Revue de presse

Frédéric Thiriez : « Ce qu’il faut comprendre, c’est que Les Hijabeuses ne sont pas seules à la manœuvre » (Charlie Hebdo, 5 juil. 23)

(Charlie Hebdo, 5 juil. 23). Frédéric Thiriez, avocat, ancien président de la Ligue de football professionnel 7 juillet 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"On a eu chaud ! À rebours de l’avis de son rapporteur public, le Conseil d’État s’est prononcé, jeudi 29 juin, contre l’abrogation de l’article 1 du règlement de la Fédération française de football (FFF), qui exige une tenue neutre pour les joueurs et joueuses de foot. Abrogation demandée par le collectif de footballeuses voilées Les Hijabeuses. Frédéric Thiriez, ancien président de la Ligue de football professionnel et avocat, qui représentait la Ligue du droit international des femmes devant le Conseil, fermement opposé au port du hijab dans le sport, nous explique la portée de la décision et rappelle l’offensive islamiste à l’œuvre.

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Lire "Entretien. Frédéric Thiriez : « Ce qu’il faut comprendre, c’est que Les Hijabeuses ne sont pas seules à la manœuvre »".

Charlie Hebdo : Le Conseil d’État a rappelé jeudi dernier le droit des clubs de foot à interdire le hijab sur le terrain. Alors, heureux  ?

Frédéric Thiriez : Et comment  ! D’autant qu’il y avait du suspense avec la position du rapporteur public, qui s’est prononcé en faveur de l’abrogation de l’article 1 du règlement de la FFF, qui pose cette obligation de neutralité pour les joueurs. Ce que proposait le rapporteur public, c’était d’enlever le passage de cette disposition qui demande de ne pas porter de signes religieux, politiques ou syndicaux. Si le Conseil l’avait suivi, on aurait non seulement autorisé le voile islamique sur le terrain, mais la kippa, le turban des sikhs, voire les slogans politiques. Imagine-t-on un joueur avec un signe du Rassemblement national ou un slogan contre la réforme des retraites  ?

Est-ce une décision importante  ?

C’est un grand arrêt. Pour la première fois, il reconnaît une valeur juridique au principe de neutralité du sport. Ce n’était pas du tout évident, car le Conseil d’État reconnaît la neutralité du service public, qui ne s’impose qu’aux fonctionnaires et non pas à ses usagers. Ce que fait l’arrêt du Conseil d’État, c’est qu’il reconnaît le droit, comme je l’avais d’ailleurs demandé, aux fédérations, qui disposent d’un pouvoir réglementaire propre, d’imposer une tenue qui soit neutre au regard des opinions religieuses, politiques ou syndicales. Cette neutralité, elle figure dans les grands textes fondateurs de l’olympisme – l’article 50.2 de la Charte olympique interdit justement toute manifestation d’opinion. Ce principe est désormais consacré dans le droit interne.

C’est une victoire pour le sport, donc  ?

C’est une victoire pour le mouvement sportif, une consécration de son autonomie, et j’y tiens en tant qu’ancien dirigeant du football européen. Les fédérations sportives ne sont pas des services de l’État, le sport n’a pas attendu l’État pour s’organiser, d’ailleurs.

Mais ce n’est pas seulement une victoire pour le sport, c’est aussi une victoire pour les femmes, un sujet qui me tient à cœur puisque je défendais la Ligue du droit international des femmes. Qu’on le veuille ou non, le voile islamique n’est pas un simple morceau de tissu comme les autres. C’est un signe ostensible d’appartenance religieuse, mais c’est aussi un signe de ségrégation entre hommes et femmes, et un signe d’une soumission des femmes aux hommes. On rend le corps des femmes invisible, ce n’est pas tolérable, et c’est contraire à tous nos principes fondamentaux de non-discrimination, de dignité de la personne humaine. C’est un avertissement lancé à l’islamisme politique et à son offensive tous azimuts.

À les entendre, Les Hijabeuses ne demanderaient que la liberté de jouer au football comme elles l’entendent. C’est aussi comme ça qu’elles ont été présentées dans beaucoup de médias. Certains journaux ont même titré : « Ces jeunes femmes exclues du football ».

Il y a une extraordinaire naïveté d’un certain milieu intellectuel en France. Je vais vous dire ce que dit la secrétaire générale de la Ligue du droit international des femmes : « Vous voulez jouer au foot, les filles  ? Eh bien jouez au foot  ! »

Ce qu’il faut comprendre, c’est que Les Hijabeuses ne sont pas seules à la manoeuvre. Derrière elles, on retrouve ­Alliance ­citoyenne, le même collectif qui pousse pour obtenir l’autorisation du burkini dans les piscines grenobloises. Un mouvement très bien organisé et très bien financé. Elles ont répété à tous les médias : « Nous, tout ce qu’on veut, c’est jouer au foot, ce n’est pas politique ni religieux. » Pourtant, elles écrivent le contraire dans leur recours et revendiquent le droit de porter le voile en signe de leur foi religieuse. Qu’elles veuillent jouer au foot, c’est très bien. Mais s’affilier à une fédération, c’est en respecter les règles. Non seulement elles ne les respectent pas, mais elles les contestent devant le Conseil d’État.

Dans toute cette affaire, il y a un seul argument sérieux qu’elles ont proposé : interdire le foulard, c’est empêcher certaines filles d’accéder au sport. Mais dire ça, c’est placer ces filles-là dans une forme de liberté conditionnelle, être libres à condition d’être asservies par le voile. Nous devons défendre la liberté, pas la liberté conditionnelle.

J’ai atteint aujourd’hui un âge vénérable, assez pour vous dire que le contentieux relatif au port du voile islamique est tout récent. Pour le sport, ça remonte aux années 2000. Dans d’autres domaines, on peut remonter à la révolution islamique d’Iran de 1979. Il ne faut pas oublier qu’il y a une offen­sive très organisée et récente de l’Iran et des monarchies du Golfe, qui visent toutes les strates de la société, et notamment le sport.

Est-ce en raison de cette offensive que la Fédération internationale de football (Fifa) a plié sur le sujet  ?

Ça s’est passé en 2011, quand l’équipe iranienne de foot s’est présentée en Jordanie pour le match qualificatif des Jeux olympiques de Londres. Toutes les joueuses d’Iran étaient couvertes des pieds à la tête. Le règlement de la Fifa interdisait totalement les signes religieux, elles ont donc été exclues. Or, à l’époque, le vice-président de la Fifa, c’était le prince Ali de Jordanie. Il a réussi à convaincre le comité exécutif qu’il ne fallait pas interdire le voile, parce que ce n’était pas un signe religieux, mais un signe culturel. La Fifa a plié en 2012 en disant que c’était un « couvre-chef ».

Voilà qui ressemble beaucoup à ce que certains disent de l’abaya, dont le port s’est propagé dans les écoles de France ces derniers mois.

C’est exactement la même stratégie que pour l’abaya, oui. En attendant, la Fifa a cédé et d’autres fédérations internationales ont suivi. Il faut dire bravo au foot français, qui a toujours tenu la ligne.

Cet arrêt suffira-t-il à bloquer les ardeurs des militants provoile, au moins un certain temps  ?

On est tranquilles pour un moment, oui. Si le Conseil d’État avait annulé le texte fédéral, on aurait demandé une intervention du législateur, qui avait déjà failli se prononcer en 2011 pour interdire tous les signes religieux des terrains de sport en général. Mais le gouvernement s’y était opposé. Par cet arrêt, le Conseil dit : le mouvement sportif est apte à créer ses propres règles. La décision a été prise par deux chambres réunies, soit neuf magistrats, suivie d’un communiqué de presse. C’est donc un arrêt de principe qui sera pérenne.

Alors qu’ailleurs l’offensive continue…

Le terrain le plus menacé, c’est l’école. C’est extrêmement difficile pour les professeurs, qui rencontrent beaucoup de problèmes qui ne sont pas réglés. Les enseignants sont confrontés à des situations où ils ne savent pas quoi faire, avec des discussions byzantines. Dernière en date, vous en parliez : l’abaya, signe religieux ou culturel  ? Je me mets à la place des équipes pédagogiques, c’est infernal."


Voir aussi le communiqué de la LDIF et du CLR Le Conseil d’Etat a tranché en faveur des lois du sport (CLR, LDIF, 29 juin 23), les communiqués du CLR « Hidjabeuses » dans le foot : si le Conseil d’Etat se couche, ce sera au politique d’aller vers une loi (CLR, 28 juin 23), « Hidjabeuses » dans le foot : si le Conseil d’Etat se couche, ce sera au politique d’aller vers une loi (CLR, 28 juin 23), La neutralité religieuse sur les terrains de foot protège, rassemble et unit (CLR, 11 fév. 22),
VIDEO Colloque "Sport et laïcité" (CLR, 22 oct. 22),
dans la Revue de presse "Hijab dans le foot : le Conseil d’Etat maintient l’interdiction lors des compétitions" (AFP, lexpress.fr , 29 juin 23), dans le dossier Foot : vêtements, A. Sugier, L. Weil-Curiel, F. Thiriez : "Le principe de neutralité du sport est un outil encore plus puissant que la laïcité" (Charlie Hebdo hors-série, nov-déc. 22), dans Voile et vêtements dans le sport dans la rubrique Sport,
"Alliance citoyenne, l’association pro-burkini derrière Piolle" (Le Parisien / Aujourd’hui en France, 10 mai 22), "« Couple kabyle », « malades », « FN »... : l’étrange listing de l’association Alliance citoyenne" (Le Parisien / Aujourd’hui en France, 10 mai 22) dans le dossier Burqini à Grenoble dans la rubrique Burqini dans Voile & vêtements,
le dossier Voile, signes religieux à l’école dans Atteintes à la laïcité à l’école publique dans la rubrique Ecole,
dans les Initiatives proches la Ligue du droit international des femmes (LDIF),
dans les Documents "Interdiction par la FFF du port pendant les matchs de « tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale » : le Conseil d’Etat rejette les requêtes" (Conseil d’Etat, 29 juin 23), la Charte olympique (CIO) dans le dossier Sport, le Vade-mecum "Liberté d’expression, neutralité et laïcité dans le champ des activités physiques et sportives" (Conseil des sages de la laïcité, mars 22) (note du CLR).


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