Revue de presse

"Interdiction du voile au travail : Bruxelles tient bon face à la Belgique" (marianne.net , 3 juin 16)

5 juin 2016

"A la demande des Cours de cassation belge et française, la Cour de justice de l’Union européenne doit se prononcer dans les mois à venir sur la possibilité pour les entreprises d’interdire ou non à leurs salariées musulmanes de porter le voile au travail. A ce stade, l’avocate générale a estimé que cette interdiction pouvait être licite dans certains cas. L’Etat belge, lui, soutient l’inverse.

Interdire le port du voile islamique en entreprise est-il licite ? La Cour de justice européenne (CJUE) aura bientôt à trancher sur cette pratique déjà autorisée dans certaines entreprises mais remise en cause par des salariées musulmanes. Avant la décision finale qui ne sera pas rendue avant plusieurs mois, l’avocate générale de la CJUE a rendu son avis ce mardi 31 mai : oui, l’interdiction du voile est licite, dès lors qu’elle se fonde sur une règle interne de neutralité au travail. Un avis à l’opposé de ce que défend la Belgique par la voix de son avocat.

D’après L’Echo de ce vendredi, l’Etat belge a en effet envoyé un avocat devant la CJUE afin de s’opposer à l’interdiction du port du voile en entreprise. Emissaire du ministère des Affaires étrangères, cet avocat a défendu une position préparée par l’administration de l’Emploi, déclarant que "pour le gouvernement belge, il s’agit ici d’une discrimination directe au motif d’une religion ou d’une conviction", rapporte une source présente à l’audience.

Malheureusement pour le royaume belge, les avis de la CJUE vont le plus souvent dans le même sens que l’analyse de l’avocat général. C’est ce qui donne tout leur poids aux conclusions livrées mardi par cette magistrate.

L’histoire belge à l’origine de ce désaccord, c’est celle de Samira, réceptionniste dans l’entreprise G4S Secure Solutions NV qui fournit des services de surveillance et de sécurité. Embauchée en CDI en 2003, elle ne porte son foulard qu’en-dehors des heures du travail et ce, durant trois ans. Mais en 2006, elle décide de le porter tout le temps. Pour G4S, c’est contraire à la neutralité souhaitée par l’entreprise. Simultanément, une règle non-écrite au sein de l’entreprise devient officielle après l’approbation du comité d’entreprise. Elle édicte qu’il "est interdit aux travailleurs de porter sur le lieu de travail des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses ou d’accomplir tout rite qui en découle". Samira porte quand même son voile. Elle est licenciée. S’estimant discriminée en raison de sa religion, la salariée musulmane porte plainte contre l’entreprise devant la justice belge. Déboutée en première instance, puis en appel, c’est au tour de la Cour de cassation du royaume qui demande à la CJUE de l’éclairer avant de trancher.

En France, Asma est ingénieure dans une société de conseil informatique, Micropole Univers. Elle travaille voilée. Un jour, l’un des clients chez qui elle est envoyée, Groupama, se plaint auprès de son entreprise que son voile gêne certains de ses salariés. Le client demande à ce qu’il n’y ait "pas de voile la prochaine fois". La société de conseil informatique exige alors d’Asma qu’elle y renonce lors des prochains contacts avec des clients, ce qu’elle refuse. Elle est alors licenciée. A la CJUE, la Cour de cassation demande si le souhait de la société cliente, ici Groupama, de ne pas avoir affaire à une intervenante voilée, constitue "une exigence professionnelle essentielle et déterminante", qui ne rendrait pas sa requête discriminatoire.

Malgré l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux qui énonce que "la liberté de religion implique la liberté de toute personne de manifester sa religion en public ou en privé, y compris par les pratiques", l’avocate générale estime qu’il n’y a pas pour autant de discrimination directe fondée sur la religion, à l’inverse de ce que pense l’Etat belge. En effet, "il ne s’agit pas d’une mesure dirigée spécifiquement contre les travailleurs de religion musulmane, justifie Julianne kokott, dès lors que cette interdiction s’appuie sur un règlement général de l’entreprise interdisant les signes politiques, philosophiques et religieux visibles sur le lieu de travail".

Mais la magistrate reconnaît que cette interdiction pourrait constituer une discrimination indirecte, au motif que les travailleuses musulmanes sont particulièrement victimes de cette interdiction. Mais Julianne Kokott va plus loin en considérant toutefois que "cette discrimination pourrait être justifiée afin de mettre en œuvre, dans l’entreprise concernée, une politique légitime de neutralité fixée par l’employeur" tout en respectant le principe de proportionnalité. La justice européenne pourrait donc consacrer comme intouchable le principe strict de neutralité au sein d’une entreprise. Principe qui doit tout de même répondre à certains critères afin de respecter une bonne proportionnalité. La magistrate en énumère quatre : la taille et le caractère ostentatoire du signe religieux ; la nature de l’activité de la travailleuse ; le contexte dans lequel doit être exercée son activité ; enfin, critère surprenant, la vision qu’a l’Etat de l’identité nationale. Le contexte culturel importe donc."

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