confidentiel, refus de laisser les avocats s’exprimer, découverte d’éléments nouveaux en pleine audience… La réunion n’a débuté que depuis une demi‐heure et déjà les deux avocats d’Averroès, habitués des prétoires et du respect du contradictoire, peinent à garder leur sang froid devant ce qui s’annonce devoir être une parodie de concertation. Pour ne rien améliorer, le secrétaire général de la préfecture Nicolas Gaillard récidive et diffuse une seconde vidéo datée de 2014 concernant cette fois Mohamed Karrat, recteur de la mosquée de Villeneuve d’Ascq et ex‐professeur de mathématiques au lycée Averroès.

Et les dirigeants d’Averroès ne sont pas au bout de leurs surprises. Alors que le calme n’est pas encore tout à fait revenu, le préfet annonce qu’il va donner lecture d’une note d’inspection du collège Averroès qu’il dit avoir reçue… la veille. En plus de son rapport officiel, un inspecteur d’académie – dont le préfet n’a pas souhaité communiquer l’identité – lui aurait réservé l’exclusivité d’une note complémentaire. Il ne s’agit pas là d’une nouvelle inspection, mais bien d’informations absentes du rapport initial et dont le fonctionnaire aurait réservé la primeur au préfet. Le document est inédit. Les partisans d’Averroès en ignorent tout, hormis des extraits cités par le préfet dans son rapport de saisine.

«  Environ 80 % des jeunes filles étaient voilées, indique le rapport. Les vêtements longs sont de rigueur, y compris pour les filles non voilées. Les jeunes filles en pantalon portent des hauts suffisamment amples de manière à couvrir leurs formes. Les professeures sont en grande majorité voilées, les hommes quant à eux ont majoritairement une tabaâ sur le front, signe d’une pratique intensive [de la prière]. Le préfet s’interrompt pour commenter : «  Pour l’instant, rien n’est illégal, mais quand même… »

Le haut fonctionnaire poursuit la lecture : «  Les livres classés en rubrique religion traitent uniquement de l’islam dans sa version frériste  ». Avant de citer parmi les auteurs de ces ouvrages Hassan Iquioussen, le prédicateur expulsé de France – par le même préfet Leclerc – pour incitation à la haine fin 2022.

Pour les avocats d’Averroès, les limites sont dépassées. «  Tous les éléments cités, notamment les vidéos diffusées ou les rapports d’inspection, nous ne les avons pas eus, s’indigne Paul Jablonski. C’est vraiment problématique  ! » «  Le principe du contradictoire ce n’est pas simplement la possibilité de répondre, c’est l’obligation de connaître ce que l’on vous reproche, embraye Me Joseph Breham. Toute l’accusation se fonde sur deux rapports, que vous n’avez pas, que je n’ai pas, qu’aucun membre de cette commission n’a.  » [...]"


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Lycée Averroès (Lille) dans Ecole privée dans Ecole (note de la rédaction CLR).


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