Revue de presse

Guillaume Trichard : « Le droit à mourir dans la dignité sera un progrès majeur » (La Tribune dimanche, 10 déc. 23)

(La Tribune dimanche, 10 déc. 23). Guillaume Trichard, Grand maître du Grand Orient de France. 11 décembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"OPINION. Le grand maître du Grand Orient de France en appelle solennellement au chef de l’État afin d’accélérer la mise en débat d’un projet de loi sur le droit à mourir dans la dignité.

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Progrès scientifique et médicaux placent l’humanité face à de nouveaux et immenses défis. Leurs avancées sont pour la plupart hautement bénéfiques. Par bien des aspects, nos vies se sont améliorées, elles se sont allongées aussi. Nous vivons mieux. Mais mourrons-nous pour autant dans des conditions améliorées, dans des conditions moins douloureuses, moins souffrantes, moins désespérées ? L’insuffisance des structures palliatives en France reste très problématique. Mais ce sont surtout les lacunes de notre dispositif législatif d’accompagnement des mourants qui demeurent frappantes. Il est urgent que notre pays se dote d’un droit à mourir dans la dignité.

Or le gouvernement vient à nouveau, cette semaine, d’en repousser la perspective. Depuis des décennies, la France tergiverse, hésite, doute. La plupart de nos voisins, eux, ont statué : en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne ou encore en Suisse et en Allemagne, chaque homme et chaque femme est désormais maître de sa fin. S’il ou elle estime que les maux infligés par la maladie ou l’extrême vieillesse attentent à son intégrité physique et morale, s’il a l’intime conviction que son existence n’est plus qu’un long cortège de plaintes insoutenables, de diminution inexorable et d’affaiblissements innommables, il peut recourir à ce droit : mourir dans la dignité. Aujourd’hui, comme en attestent toutes les études d’opinion, nos concitoyens sont prêts à inscrire ce droit dans la loi. Ils le réclament. Et le Comité consultatif national d’éthique en a acté la nécessité. Une convention citoyenne également, voulue par le président de la République, qui s’y était engagé durant la dernière campagne présidentielle.

Alors pourquoi attendre ? Le texte devait être déposé « d’ici la fin de l’été 2023 » puis à l’automne 2023. Il ne l’est toujours pas... Le sera-t-il au moins au printemps 2024 ? Rien, à ce stade, ne le garantit. L’hiver du désarroi démocratique est là. Le clair-obscur domine. L’exécutif, incertain, semble jouer ou subir la montre. Tous ceux qui, comme les francs-maçons, ont à cœur une certaine idée du progrès et de l’amélioration matérielle et morale de l’humanité ne peuvent que s’en inquiéter.

Dans le même temps, les souffrances des agonisants s’aiguisent, s’aggravent, se multiplient. Comme chaque fois que s’entrouvre la porte d’une grande réforme sociétale, l’esprit de la contre-réforme pousse ses feux, avec des arguments souvent biaisés.

Le Grand Orient de France, première obédience libérale et adogmatique du monde, fait de la liberté donnée à chacun de vivre sa vie - mais aussi la fin de sa vie - l’un des principes fondateurs de sa conception de l’homme et de la société. La liberté de vivre, de disposer de son corps, d’opérer en conscience ses orientations privées et personnelles, y compris celle, ultime, de décider de sa fin de vie, est une juste application de la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont nous célébrons ce 10 décembre le 75e anniversaire, et de son article premier : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

Cette liberté constitue la pierre angulaire d’une existence autodéterminée, la plus vivante expression au quotidien du libre arbitre, fruit laborieux de siècles de combats contre toutes les formes d’obscurantisme religieux et politique. Ajoutons, contre tous les tenants de la frilosité et du conservatisme, qu’un droit octroyé à des individus n’enlève rien à ceux qui ne le revendiquent pas, qui ne le revendiqueront jamais et qui sont fondés à ne pas le revendiquer. En revanche, le refus d’accorder ce droit prive notre société d’une dimension essentielle d’humanité. C’est cette part qu’il nous faut défendre au nom des Lumières. De même que la loi de séparation de l’Église et de l’État, promulguée le 9 décembre 1905, a formé une haute réalisation de la laïcité, philosophie de l’émancipation, l’inscription du droit de mourir dans la dignité dans notre législation constituera un progrès majeur dans la fidélité à la conception humaniste de la personne humaine.

Alors que chacun s’accorde à reconnaître les manques cruels de la législation actuelle qui conduisent certains de nos concitoyens à franchir les frontières de l’Hexagone pour accéder à une fin paisible, l’exécutif ne saurait reculer davantage. Il est regrettable de retarder cette loi consensuelle dont l’adoption s’imposera comme une grande avancée, au même titre que le fut le droit à l’avortement. Pour ceux qui souffrent, qui n’aspirent plus qu’à dire adieu aux leurs dans des conditions dignes, pour cette ultime liberté, disons-le sans ambages : l’audace de l’humanisme doit prévaloir, ici et maintenant, sans attendre et avec le respect que l’on doit à tout homme qui, en conscience, veut rester maître de sa destinée.

Aussi, le Grand Orient de France, par ma voix, en appelle solennellement au président de la République, Emmanuel Macron, afin d’accélérer la mise en débat au Parlement d’un projet de loi dont le dessein consistera à faire reculer l’inhumanité de la vie dans ce qu’elle peut avoir d’inacceptable, au service de l’humanité d’une fin dans ce qu’elle a d’acceptable. Un projet de loi d’ultime liberté..."



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