Revue de presse

"La France de… Alain Finkielkraut" (Le Point, 20 juil. 23)

(Le Point, 20 juil. 23). Alain Finkielkraut, de l’Académie française, philosophe et écrivain. 25 juillet 2023

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"[...] Un bon Français, pour moi, est d’abord quelqu’un qui aime et qui honore le français. « Un peuple qui tient à sa langue tient bon », a dit André Gide. Or, aujourd’hui, le français est à l’abandon. Ses locuteurs s’en détachent. Ils parlent un idiome méconnaissable. « Il faut s’interroger sur comment combattre l’extrême droite », entend-on sur les talk-shows qui tiennent lieu, hélas, de conversation française. Flaubert, en 1872, confiait à George Sand : « J’écris non pour les lecteurs d’aujourd’hui, mais pour tous les lecteurs qui se présenteront tant que la langue vivra. » Tant que la langue vivra ! Or, à l’école, au nom de l’égalité, on donne la parole avant de donner la langue. La transmission ne se fait plus et les nouveaux Pangloss que sont les linguistes, ou certains linguistes, affirment, le sourire aux lèvres : « Le français va bien, merci. » Pour eux qui observent les faits, il n’y a pas de bon usage de la langue. Les gens continuent à se parler, voilà ce qui compte ! Leur refus scientifique des jugements de valeur conduit ces experts à valoriser l’effondrement de la syntaxe, le rabougrissement du vocabulaire, le déferlement du globish, l’orthographe chaotique et même l’écriture inclusive, c’est-à-dire le vandalisme militant, le saccage organisé de la langue commune. [...]

Les rescapés juifs polonais maudissaient la Pologne parce que leurs compatriotes antisémites s’en étaient donné à cœur joie pendant la guerre. Il y a certes eu des exceptions miraculeuses. Il y a eu des Justes, et il ne faut jamais l’oublier. Mais, à Varsovie, ma mère a entendu des gens dire : « Au moins, les Allemands auront fait quelque chose de bien : nous débarrasser des juifs. » Mon père, déporté de France à Auschwitz, est retourné en Pologne après guerre pour voir s’il restait d’autres Finkielkraut, et il n’en a trouvé aucun. Il s’est senti étranger à la Pologne qu’il voyait. Quand, en 1981, j’ai pris parti pour Solidarnosc et que je me suis rendu avec un groupe de gens au Danemark, à Bornholm, pour envoyer des ballons porteurs d’un message du pape vers le rivage polonais, mes parents n’étaient pas très contents. Je n’ai jamais voulu endosser cette détestation. À l’époque, leurs regards ne se tournaient pas vers la Pologne, mais plutôt vers Israël, non pas pour y vivre, mais pour que ce pays puisse vivre. Ils ne demandaient pas une France repentante. Ils ne demandaient pas non plus le discours de Jacques Chirac au Vél’ d’Hiv, ils demandaient juste un peu de compréhension pour Israël. [...]

Annie Ernaux, dont les parents tenaient un café-épicerie à Yvetot, écrit, nous dit-elle, pour « venger [s]a race ». Mais qu’est-il arrivé à sa « race » ? De quoi a-t-elle souffert ? De la condescendance des bourgeois ? C’est désagréable, mais il y a eu bien pire au XXe siècle. Il n’est jamais venu à l’idée des vrais persécutés de venger leur « race » par l’écriture. Albert Camus, qui est né dans une famille vraiment misérable, a su exprimer sa gratitude pour M. Germain, le maître d’école qui lui a ouvert le chemin de la culture et qui mériterait d’entrer au Panthéon. La République a inventé la sélection à l’école pour que le privilège cède la place au mérite. Or on a supprimé la sélection au nom de l’égalité, et, résultat, le niveau a chuté. Dès lors, les seuls à s’en tirer sont les enfants qui reçoivent des leçons particulières ou qui vont dans les écoles privées parce que leurs parents en ont les moyens. [...]

L’idée selon laquelle l’Europe doit se purger de ses vieux démons en bâtissant une maison commune sur des normes et des droits ne rend pas justice à la longue histoire de la civilisation européenne. [...]"


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Le Point "La France de…" (juil.-août 23) dans Être Français (note de la rédaction CLR).


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