Rebond

Face à l’islamisme, la défense sans concession de notre République et de la liberté !

Réponse à Farhad Khosrokhavar. Par Guylain Chevrier. 24 juillet 2016

Dans une interview qu’il a donné au New York Times, Farhad Khosrokhavar, directeur d’étude à l’EHESS, spécialiste en radicalisation, sous le titre « Le djhad et l’exception française » [1], s’est livré à un véritable réquisitoire contre le modèle républicain, son idéal universaliste et sa laïcité, responsable selon lui, de la multiplication des attentats en France. Il dévoile derrière sa lecture des faits un projet politique, le remplacement de notre République par le multiculturalisme.

Farhad Khosrokhavar développe une thèse, selon laquelle il y aurait une exception française en matière de djihadisme, avec plus d’attentats en France qu’ailleurs. La cause en serait les prétentions de la République, de son idéal laïque. Il y voit une « suspicion affichée envers toute religion, à commencer historiquement par le Catholicisme, la stigmatisation de particularismes culturels » à travers le fait que soit exigé « que la religion reste une affaire strictement privée », ou encore qu’elle limite « le port du foulard ou les prières collectives en public ». Il en découlerait que « beaucoup d’étrangers et leurs descendants, se sentent offensés dans leur identité arabe ou musulmane. (…) La laïcité, si inflexible, semble dénier leur dignité », affirme-t-il. Ce serait cela qui permettrait de donner l’initiative aux islamistes.

Plus d’attentats ailleurs qu’en France ? Une affirmation pour le moins contestable au regard de la trainée de poudre que deviennent les attentats dans toute l’Europe. Pour autant, si le modèle républicain français avec sa laïcité est plus particulièrement la cible de l’islamisme [2], c’est bien parce qu’il constitue l’un des obstacles principaux à celui-ci. Ce qui devrait conduire au contraire à encourager la résistance et non à céder aux forces obscures, en abandonnant tout derrière soi.

La solution serait donc de tout autoriser pour avoir la paix, quand il devrait être question de désamorcer ce piège en montrant que la laïcité protège tous les citoyens justement contre les groupes de pression religieux ou culturel, en garantissant l’autonomie de choix des individus, par le caractère inaliénable de leurs droits et libertés individuels, et donc, garantissant à tous la même liberté. Ce que ne connaissent que peu de pays. Si la France donne toute liberté aux convictions philosophiques ou religieuses, leurs manifestations peuvent en revanche rencontrer des limites, si elles troublent l’ordre public établi par la loi. Car laisser faire n’importe quoi dans ce domaine, c’est tout simplement ne pas respecter la liberté de conscience des autres, c’est installer des logiques communautaires conduisant au communautarisme qui rompt l’égalité entre les citoyens, mettant en cause la démocratie elle-même. La laïcité, c’est l’égalité de traitement devant la loi des individus, indépendamment de la couleur, l’origine, la religion. N’est-ce pas d’abord cette haute considération pour tous et chacun, qui constitue le plus beau fondement de la dignité de l’être humain ? Sans oublier une égalité hommes-femmes qu’aucune religion n’a donnée et qu’il faut protéger contre le retour des traditions parfois rétrogrades qui y sont attachées.

Selon le raisonnement de Farhad Khosrokhavar, « c’est donc la force, le poids, de l’identité nationale de la France qui pose problème aujourd’hui. » Elle serait la cause du « malaise des jeunes provenant d’ailleurs, surtout d’Afrique du Nord, d’autant plus que la région a été décolonisée dans la douleur et l’humiliation ». Il reprend là un thème cher à ceux qui combattent la République, en rejouant les conflits du passé, pour justifier une victimisation à outrance. Pour prendre l’exemple de la guerre d’Algérie, l’indépendance a été conquise dans la fierté, qui résonnait dans les rues d’Alger aux cris d’un peuple en joie, celle de s’être émancipé de la domination coloniale. C’était la fin d’un colonialisme dont la France n’a pas eu le monopole.

Mais surtout, on ne peut pas faire comme si l’Histoire n’était pas passée par là, qui a su faire que devant la nation les anciens colonisés et leurs enfants soient des égaux parmi les égaux. Ce que seule la France a su pleinement faire au regard justement d’une Allemagne ou d’une Angleterre dont le multiculturalisme prédestine les individus, selon leurs particularismes, à être captés par des communautés qui les dépossèdent de leur libre détermination, parlent à leur place, en font des citoyens de seconde zone [3]. Enfin, s’ils vivent sur le sol de la France, ils ont aussi souvent obtenu la nationalité française, et sont donc français et non plus Algériens, Tunisiens ou Marocains, ce dont il faudrait finir par les convaincre tous, au lieu d’entretenir de façon artificielle des discordes sur le fond d’un passé périmé, dépassé dans les faits.

Farhad Khosrokhavar explique que « ni l’Allemagne ni l’Angleterre » ne connaitraient de « phénomène des banlieues à une telle échelle » et que « la France semble aliéner un nombre plus important encore de ses ressortissants, et bien au-delà de ceux qui rallient Daech. » L’Allemagne aurait « opté pour un modèle, dit-il, nettement plus modeste et plus prudent » que le nôtre : « le progrès économique » et l’absence d’une « volonté de rassembler tous ses citoyens autour de principes universalistes », et l’Angleterre « pour le multiculturalisme » qui « ne cherche pas à créer une société mono-culturelle. »

Des phénomènes de banlieue plus importants en France qu’ailleurs ? C’est encore à prouver, car cet expert ne s’appuie sur aucun chiffre pour lancer ses affirmations avec arrogance. On sait que la pauvreté est bien plus dissimulable, derrière les murs clos du communautarisme d’une Allemagne ou d’une Angleterre, avec des populations encadrées par les religieux, les clans et les castes, qui les font taire. Ceci étant, du Brexit qui a gagné tout particulièrement sur le fondement du rejet des immigrés à l’Allemagne où se développe sur le même fond le mouvement d’extrême droite Pédiga à la centaine de centres de migrants qu’on y a brûlé, il n’y a pas de quoi pavoiser.

Pour parler de l’aliénation dont seraient l’objet nos ressortissants de « la banlieue », sous-entendu, des enfants d’immigrés, plus qu’ailleurs encore, il n’y a pas bien regardé. En Angleterre, le multiculturalisme censé procurer plus de liberté en étant plus « respectueux » des particularismes culturels, autorise les tribunaux islamiques dans la communauté musulmane où on applique avec l’accord du juge, ce que l’on appelle « la charia courte », autrement dit la loi religieuse [4]. Hormis, dit-on, les châtiments corporels. Mais les principes du pire patriarcat peuvent ainsi y dominer, une infériorité juridique des femmes que toutes les religions pratiquent, s’appliquer. Les mariages dits arrangés, faits sur un mode traditionnel, autrement dit des mariages forcés [5], ne sont-ils pas des viols légalisés ? Des archaïsmes qu’heureusement notre République condamne sans appel ! Dans Wuppertal, ville allemande, des jeunes islamistes, radicaux ont constitué « une police de la charia ». Cette « police » privée, illégale, sillonne la ville afin de repérer ceux et celles qui pourraient boire de l’alcool ou se laisser aller à des jeux d’argent [6]... Les filles que cette milice rencontre, sont, elles, « invitées » à rester chez elles ! Un quartier de la ville a été ainsi transformé par ces jeunes salafistes en « zone sous contrôle de la charia ». Cette constitution d’une milice privée religieuse n’est pas un fait isolé en Allemagne. A Bonn, un groupe a ainsi essayé d’obliger une jeune femme musulmane à porter le voile…. Un autre groupe a lui, battu un jeune parce qu’il buvait de l’alcool. Est-ce cela que l’on veut voir arriver en France ? Mais au fait, M. Cameron et Mme Merkel ne nous ont-ils pas dit que le multiculturalisme était chez eux un échec [7] au regard des problèmes d’intégration que ces pays rencontrent, à quoi le Brexit n’est pas étranger, comme on le sait ?

Rappelons que le dernier rapport sur « La Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie » de la Commission consultative des droits de l’homme, portant sur l’année 2015 en France, celle des attentats, montre sans ambiguïté que la France n’a jamais été aussi tolérante vis-à-vis des étrangers [8]. Ce qui peut surprendre certains qui cherchent toujours à se convaincre d’une France raciste, du sommet de l’Etat aux quartiers. Ce sont Omar Sy, Jamel Debbouze et autre Zidane qui font partie des personnalités les plus aimées des Français. Selon une étude du Pew Research Center publiée la semaine dernière, seulement 29 % des Français ont une vision défavorable des musulmans, soit l’un des taux les plus bas de toute l’Union européenne [9]. Il n’y a pas, contre toute idée reçue, d’opinion défavorable par principe de l’islam ; l’inquiétude porte sur les débordements des manifestations identitaires. Reflet d’un pays, et d’une population française habituée au mélange, qui a relativement confiance dans son modèle d’intégration, mais rejette le principe des minorités qui mettraient en péril une façon de vivre propre à des mentalités et des mœurs libres. On s’y considère d’abord comme des citoyens en toute convivialité.

La reconnaissance d’une certaine diversité n’implique pas le multiculturalisme ou le communautarisme. Ce qui fait société peut être plus important que ce qui nous différencie, sans qu’il faille pour cela renoncer à nos identités particulières. La laïcité, à porter au-dessus des différences le bien commun, l’intérêt général, les protège toutes contre le risque que l’une d’entre elles prennent le pouvoir sur les autres. La France, à considérer ainsi ses membres comme des égaux avant tout, favorise le mélange des populations, la mixité, ce qui évite les séparations et tensions ethniques d’une mise en concurrence des groupes identitaires, ainsi qu’un clientélisme politico-religieux derrière quoi s’instaure la différence des droits. La France est riche de sa diversité, elle la protège d’autant mieux qu’elle fait des citoyens libres, qui peuvent compter sur elle contre toute oppression des uns vis-à-vis des autres.

De plus, le multiculturalisme, c’est aussi, on ne saurait l’oublier, diviser pour régner. Qu’il y a-t-il de plus sûr pour le marché qu’un peuple divisé en communautés identitaires, aux milles différences et concurrentes ? Si la France dispose d’une République laïque et sociale, c’est parce que le peuple a joué dans son histoire le rôle principal, dans le prolongement du souffle de la liberté de 1789, en conquérant par des révolutions et des luttes sociales à buts universels détachés de toute considération religieuse, un modèle social que le monde nous envie, et dont disposent tous ceux qui vivent sur notre territoire.

Farhad Khosrokhavar suggère de inspirer d’une Allemagne prudente, qui « a une politique étrangère assez réservée à l’égard du monde musulman », et à cela d’adjoindre la critique de ce qu’il nomme « une politique étrangère française musclée qui semble privilégier pour cibles des pays musulmans comme la Libye, la Syrie ou le Mali. »

Il feint d’ignorer le pourquoi de l’intervention dans ces pays musulmans, ce qui s’y passe, et non la volonté de s’en prendre à une religion comme il l’induit, spécieusement [10]. La défense des populations contre l’islamisme, la barbarie, comme au Mali, serait là aussi à effacer de la carte. Il faudrait pour satisfaire à ces prescriptions, laisser faire les fous de dieu, qui coupent des mains, décapitent pour un manquement aux prescriptions divines selon eux, violent de toutes jeunes filles mariées de force. Quel cynisme ! La République a là aussi des choses à faire valoir. C’est sa Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui a inspiré la Déclaration universelle des droits de l’homme, et elle ne l‘oublie pas.

Dans le prolongement de ce procès de la République, il part du constat que « la France n’arrive pas à résoudre le problème de l’exclusion économique et sociale » pour encore accuser : « Son modèle, trop protecteur de ceux qui détiennent un emploi et pas assez ouvert à ceux qui n’en ont pas, nourrit le mal-être des uns et des autres. »

Quel progressiste ! Il faudrait ainsi en finir avec les protections collectives de notre Code du travail, libéraliser, déréguler, pour résoudre ce problème. Tout viendrait là de notre modèle social, de son universalisme, de sa fonction publique protectrice de l’emploi [11]. Il est décidément formidable !

Il surenchérit encore : « Les jeunes des banlieues, exclus et avec peu de perspectives, se sentent victimisés. Ils deviennent vite les cibles privilégiées de la propagande djihadiste, souvent après avoir fait un passage en prison pour divers délits. » Il reprend implicitement à son compte une victimisation où se mêlent difficultés sociales et sentiment d’être discriminés, faisant valoir le lien entre « jeunes de banlieue » et « discrimination », censé tout expliquer. C’est cela qui serait évidement à l’origine de leur embrigadement.

Le communautarisme dans l’ombre duquel l’endoctrinement est facilité, absent de ce discours, l’islamisme qui progresse dans nos banlieues, tout autant. On est encore là sur une culture de l’excuse qui entend voir dans le délitement du lien social la cause à la radicalisation, dédouanant ainsi l’islamisme qui se répand, alors que toutes les couches sociales sont concernées et non simplement ceux des banlieues ou les jeunes délinquants.

Quand à l’argument du passage en prison où les petits délinquants découvrent l’islamisme, dédouanant de toute responsabilité ceux qui se radicalisent, c’est encore la faute de la République. La délinquance est plutôt le préalable à un rejet de l’autorité et à un conflit avec la République qui, par ce procès qu’il relaie, mène à la haïr. Le voilà le terreau de la radicalisation qui justifie toutes les violences contre elle. Ne faudrait-il pas plutôt précisément, promouvoir une toute autre image de la République, pour prévenir le risque de délinquance et par la même occasion la radicalisation ?

Farhad Khosrokhavar considère que La France universaliste ne peut plus prétendre à pouvoir intégrer tous les français, que « cette ambition "assimilationniste " est de plus en plus en porte-à-faux avec la réalité quotidienne » et que « ce décalage grandissant angoisse tout le monde. » Le système d’intégration français serait généreux mais « trop rigide dans sa pratique ». Aussi pour lui, il faut « une approche plus pragmatique et plus souple, avec moins de diktats idéologiques et moins d’anxiété face à la pluralité. » Et pour enfoncer le clou : « La France n’est plus ce qu’elle était et il est temps qu’elle se fasse à cette idée. »

Tout son discours est en forme de renoncement à des idéaux humanistes contenus dans l’idéal républicain qui représentent justement l’essence de ce qu’il faut défendre, la démocratie, l’Etat de droit, l’autonomie de l’individu et sa libre détermination, les protections collectives, droit de croire ou de ne pas croire, liberté d’exercer son culte pourvu que l’on respecte la liberté de conscience des autres et donc, le droit commun. Quant à ce « décalage » qui angoisserait « tout le monde », c’est le fantasme de ceux à qui la peur de résister fait quitter le navire. Il n’y a aucune « anxiété face à la pluralité », mais une juste inquiétude face à la montée d’affirmations identitaires qui entendent imposer aux autres, à toute la société leur mode de vie, la règle religieuse.

Comment oublier qu’il a fallu des siècles pour repousser la domination religieuse, pour faire place aux libertés que l’Eglise étouffait, pour qu’advienne un Etat de droit qui tire sa légitimité du peuple et non d’un dieu, au nom duquel le pouvoir politique puisse faire ce qu’il veut ? Aussi, laisser faire aujourd’hui, c’est laisser la religion reprendre le dessus dans la société sur la loi.

Mais l’islamisme, n’est-ce pas précisément la volonté d’établir un Etat religieux en lieu et place du politique ? En réalité, derrière ce procès et cette invitation à tous les abandons pour faire place aux particularismes, et en fait à un islamisme galopant que Monsieur Khosrokhavar dédouane totalement, se fait jour un grand combat. C’est celui de notre temps entre un nouveau totalitarisme, qui fait retour par l’exacerbation du religieux, et la liberté, dont le pronostic vital est ici engagé. On peut faire confiance à la France pour défendre, dans la continuité avec son histoire, sa République laïque et sociale, condition de notre liberté !

Guylain Chevrier



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