Revue de presse

Jean Glavany à Haïm Korsia : « Gare à ce que la bougie de l’espérance n’allume l’incendie des passions identitaires » (Libération, 13 déc. 23)

(Libération, 13 déc. 23) 13 décembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"[...] Quant à la lutte contre l’antisémitisme, qui nous réunit sans faille, tu le sais bien, je voudrais te démontrer qu’elle a été bien mal servie par cet épisode. Je pense même qu’elle l’a alimenté. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle a cautionné l’idée que les juifs disposaient en France d’un droit particulier, un privilège, en somme, offrant un boulevard à ceux qui dénoncent un imaginaire « deux poids, deux mesures ». D’ailleurs quand tu ajoutes « on n’était pas dans une école où les consciences doivent être protégées mais à l’Elysée ! » tu mélanges les sujets et aggraves ton cas : à l’école, les élèves ne sont pas tenus à la neutralité mais à la discrétion religieuse pour ne pas s’influencer les uns les autres et laisser leurs consciences se former librement.

Néanmoins, comment imagines-tu que nos enseignants vont faire appliquer la loi de 2004 sur le port des signes religieux à l’école quand des petits Français, musulmans ou pas, leur répondront « pourquoi on peut célébrer sa religion à l’Elysée et pas en classe ? ». Et d’ajouter, peut-être : pourquoi les juifs et pas nous ? Funeste perspective que vient d’ouvrir une initiative très regrettable.

Car, là où je veux en venir, mon cher Haïm, c’est à la sagesse politique qui doit toujours nous amener à regarder plus loin et se poser la question : « Et demain ? ». Demain, que va faire le Président ? Va-t-il célébrer la Nativité avec les évêques ? Inviter des imams à l’occasion de la remise d’un prix contre le racisme anti-musulmans et y tolérer une prière ou une profession de foi ? Pour les catholiques, l’adresse a déjà eu lieu, c’était au couvent des Bernardins, et c’était presque aussi critiquable. Je dis « presque » parce qu’au moins on n’était pas à l’Elysée… mais les mots qui y furent prononcés, sur « la nécessaire restauration du lien entre l’Etat et les religions », un lien qui n’existe pas, – qui n’existe plus ! – depuis la Séparation, avaient choqué nombre de républicains.

Demain donc, à force d’invitations et de discours s’adressant à des croyants, le Président pourrait parachever une double erreur funeste – il va consacrer l’idée que la Nation ne serait qu’une juxtaposition de communautés de croyants et non pas un commun qui nous réunit – accessoirement, il va laisser de côté une grande partie des Français, sans doute la majorité, athées, agnostiques ou qui, tout simplement, ne se reconnaissent pas dans les formes instituées de la foi et s’en sentiront donc exclus.

Je finis par là mon cher Haïm : tu dis en substance « je suis un religieux laïque et je pratique la liberté religieuse ; je refuse que la laïcité se résume à l’athéisme… D’ailleurs, il y avait dans la salle des représentants de toutes les religions qui ont partagé ce moment ». Mais cet « athéisme » que tu récuses, même les athées ne l’ont jamais demandé ! Et la laïcité, quant à elle, n’est en rien l’obligation de ne pas croire ! On peut pratiquer le « en même temps » laïque, mais il ne faut pas faire de contresens : ce n’est pas « et, et », les religieux et les incroyants ; c’est « ni ni ». Ni ignorance ni reconnaissance. Pas d’athéisme d’Etat, en effet, car tel n’a jamais été le sens de la laïcité ; mais pas davantage un régime de tolérance convictionnelle complètement étranger à notre histoire et à nos principes.

La laïcité quant à elle, est la liberté de croire ou de ne pas croire. Ce que les religions, toutes les religions oublient d’un même élan en voulant la réduire à la « liberté religieuse », là où la Déclaration de 1789 protège « la liberté d’opinion, même religieuse », car l’idée républicaine n’élève pas la foi au-dessus des autres convictions. Jeudi, ceux qui ne croient pas, mais aussi ceux qui doutent, et plus largement tous ceux pour lesquels la laïcité veut dire, selon la belle formule de Victor Hugo, « l’Etat chez lui et l’Eglise chez elle », se sont sentis exclus de la République. [...]"


Voir aussi dans la Revue de presse les dossiers Hanoukka à l’Elysée (7 déc. 23) dans Emmanuel Macron, Fêtes religieuses dans Séparation (note de la rédaction CLR).


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