Cinéma

Au nom du fils (C. Ruche)

18 mai 2014

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C’est un bien étrange film que nous propose Vincent Lannoo et en écrivant ces lignes, j’en suis encore totalement désappointé. L’intrigue se passe dans les milieux catholiques belges, où l’héroïne, Elisabeth, mène la vie harmonieuse et décérébrée des personnes qui ont remis leur destin et leur quotidien entre les mains du divin. La caméra de Vincent Lannoo est implacable dans la captation des situations de la vie quotidienne où la dévotion remplace la réflexion et où les émotions sont calibrées sur les canons d’une Eglise catholique avide et omniprésente. C’est tellement bien filmé que ça fait peur, au point que le spectateur ne peut qu’éprouver un sentiment de pitié devant un tel enfermement et une si totale soumission.

Mais la vie qu’Elisabeth s’est choisie va basculer dans le drame avec la mort accidentelle de son mari, dans des circonstances troublantes et un peu cocasses, suivies de près par un autre drame qui implique son fils ainé âgé de 13 ans. Celui-ci est victime d’un curé libidineux qu’il prend pour l’amour de sa vie. Devant le refus de sa mère à accepter cette liaison, il se suicide. Désespérée, Elisabeth va demander justice à son évêque lors d’une scène surréaliste où elle va entendre que le saint homme est en fait la victime de sa « tantouse » de fils et qu’elle devrait avoir honte de calomnier l’Eglise qui lui a tout donné. C’est là, précisément que le film bascule, puisque notre paisible et inoffensive mère de famille va massacrer l’évêque et s’emparer du dossier contenant les noms de tous les prêtres accusés de pédophilie. A travers le massacre qui va suivre, Elisabeth gagnera son salut, sa rédemption et sa liberté.

C’est à la fois Matrix, Pulp Fiction et Kill Bill à la sauce catho. C’est grandiose et la scène où elle assassine le premier prêtre restera comme le meurtre le plus déjanté de l’histoire du cinéma. Mais la véritable prouesse de ce film est ailleurs. Vincent Lannoo, en nous proposant cette immersion dans les milieux intégristes catholiques, brosse un tableau au vitriol des religions et nous fait la démonstration que sous leur apparente bienveillance, elles sont, en fait, porteuses du germe de la violence. En cela, il semble évident que ce film est un film anticlérical et il est rafraichissant, dans la période actuelle, de voir un cinéaste prendre le risque de dénoncer les dérives des églises. Tout le monde comprendra qu’à travers l’Eglise catholique, qu’il est encore possible d’attaquer sans risquer sa vie, Vincent Lannoo dénonce toutes les religions et certaines scènes pourraient très bien être transposées dans d’autres lieux, d’autres circonstances et sous d’autres prophètes.

C’est certainement la raison pour laquelle ce film est sorti dans une quasi clandestinité puisqu’il n’est proposé que par une vingtaine de salles dans tout l’hexagone. C’est certainement aussi parce que les religions font peur et/ou ont réussi à intimider la société par l’expression de leur capacité de nuisance. Nous l’avions déjà compris pour la religion musulmane, à travers l’affaire des caricatures, c’est une nouveauté pour la religion catholique. Le fait est que les directeurs de salle hésitent à programmer un film susceptible de provoquer des troubles à l’ordre public (lire Pédophilie dans l’Eglise : censure du film « Au nom du fils » (AFP, 27 av. 14)).

Mais l’impression étrange que m’a laissée ce film ne serait pas complète si je ne parlai pas des deux autres spectateurs présents dans la salle. C’était un jeune couple, 25 et 27 ans. Ils étaient mignons, après la projection, en m’expliquant leur déception. La première partie les avait fascinés par la précision du dialogue et les ambiances de dévotion qui en découlaient. Mais ils étaient déçus par la deuxième partie pas assez « démonstrative ». Ils auraient préféré, si j’ai bien compris leurs propos, que l’héroïne puise sa violence, non pas dans la volonté de rétablir son fils dans sa position de victime, mais dans une croisade religieuse totale, à la Ben Laden. « Ça manquait d’hémoglobine et les scènes de meurtres, trop rapides, empêchaient de bien voir les détails. Enfin, c’était pas très intéressant ! »

Dans notre longue discussion, à la terrasse d’un café, j’ai, ensuite, tenté d’aborder la religion, la laïcité et l’affaire Baby-Loup mais j’ai rapidement compris qu’ils ne se sentaient pas vraiment concernés. Si l’affaire Baby-Loup s’était déroulée chez H&M ou chez Calvin Klein, ils auraient peut-être accepté d’y prêter un peu d’attention. L’affaire Calvin Klein ! Ça, ça aurait eu de la gueule. Alors j’ai fini ma bière, je les ai remerciés de leur gentillesse et je suis rentré chez moi un peu plus désespéré.

Claude Ruche


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