Edito du président

La politique ou le consensus ? (J.-P. Sakoun, 19 juin 18)

par Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité République. 19 juin 2018

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En couverture de son numéro du 7 juin 2018, Courrier international titre « Islam, une obsession française »

Un dessin vaut mieux qu’un long discours. Ainsi donc, pour les étrangers, tous ces gens raisonnables qui nous regardent, la France ne serait qu’une vieille peau islamophobe et les Français seraient obsédés… Cette rengaine est d’ailleurs portée en France-même par une bonne partie de la presse écrite, radio et télé, renforçant ainsi le sentiment des autres que ce pays est un enfer pour les musulmans… Mais est-ce si évident ?

Depuis la Révolution française, les Français ont inventé et porté haut la politique, comme les Allemands ont, les premiers, construit un modèle social, dit rhénan, et les Anglais un modèle économique, dit libéral.

Notre apport se traduit par l’amour que les Français, aujourd’hui encore, portent à la controverse et par l’ouverture régulière dans la société de débats enflammés, d’une grande extension. Notre culture politique est donc aux antipodes de l’idée de consensus préalable à la décision, processus infra-politique qui fait les délices de tous les technocrates du continent. Comme dans le village gaulois d’Astérix, les décisions sont prises à la suite d’un « empaillage » général. Il est d’ailleurs amusant de constater que les pires adversaires de la République, marqués par l’empreinte de cette tradition française, se livrent eux aussi à ce sport national totalement incompréhensible pour nos voisins… Cela montre bien que la République les a aussi élevés, dans tous les sens du terme… Triste nouvelle pour eux, paradoxe plaisant pour nous !

Considérons un peu, face à cette tradition, le paysage européen, dévasté par les effets de l’absence de traitement politique de l’immigration… En Grande-Bretagne, le Brexit… En Italie, la Lega et le M5S… en Allemagne, 85 députés d’extrême droite et une CSU très radicale… En Autriche, l’extrême droite est aussi au pouvoir… En Pologne, en Hongrie, en Roumanie, en Finlande, au Danemark…

Tiens ? les choses seraient-elles plus compliquées ? Notre parole virulente et contradictoire pourrait-elle être l’exutoire, la catharsis, qui nous protègerait plus que d’autres des dérives ? C’est vrai, nous avons une extrême droite puissante ; mais d’année en année elle édulcore ses positions – au moins de façade, mais nous ne sommes pas dupes – parce qu’elle a compris que la parole politique libérée des Français lui interdit l’accès réel au pouvoir. Cinq députés, quelques maires, et c’est tout.

Nous ne ferions pas une telle hypothèse si le cas ne s’était pas déjà produit, d’une manière bien plus tragique… Entre 1925 et 1939, tous les grands et bien des petits pays d’Europe continentale (sauf la Grande-Bretagne insulaire donc), ont basculé dans une forme plus ou moins agressive de fascisme ou d’autoritarisme d’extrême-droite ou marxiste-léniniste. Italie, Allemagne, Espagne, URSS, Pologne, Hongrie, Roumanie, Grèce, Autriche… Toute ? Non ! Un grand village gaulois a résisté, déjà… Celui qui a été traversé pendant ces années-là d’affrontements politiques majeurs, de complots cagoulards, de tentatives avortées de prise de pouvoir par la violence (le 6 février 34)… Et en 1939, quand il fallut faire le bilan des grandes démocraties, il n’en restait que deux… L’une protégée par son insularité et qui, malgré cela avait failli basculer dans une forme de soutien au nazisme et au fascisme, la Grande-Bretagne, l’autre, sur le continent, exposée et tourmentée parce que politique, la France, mais toujours républicaine, laïque, démocratique et vociférante.

Il a fallu les fourgons de l’ennemi, la défaite militaire et le défaitisme de la caste profondément réactionnaire qui dirigeait son armée, pour que notre pays se retrouve sous le joug d’un Pétain. Dans la turbulente paix républicaine, ils n’avaient pas réussi à faire tomber la démocratie.

Alors, avant de reprocher à la République laïque son « islamophobie », quand le pays s’honore de ne pas avoir connu la moindre violence contre les Français musulmans à la suite des attentats et des meurtres effroyables qui l’ont frappé depuis trois ans, peut-être faudrait-ils que les médias, français et étrangers se posent cette question : que préfèrent-ils ? La politique, sa violence symbolique et son « désordre », ou l’arrivée au pouvoir dans le relatif silence du consensus, des extrémistes, racistes, xénophobes, qui commencent à couvrir le continent ?

Nous avons, quant à nous fait notre choix depuis longtemps.


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