Revue de presse

"Le syndrome de Robespierre" (S. Courage, L’Obs, 24 août 23)

(S. Courage, L’Obs, 24 août 23). Sylvain Courage, directeur adjoint de la rédaction de "L’Obs" 29 août 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Le syndrome de Robespierre".

"C’est un anniversaire qui en dit long. Ce 24 juin, les députés de La France insoumise n’ont pas manqué de célébrer les 230 ans de la Constitution de 1793. Celle qui, pour la première fois, après l’exécution du roi, proclama la souveraineté du peuple… Et celle qui ne fut jamais appliquée car une poignée de révolutionnaires, dont l’incorruptible Maximilien Robespierre, instaurèrent la dictature du Comité de Salut public pour « sauver la patrie assiégée ». Ils décrétèrent ensuite la Terreur et usèrent du Tribunal révolutionnaire et de la lame de la guillotine pour se maintenir au pouvoir. Avant d’en être à leur tour les victimes… Comme jamais auparavant dans l’Histoire, il fut démontré, du printemps 1793 jusqu’à l’arrestation de Robespierre le 9 thermidor (27 juillet) 1794, qu’au nom des idéaux les plus universels les crimes les plus iniques pouvaient être commis : environ 17 000 condamnations à mort selon les documents officiels, en fait près de 40 000 victimes, si l’on compte les personnes assassinées sans jugement.

Peu importe que cette année traumatisante de la Révolution française ait pu servir de matrice à Lénine pour instaurer la dictature du prolétariat et à Staline pour justifier ses purges. Chaque mouvement social – des « gilets jaunes » en passant par les manifestations contre la réforme des retraites – réveille chez nos jacobins nostalgiques l’espoir que la rue – et ses inévitables débordements – fera avancer leurs intérêts politiques. Fantasme tenace.

Jamais « terminée », la Révolution française demeure le registre de nos émotions nationales. Depuis 230 ans, ce « superbe lever de soleil » selon Hegel a nourri une instabilité institutionnelle à nulle autre pareille et inspiré tous les régimes – Empire, Restauration, République. Jusqu’à la stabilisation dans la IIIe République de Gambetta, Ferry et Clemenceau, ce dernier considérant prudemment la révolution comme « un bloc » afin de ne pas rouvrir de sanglantes querelles. La question sociale, formulée pour la première fois en 1793, n’en est pas moins réapparue à travers le socialisme de Jean Jaurès et de Léon Blum. Tandis que le mouvement communiste, de son côté, enracinait l’idée de 1793 comme prélude de la grande révolution bolchevique de 1917.

A gauche, depuis lors, la référence à 1793 opppose deux familles difficilement réconciliables, et continue aujourd’hui à irriguer les fractures françaises, comme l’éclaire notre dossier cette semaine. « Quand on emploie les moyens de la Terreur, la fin est corrompue car le mouvement de la violence ne peut plus s’arrêter, rappelle le réformiste Laurent Joffrin qui débat ici avec l’insoumis Alexis Corbière. Logiquement, ce point d’exégèse révolutionnaire divise la Nupes et obère un véritable rassemblement des gauches : plus d’une fois les parlementaires socialistes, écologistes et même communistes ont protesté contre la « brutalisation » du débat inlassablement préconisée par Jean-Luc Mélenchon…

La controverse ne surprendrait pas l’historien François Furet qui s’est employé, dès le milieu des années 1960, à désacraliser l’idéologie « jacobino-marxiste » de la Révolution alors ultra-dominante. Cette grande figure intellectuelle de « l’Obs » aurait reconnu chez les robespierristes d’aujourd’hui le soupçon contre la représentation, le choix de l’opinion contre l’élection, la théorie du complot qui toujours empêcherait le peuple de régner, la prétention à en exprimer la volonté souveraine des masses, le souverainisme des frontières et le culte d’un Etat déifié. « La Révolution n’était qu’une énorme machine destinée à détruire le pouvoir absolu alors qu’en réalité elle véhiculait elle-même, et d’un bout à l’autre du processus, une certaine idée du pouvoir absolu et de l’Etat qu’elle a, évidemment, renforcés », expliquait Furet dans les pas du libéral Alexis de Tocqueville. L’auteur de « Penser la Révolution française » souhaitait que le trauma de 1793 soit enfin surmonté. Entendez par là que la démocratie française, réconciliée avec elle-même, cesse de se tourner vers un passé hystérisé pour mieux considérer son présent et embrasser son avenir. Tout le contraire d’une pensée réactionnaire."


Voir aussi dans la Revue de presse "1793, l’année qui fâche les Français" (L’Obs, 24 août 23) dans le dossier Révolution française dans Histoire, la rubrique Gauche (note de la rédaction CLR).


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