Revue de presse

"Et la déchéance de la double nationalité ?" (E. Conan, Marianne, 5 fév. 16)

15 février 2016

"Rien ne s’est passé comme prévu. Au départ, une belle manœuvre hollandaise. Piéger la droite dans une mise en scène d’union nationale, en feignant de reprendre l’une de ses marottes, la déchéance de nationalité. Tout en comptant sur le Conseil d’Etat pour censurer cette horreur et valider une constitutionnalisation de l’état d’urgence juridiquement inutile. La politique réduite à la com. Même avec le tragique.

Mais, patatras, les conseillers d’Etat refusent de jouer les idiots utiles. Alors, cette déchéance restée dégoupillée sur le bureau de l’Elysée n’a cessé de faire des ravages. La machine à synthèses hollandaise a disjoncté. Valls est en burn out. Taubira est en tournée. Et la gauche signe des tribunes. C’est plus facile que de faire le bilan des régionales. Mais elle a trouvé la solution : bien que les binationaux restent les principaux visés, le texte n’en parlera pas ! La politique réduite à la com. Même avec la bouffonnerie.

Tout n’est, paraît-il, qu’affaire de « symboles ». Mais il ne faut pas jouer avec eux quand on en a oublié le sens. Nationalité, déchéance, citoyenneté. Le gouvernement et sa nouvelle opposition de gauche ont révélé à quel point une génération bercée par les illusions postnationales ne sait plus ce que signifient ces grands mots redécouverts en même temps que le drapeau et la Marseillaise. Ils se déchirent par ignorance. Des combats de bêtisiers.

La déchéance ? Les mêmes qui la proposaient hier pour Gérard Depardieu ou les exilés fiscaux dénoncent une création vichyste. Mélenchon a oublié que c’est une invention de la gauche robespierriste punissant de mort le crime de « lèse-nation ». Et, en 1940, c’est un texte du radical-socialiste Daladier qui a déchu le déserteur Maurice Thorez, Français de naissance.

L’atteinte au droit du sol, sacré « principe républicain » ? Mais non, dit le Conseil constitutionnel, ce n’est pas un principe constitutionnel, mais une règle législative. Principe patrimonial royal depuis 1515, il a été supprimé par le Code civil de 1803 et réinstauré en 1889 pour élargir la conscription au nom de l’égalité des devoirs. Ce droit du sol, faisant de tout né sur le territoire un Français, n’a jamais exclu la possibilité de déchéance. Et il est moins remis en question par le projet gouvernemental que par le programme du candidat préféré de Cohn-Bendit, Alain Juppé ! Sa proposition de ne plus accorder la nationalité française aux enfants d’étrangers en situation irrégulière n’a pourtant pas déchaîné les pétitionnaires...

Encore plus surprenant : le mystérieux mélange d’ignorance et de vénération pour la double nationalité, que les promoteurs et détracteurs de ce projet de déchéance mettent, avec une pareille inconséquence, au cœur de leurs déchirements. Tout d’un coup, tout est inversé. Le fait que la double nationalité se reproduise essentiellement par le « nauséabond » droit du sang n’est pas un problème. Elle est aussi curieusement victimisée, alors que l’addition de nationalités est un avantage : plus de liberté de mouvement sans visas, plus de droits économiques, professionnels et politiques (vote) dans plusieurs pays. Une sénatrice verte s’est d’ailleurs vantée de sa « triple nationalité ». Les juristes ont même expliqué que le code civil contient déjà des articles (votés par la chambre du Front populaire) ne faisant pas de différence entre binationaux de naissance et de naturalisation pour retirer la qualité de Français à celui « occupant un emploi dans une armée ou un service public étranger et qui ne cesserait pas ses activités malgré l’injonction des autorités françaises ». Ou à celui qui « se comporte en fait comme le national d’un pays étranger ». Mais ni Arno Klarsfeld effectuant son service militaire en Israël ni les mariés agitant drapeaux algériens ou marocains à la sortie de la mairie n’ont jamais été inquiétés par ces textes tombés en désuétude.

C’est par mansuétude et libéralisme multiculturel que la binationalité a été plus tolérée que reconnue par l’Etat français qui ne la recense pas. Mais si cet avantage devait être vu comme un risque, il serait simple de l’éviter : y renoncer. Tous égaux, plus de discrimination ! Cette hypothèse, proposée il y a une dizaine d’années par Malek Boutih, gagne en actualité. Quand tout le monde redécouvre les vertus de la nation politique à la Renan rassemblant des « citoyens de toutes origines faisant le choix de valeurs communes », la contradiction que constituent certains codes de citoyenneté étrangers ne peut qu’accentuer les problèmes d’intégration. Comment concilier le code civil français qui définit « l’assimilation » par « l’adhésion aux principes et aux valeurs » de la République laïque et égalitaire avec le code algérien qui fait depuis 1963 de l’islam et du patriarcat le fondement exclusif de « l’identité algérienne » ? Ou avec le code marocain qui interdit à une musulmane d’épouser un non-musulman ?

Lorsque Malek Boutih avait voulu mettre fin au tabou de ces incompatibilités, ses camarades socialistes lui avaient gentiment expliqué que c’était électoralement suicidaire. L’Algérie, elle, n’hésite pas à les voir, ces contradictions : elle veut réviser sa Constitution pour exclure de toute fonction publique les binationaux franco-algériens. A la demande des islamistes. Ils disent que les binationaux sont contaminés par la laïcité française. Des paranos."

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