"Fin de vie, la liberté de choisir" (CLR, 28 oct. 17)

J.-L. Touraine : "On meurt mal en France" (Colloque du 28 oct. 17)

Jean-Louis Touraine, député, professeur en médecine, auteur d’une proposition de loi sur la fin de vie. 29 novembre 2017

Dans cette salle, nous sommes sous le regard de Jean JAURES, ce même JAURES qui disait : « Le courage c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ».
Depuis la révolution, les Français ont conquis nombre de libertés. Il en est cependant une, essentielle, dont ils sont encore privés, celle de choisir leur façon de mourir.

Il est de notre devoir de développer ce droit, maintenant, comme l’ont fait, il y a une quinzaine d’années, nos amis belges, suisses, néerlandais ainsi que les habitants de divers autres pays.

En son temps déjà, SULLY PRUDHOMME nous encourageait :
« Il est bon d’apprendre à mourir
Par volonté, non d’un coup traître :
Souffre-t-on ? C’est qu’on veut souffrir
Qui sait mourir n’a plus de maître. »

Lors du précédent examen des textes sur la fin de vie à l’Assemblée nationale, la constatation unanime a été : « On meurt mal en France. » De fait, la mort survient dans la grande majorité des cas à l’hôpital alors que les Français souhaiteraient terminer leur vie à domicile, entourés par leurs proches même si l’absence de réanimation les prive d’un jour ou deux de survie. Les soins palliatifs étaient et sont restés très insuffisants ; leur qualité est très bonne mais ils ne sont proposés qu’à moins de la moitié des malades qui en relèvent. Enfin, on subit des « maîtres » que l’on n’a pas choisis. Le seul choix offert est réduit à la possibilité de recourir à une sédation terminale. La demande de certains est pourtant non d’un sommeil imposé mais de la délivrance d’une agonie pénible.

D’ailleurs la 2ème loi, dite « CLAEYS-LEONETTI » n’a pas apporté de progrès. La sédation était déjà prévue dans le domaine réglementaire. Quant aux directives anticipées, elles ne sont souvent pas appliquées car tous ceux indiquant leur souhait de voir abréger une fin de vie pénible se heurtent à une loi qui l’interdit.

Certes, il est possible d’arrêter toute hydratation et toute alimentation, mais provoquer l’arrêt cardiaque par réduction d’apport hydrique n’est ni satisfaisant ni rapide et cela ne prévient aucunement les agonies pénibles, les gasps respiratoires, les suffocations.

Il n’est pas nécessaire d’effectuer un travail prospectif d’évaluation de cette loi. La population apporte elle-même la réponse ne dénonçant les insuffisances des possibilités, de choix offerts, d’accompagnement actif.

En effet, trois preuves de ces carences sont fournies :

  • par les 2000 à 4000 aides actives à mourir effectuées, selon l’INED, chaque année dans les hôpitaux français (ces chiffres étant forcément sous évalués car, la pratique étant illégale, les actes effectués en catimini ne sont habituellement pas rapportés),
  • par toutes les personnes qui se sentent obligés d’aller à l’étranger (le plus souvent la Belgique et la Suisse) pour obtenir ce service,
  • par le sondage de l’IFOP qui montre que 96% des Français sollicitent une progression de la législation dans ce sens afin que la liberté de choix soit offerte à tous même à ceux qui n’envisagent pas a priori de recourir à une aide active à mourir pour eux-mêmes.

Dans La condition humaine, André MALRAUX écrivait : « Il est beau de mourir de sa mort, d’une mort qui ressemble à sa vie. » D’autres comparent cette fin de vie choisie à « une mort debout ».

Plus récemment, Anne BERT nous disait : « J’aime trop la vie pour me laisser mourir … Je refuse de pactiser avec l’ennemie, collaborer, la regarder construire ma geôle de pierres, lui passer la truelle. Je refuse l’agonie qui ne parle que de lutte vaine et d’angoisses. Je ne me décharge pas de la responsabilité de ma fin. Elle fait partie de ma vie… Il me reste une ultime liberté, celle de choisir la façon dont je vais mourir. »

Quant à Marie DEROUBAIX, elle nous explique bien, par la bouche de son mari, comment cette nécessité pour elle d’aller en Belgique pour obtenir la fin qui va la délivrer la prive de quelques ultimes semaines de vie, précieuses pour elle et son mari, car il lui faut être valide pour faire le voyage.

Aujourd’hui, en France, les conditions de fin de vie sont sous la dépendance des médecins. S’il est légitime de considérer que ceux-ci ont le savoir qui doit être transmis au malade pour l’éclairer dans sa décision, n’est-ce pas un abus de pouvoir que de priver le patient en état de pré-agonie de cette même décision. Anne BERT disait d’ailleurs fort justement que pour elle et l’ensemble des humains : « Notre liberté ne s’arrête pas à la porte de l’hôpital ».

Comparaison n’est, paraît-il, pas raison. Mais quelle ressemblance avec la France d’avant 1975, s’agissant de l’interruption volontaire de grossesse. A cette époque des femmes allaient en Suisse ou en Angleterre solliciter un avortement, d’autres trouvaient en France des médecins complaisants qui défiaient la loi. Les dernières se mettaient dans les mains de « faiseuses d’anges » dont les « avortements criminels » conduisaient à tant de complications que 250 femmes en mourraient chaque année. C’est le courage de Simone VEIL, aidée par certains députés ainsi qu’une forte mobilisation féminine (les « 343 salopes ») ainsi que certains médecins, qui a permis de sortir de l’hypocrisie. Le nombre d’IVG n’a pas explosé pour autant, mais les femmes n’ont plus mis leur vie en péril et la loi a apporté la sécurité et la dignité requises.

Bien sûr, de nombreuses femmes et certains médecins ne veulent pas participer eux-mêmes à des IVG, ce qui est parfaitement légitime. C’est la clause de conscience. C’est le respect de leur liberté. Alors le médecin sollicité se borne à transférer la femme demanderesse à un confrère.

Il en ira de même avec l’aide active à mourir.
Celle-ci, dans mon esprit n’est pas tout à fait :

  • un suicide assisté car la réalisation est effectuée par le corps médical ce qui est moins culpabilisant pour les proches,
  • une euthanasie qui ne signifie pas assez que la décision est basée sur la demande première de la personne concernée (on utilise encore aujourd’hui le terme euthanasie en médecine vétérinaire, où l’avis de l’animal n’est pas sollicité).

L’assistance active à mourir est envisagée par des personnes majeures, informées, ayant exprimé et réitéré leur désir et le rôle des médecins se limite à valider qu’il s’agit bien d’une fin de vie, d’une impasse thérapeutique, d’une demande légitime et non pas de la seule expression d’un état dépressif.

Quelles questions se posent, au moment de l’analyse de cette proposition de loi :

  • faut-il évaluer la loi CLAEYS-LEONETTI ? Mais dans la mesure où elle n’a pas introduit de disposition véritablement novatrice (presque tout existait dans le domaine réglementaire) et où les personnes informées ne trouvent pas la solution qui leur convient, l’évaluation est déjà faite : loi incomplète.
  • Y a-t-il des risques de dérives ? Celles-ci n’ont jamais existé en 15 ans de pratique chez nos amis belges. Au contraire la transparence à laquelle conduit la loi évite les dérives auxquelles exposent les pratiques françaises en catimini.
  • Obstacle au développement de soins palliatifs ? En Belgique encore, l’aide active à mourir et les soins palliatifs se sont développés simultanément et de façon harmonieuse.
  • Troubles dans l’esprit des médecins et des soignants ? Au contraire, le réapprentissage de l’accompagnement à la mort sera très opportun et bénéfique dans nos facultés.

Sigmund FREUD lui-même, atteint d’un cancer évolué du maxillaire, demandait à être délivré des souffrances et d’une fin de vie qui n’avait plus aucun sens à son ami, le Dr SCHUR.

Pour que tous les Français aient un égal accès aux diverses solutions de fin de vie, pour qu’il n’y ait pas des privilégiés connaissant des personnes secourables et d’autres condamnés à subir, ayons pour cette question la même détermination, le même refus de l’hypocrisie, le même engagement pour la liberté de chacun qu’ont eu nos prédécesseurs sur la question qui était alors désignée sous le nom d’avortement criminel.

Je conclus avec une citation supplémentaire d’Anne BERT « La mort n’est jamais indigne. Ce qui l’est, c’est de ne pas respecter les valeurs propres à chaque individu. »

Nous acceptons évidemment qu’il y ait parmi nos concitoyens des philosophies diverses, des priorités différentes dans les valeurs ; acceptons aussi qu’il y ait plusieurs barques pour traverser le Styx.



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