Note de lecture

D. Leschi : Comment reprendre le chemin d’un "islam des Lumières"

par Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République. 7 février 2017

Didier Leschi, Misère(s) de l’islam de France, Cerf (coll. "Actualité"), 176 pp., jan. 2017, 14 €.

La campagne présidentielle semble bien mal engagée pour donner à la laïcité la place centrale qu’elle devrait avoir. La déchirure culturelle s’aggrave, provoquée par les revendications et provocations communautaristes. La politique du déni ne sera bientôt plus tenable. Des pans entiers de l’électorat populaire dérivent vers l’extrême-droite qui n’a jamais été aussi proche du pouvoir.
Et pourtant rien ne bouge !

Cet inquiétant constat n’est pas nouveau. Mais les choses sont assez sérieuses pour que s’élèvent des voix jusqu’ici très discrètes. Didier Leschi, haut fonctionnaire, homme de modération qui a assumé d’importantes responsabilités au ministère de l’Intérieur et qui connaît bien les aspects juridiques et institutionnels de la laïcité, est ce ceux-là. Dans Misère(s) de l’islam de France, lui qui, sur les traces de Jacques Berque, aspire à ce que l’islam en France devienne le berceau d’un "islam des Lumières", estime que ce rêve est plus éloigné que jamais. Qui plus est, "il est dans une impasse", écrit-il.

Premiers comptables selon lui, "ceux qui se présentent comme des responsables musulmans". "Nous payons très cher le fait qu’aucune voix musulmane, dotée de l’autorité nécessaire (...) n’ait véritablement tenté d’ausculter les "maladies de l’islam" pour les soigner et les guérir", analyse Didier Leschi, coauteur avec Régis Debray de La laïcité au quotidien (Gallimard, 2016).

"On ne peut pas se contenter d’incriminer les effets d’une décolonisation ratée" et laisser dire ceux qui ont “invariablement opté pour une attitude de dénégation" et soutenu que "les meurtriers n’ont rien à voir avec l’islam" comme si Kouachi n’était qu’une réincarnation de Ravachol et que l’islamisme s’était substitué à l’anarchie.

Leschi démonte la machine de propagande islamiste qui vise à essayer de faire condamner et interdire pour "islamophobie" et racisme ceux qui osent critiquer leurs revendications communautaristes. Il montre aussi comment les prédicateurs travaillent à islamiser la question sociale dans le monde du travail où les revendications sont détournées vers des prétentions cultuelles. L’objectif serait de faire croire que "les musulmans seraient dans une situation comparable à celle des juifs persécutés aux XIXe et XXe siècles". Et encore que le "musulman" serait devenu "le nouveau damné de la terre". Dans la réalité - Caroline Fourest l’avait écrit - il n’y a plus de "mosquées des caves" et la situation des musulmans s’est nettement améliorée, explique l’auteur.

L’objectif est politique. La laïcité n’est pas antireligieuse et pas étrangère aux cultures musulmanes. Leschi rappelle que si la loi de 1905 ne fut pas appliquée en Algérie, les plus républicains des nationalistes algériens comme Ferhat Abbas ou Messali Hadj souhaitaient la voir mise en oeuvre. Telle ne fut pas la ligne retenue par le FLN, ce que rappelle par ailleurs Jean Birnbaum dans un excellent ouvrage [1].

Le voile en est bien le symbole d’une politique. "Le programme de l’envoilement est celui de la domination." "Nulle part, l’essor du voile n’est le signe d’une quelconque avancée émancipatrice. En revanche, il symbolise dans son flagrant désir d’affichage un projet politique antiféministe qui s’apparente aux mêmes mécanismes idéologiques que ceux qui ont accompagné le fascisme." Et de fait, si la question du voile a pris une telle importance c’est parce que "le rapport au féminin est devenu le noeud gordien du monde musulman", écrit l’auteur.

Mais cet envol du communautarisme n’aurait pas connu un tel développement sans certaines solidarités. Leschi rappelle ainsi que l’ambassade des Etats-Unis à Paris “draguait les quartiers” [2] dans le but de valoriser le modèle communautariste-libéral tandis que Washington condamnait l’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’école de la République [3]. Il cite "certains sociologues" pour qui l’entrée en religion s’avèrerait un facteur d’intégration [4] et Dieu remplacerait la police ! Il évoque le rôle du CCIF, de l’UOIF, de Tariq Ramadan, des "Indigènes de la République”, fers de lance de ces discours communautaristes, relayés par des "activistes associatifs affiliés à la Cimade ou à la Ligue des Droits de l’Homme". Il dénonce encore "la complaisance" de militants de gauche et d’extrême-gauche dont certains envisageaient peut-être s’assurer un improbable vote musulman.

Face à ce constat, Didier Leschi s’inquiète de "l’incapacité à lui opposer une réponse qui ne soit pas empreinte de mauvaise conscience, d’hypocrisie ou de sottise". L’éclatement de l’ex-Yougoslavie, rappelle-t-il, s’est accompagné d’une guerre d’autant plus atroce qu’elle fut tout à la fois "une guerre nationaliste, une guerre civile et une guerre de religion". "Les crimes terribles dont la France est victime depuis plusieurs années veulent nous entrainer dans une désagrégation équivalente."

Pour lutter contre "ce nouveau totalitarisme", l’auteur, qui n’a pas oublié ses anciennes responsabilités au sein du Bureau des cultes du ministère de l’Intérieur, avance quelques propositions concrètes, qui font débat. Constatant qu’une des principales difficultés sur le chemin d’un “islam des Lumières” tient au fait qu’il "existe des islams mais pas de peuple musulman" et que la question du financement du culte est entachée par les luttes entre l’Algérie, l’Arabie saoudite, le Maroc, la Turquie - premier propriétaire de mosquées en France - il suggère l’instauration d’une autorisation préalable à tout investissement étranger en matière cultuelle. Il défend également la création d’un organisme chargé de collecter les fonds à destination des communautés de fidèles afin qu’elles puissent mener à bien leurs projets immobiliers, mais rappelle l’impossibilité de trouver une personnalité "musulmane" qui fît un minimum consensus et les commentaires peu amènes qui accueillirent la désignation de Jean-Pierre Chevènement à la présidence de la nouvelle fondation. Il estime que les bénéfices générés par les labels halal ou les pèlerinages organisés pourraient être taxés pour participer aux financements.

Bien évidemment, cela n’est pas sans poser des questions à la loi de 1905 qui stipule (article 2) que la République ne subventionne pas les cultes, principe déjà contourné par exemple par les baux emphytéotiques. Et, comme il convient de s’assurer que la formation des imams ne soit pas assurée par les islamistes, Leschi se met à rêver d’une Ecole normale supérieure de l’islam de France !

Ce n’est pas à la laïcité de dire si l’islam doit évoluer, mais à ses fidèles. C’est en revanche à tous les républicains de s’assurer que la pratique des cultes et leur organisation respectent les principes de la République.

Cette question devrait être au coeur des débats de la présidentielle. Didier Leschi contribue à les formuler. L’enjeu est de taille car, ainsi qu’il l’écrit, "c’est au sein de l’islam que se joue l’issue de la guerre, d’où le caractère crucial de voir des intellectuels et des responsables liés au culte musulman sortir de la tranchée."

Patrick Kessel



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