Revue de presse

J.-P. Brighelli : "Mettre les voiles" (causeur.fr , 8 oct. 13)

"Quand on n’a plus que la tolérance, on ouvre la porte à l’intolérance de l’Autre" 8 octobre 2013

"Dans Le Monde du 4 octobre dernier, la rubrique Débats publiait divers avis sur l’une des polémiques du moment, le voile à l’université. Et comme il est d’usage dans ce journal de faux-culs, sous prétexte de diversité d’opinions (et soyons tout de suite clair : face à la vérité, plaider pour la diversité d’opinions n’est jamais que donner la parole au mensonge…), le Monde noyait un article de bon aloi signé du « collectif » des membres de la [com]mission Laïcité du Haut Conseil à l’Intégration (HCI) [1], qui s’est auto-dissous récemment, après avoir remis au Premier Ministre un rapport circonstancié [2] proposant douze recommandations sur les conditions d’exercice de la laïcité — c’est-à-dire de la vraie liberté de penser — dans l’Enseignement Supérieur —, dans un fatras d’avis et d’opinions contradictoires, comme si exposer la vérité aux mensonges faisait avancer la cause de la liberté.

La mission laïcité a aussi bien dénoncé les courants chrétiens évangéliques ou néobaptistes qui critiquent les théories darwiniennes de l’évolution au profit des thèses créationnistes que des courants musulmans qui font dans le prosélytisme et récusent la mixité tant au niveau des étudiants que des enseignants. Aucun ostracisme anti-musulman là-dedans.
Que disait spécifiquement la [Com]mission de la question du port du voile à l’université ? Sous le titre « Garantissons la neutralité religieuse dans les salles de cours du supérieur », il se défendait d’avoir mérité « le terme discutable si impudemment brandi aujourd’hui dès qu’on évoque la laïcité d’« islamophobie » — mais l’intolérance (la vraie, l’intolérance religieuse) crie au loup dès qu’on l’empêche d’excommunier, ou qu’on lève le sourcil devant une brochette d’étudiantes voilées assises en groupe au premier rang de l’amphi.
Islamophobe ? La recommandation du HCI est pourtant fort mesurée. Il s’agit d’« interdire dans les salles de cours, lieux et situations d’enseignement et de recherche des établissements d’enseignement supérieur les signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. » Une proposition déjà révélée par le Monde du 6 août [3] — une indiscrétion qui était moins une vraie information qu’un moyen de pression sur le gouvernement, sommé de ne pas écouter des laïcards qui attentent visiblement à la liberté d’attenter aux libertés des autres. « En quoi l’exigence de neutralité religieuse dans les salles de cours, gage de la sérénité de l’enseignement, serait-elle discriminante ? Comment peut-on estimer que l’affichage « ostensible » d’une conviction religieuse dans un lieu de transmission et de discussion du savoir ne pose aucun problème ? »

Dès 2004, la Conférence des Présidents d’Université avait émis un document, « Laïcité et enseignement supérieur », qui faisait déjà largement le tour de la question — et des problèmes. Pour n’en citer que deux, la réquisition de locaux d’universités à des fins cultuelles, ou la récusation de la mixité.
Le seul à avoir manifesté son intérêt pour les propositions du HCI est Manuel Valls. « Le manque de clarté, de lucidité et de courage, loin de favoriser le vivre-ensemble, attise les tensions et fait le lit des extrêmes », poursuit l’article du Collectif. Qui ne sait, parmi les enseignants et sans doute ailleurs, que se plier, en classe, aux injonctions du caïd de service ne permettra pas de rétablir l’ordre — bien au contraire ? Donnez le doigt, on vous mangera le bras. Céder devant les manifestations ostensibles de la superstition, c’est ouvrir la porte au fanatisme, qui est à la religion, comme le rappelle Voltaire, « ce que le transport est à la fièvre ». Partout, toujours, il nous faut, inlassablement, « écraser l’infâme », comme disait ce même Voltaire à la fin de ses lettres.
Dans le même journal, le même jour, Dounia Bouzar [4], avec Lylia Bouzar signait un article intitulé « Gare au piège de l’exclusion / Ne pas faire le jeu des radicaux » dans lequel elle soulignait que nous assistions aujourd’hui, n’en déplaise à Malraux, à une« mutation du religieux plutôt qu’à un retour du religieux ». Quelle mutation ? Celle qui va vers la nuit : « Le religieux se transmet sans aucun savoir, déconnecté de l’expérience humaine, de manière virtuelle. On assiste non pas au choc des civilisations, mais au choc des ignorances. » L’ignorance du « vrai croyant » (faut-il rappeler que « taliban » signifie « étudiant en religion », et qu’il s’agit manifestement là d’un oxymore — au vu de ce que les Afghans fanatisés ont fait aux Bouddhas de Bâmiyân) l’engage à « rester pur, à ne pas se mélanger aux autres » — de peur sans doute que des autres ne surgisse une étincelle de vrai savoir. « La mise en veilleuse des facultés intellectuelles facilite la fusion », précise Mme Bouzar.

Elle ne répugne pas pourtant à la contradiction interne. « Une loi d’interdiction des signes religieux, précise-t-elle, exigerait l’invisibilité des croyants ou plutôt des croyantes, car quid des immenses barbes et des chaussettes remontées sur le jogging de ceux-là mêmes qui refusent de regarder une femme ? » Ma foi, si l’Islam est si ostensiblement manque de goût, nous n’y sommes pour rien. Quant aux barbes… Faut-il rappeler que ces mêmes talibans tuaient volontiers les Afghans d’origine asiatique qui auraient été bien en peine de se laisser pousser un quelconque poil au menton ? La bêtise, partout, toujours, génère la violence, et une interdiction mesurée (dans les salles de cours…) n’est pas une violence mais un effort pour l’empêcher.
Alors certes, il est temps de « sortir de ce débat bipolaire « pour ou contre le voile » que l’on traîne depuis dix ans et qui nous empêche de poser les bonnes questions. Mettons-nous autour d’une table pour trouver une stratégie qui empêche les jeunes radicalisés d’imposer leurs normes dans les espaces publics sans pour autant les abandonner aux mains de ceux qui veulent les couper définitivement de tout lien avec la société et sans pour autant sanctionner tous les étudiants pratiquants. » La stigmatisation, comme tous les interdits, peut sans doute transformer en pseudo-martyres des filles frustrées qui se réfugient derrière leur bout de tissu dans une société qu’elles imaginent hostile. Mais la vraie stigmatisation, la stigmatisation première, n’est-elle pas dans l’ordre, exprimé ou non exprimé, de se retrancher de la communauté française ? Elles sont les pions le plus souvent inconscients que l’islamisme avance, peu à peu, jusqu’à ce qu’un voile noir obscurcisse définitivement la Raison et les Lumières [5].

SI le HCI défend l’université et le droit d’enseigner en toute quiétude, il faut qu’il sache qu’il le fait contre certains enseignants qui, angélisme ou collaboration, ne voient pas où est le problème. Pascal Binczak président de l’université Paris-Lumières (Paris VIII-Vincennes-Saint-Denis) signe un article (« Nos campus sont rarement perturbés ») qui est mi-chair mi-poisson et qui, au concert des faux-culs, pourrait servir de carnet de bal.
Après avoir rappelé que la première affaire de voile remonte à septembre 1989 [6] (dans la foulée de la loi Jospin qui simultanément mettait, comme on se rappelle, l’élève au centre du système et lui donnait le droit de dire autant de bêtises qu’il le souhaitait (allez, redisons-le : l’enfant est étymologiquement celui qui n’a rien à dire, et l’élève est celui qui apprend à dire, et à qui on peut donner la parole à condition qu’il n’en abuse pas pour redevenir… un enfant), affaire tranchée par le Conseil d’Etat en novembre 1992 — ce qui a prouvé la nécessité d’une loi, promulguée en 2004), il plaide pour une philosophie du Ni-Ni : pas de « tolérance inconditionnelle », « ni prosélytisme ni entrave au bon fonctionnement du service public. » Ah oui ? Et on fait comment ? [...]

Collabos toujours. Valérie Aminaux (« professeure » de sociologie à Montréal, actuellement détachée au CNRS), sous le titre « Des opinions paniquées », croit utile de se moquer de l’« obsession visuelle » que constitue d’après elle notre rejet du voile en France (ah, les cousins qui dans les dîners de famille viennent nous donner des leçons…). [...]

Tareq Oubrou enfin, recteur de la mosquée de Bordeaux (« Pour une visibilité musulmane discrète / Evitons les interdictions supplémentaires »). Comment dit-on « jésuite » en arabe ? Notre recteur a toujours « prôné, dit-il, une visibilité religieuse modérée ». Je ne lui reprocherai pas, en tout cas, de rappeler encore une fois que se couvrir les cheveux relève d’une « prescription équivoque et mineure » qui « repose sur un ou deux passages coraniques amphibologiques et sur des hadiths du Prophète dont l’authenticité n’est pas certaine » — faute de matériel d’enregistrement au VIIème siècle sans doute… « Nous avons plus de textes qui demandent aux hommes de garder leur barbe que de textes qui demandent aux musulmanes de couvrir leurs cheveux, abstraction faite de leur authenticité ou de leur sens discutable ». Pourquoi dès lors cette « focalisation » sur le foulard des femmes plutôt que sur les barbes des hommes ? Parce que justement le foulard est un signe bien plus ostensible, dans une stratégie d’occupation, qu’une barbe [7].
[...]

Soyons clair : quand nous parlons d’interdire le voile à l’université, il s’agit de protéger les femmes contre les diktats du fascisme islamiste, et contre elles mêmes, aliénées par l’opium du peuple. Je ne suis pas de ceux qui s’indignent de ce que Saint-Just ou Robespierre aient eu une volonté pédagogique. Mais je ne veux pas la mort du pécheur — juste sa rédemption laïque. Une loi sur le voile à l’université compléterait utilement celle de 2004 sur le voile dans les lycées et collèges (y compris dans les sorties scolaires, qui ne sont jamais que l’exportation du lycée ou du collège hors les murs).
Le port du voile n’est pas, et ne sera jamais, l’expression du libre-arbitre. Cela n’a rien à voir, je suis désolé de le redire à certaines amies, avec la décision de porter une mini-jupe ou un pull échancré — ou n’importe quelle pièce d’habillement profane. On ne s’habille pas impunément en bonne sœur — je ne le tolère que des religieuses et des créatures de Clovis Trouille, qui relèvent la rigueur religieuse d’un porte-jarretelles adéquat, comme on relève un plat d’une pincée de piment d’Espelette."

Lire "Mettre les voiles".

[4Auteur de La République ou la burqa, Albin Michel, 2010.

[5Voir sur le sujet la très belle tribune d’Elisabeth Badinter dans Médiapart.

[7Une barbe pourrait à la rigueur n’être que le signe ostensible, surtout en collier, d’une appartenance au SGEN ou au SNUIPP. Et quoi que je puisse en penser, je supporte l’existence du SGEN et du SNUIPP. Et on osera dire après ça que je ne suis pas tolérant !


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