Revue de presse

"Conflit israélo-palestinien : Allemagne, Danemark, France… la flambée islamiste" (Charlie Hebdo, 15 nov. 23)

(Charlie Hebdo, 15 nov. 23) 17 novembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Haine du Juif, des valeurs occidentales et de la démocratie… Pour les islamistes européens, la résurgence du conflit israélo-palestinien apparaît comme une aubaine pour mobiliser leurs troupes et monter encore d’un cran dans leurs revendications fondamentalistes.

Yovan Simovic · Jean-Loup Adénor

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Il est une curiosité des démocraties occidentales : leur Convention européenne des droits de l’homme permet, paradoxalement, de manifester librement pour réclamer le retour des théocraties aux moeurs moyenâgeuses. C’est la démonstration que nous ont offerte 3 000 manifestants, ce vendredi 3 novembre, dans la ville allemande d’Essen. Officiellement, ils sont descendus dans la rue sous le slogan « Gaza attaqué, ensemble contre l’injustice », en soutien au peuple palestinien, qui survit péniblement sous les bombardements de l’armée israélienne. Officieusement, aux cris d’« Allah akbar », c’est le califat mondial que la foule est venue revendiquer.

Encadré par 450 policiers, le cortège répond d’ailleurs à un classique de la charia : la stricte séparation des sexes. À l’avant, les hommes brandissent des pancartes aux slogans plus qu’éloquents : « Eine Ummah, Eine Einheit, Ein Losung – Khilafah » (« une umma, une unité, une solution : le califat »). À l’arrière, donc, les femmes. L’index levé au ciel, symbole de l’unicité du Dieu coranique et signe de ralliement des ­djihadistes de l’État islamique, certaines portent le tchador, d’autres le niqab.

Des drapeaux de l’État islamique  ?

Mais ce sont les drapeaux qui flottaient au-dessus de la foule ce soir-là qui ont fait couler le plus d’encre. Des étendards noirs ou blancs, frappés d’inscriptions en arabe, qui ont rappelé à beaucoup de commentateurs ceux de l’État islamique. En réalité, il s’agit de la chahada, la profession de foi islamique, et donc de drapeaux autorisés en Allemagne. Mais pour Andreas Stüve, le chef de la police d’Essen, l’ambiguïté n’est pas anodine : « Les islamistes ont poussé la tromperie à l’extrême et ont apparemment utilisé délibérément des symboles très similaires à ceux de l’État islamique et des talibans pour promouvoir leurs objectifs », déclarait-il le mardi suivant à la presse allemande. Pour lui, en « profitant » des limites imposées par la loi, ces militants ont pu faire passer leur message fondamentaliste tout en se protégeant, le plus possible, de l’action judiciaire.

Derrière ces banderoles, un groupe : Hizb ut-Tahrir, ainsi que l’ont confirmé plusieurs experts consultés par Charlie. Interdite d’opérer outre-Rhin depuis 2003, cette organisation juge islam et démocratie incompatibles. Son objectif : appliquer la charia comme base et norme de l’action de l’État au sein d’un califat. D’ailleurs, la manifestation était organisée par Generation Islam, un collectif considéré par les experts en sécurité comme proche d’Hizb ut-Tahrir.

Pour ces militants islamistes allemands, l’embrasement du conflit israélo-palestinien représente chaque fois une véritable aubaine. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls. «  Bien sûr, les services de renseignements occidentaux redoutent une vague d’attentats djihadistes. Ces attaques sont la plupart du temps corrélées avec ce qu’il se passe dans le monde musulman : la Bosnie, le 11 Septembre, l’Irak, puis la guerre en Syrie… », rappelle à Charlie Lorenzo Vidino, l’un des directeurs du programme de recherche sur l’extrémisme à l’université George-Washington, aux États-Unis.

Des provocateurs non-violents

Mais ces groupes violents ne sont pas les seuls à capitaliser sur la situation, dont profitent d’abord les mouvements islamistes politiques et militants, comme Hizb ut-­Tahrir en Allemagne. « Ceux-là sont avant tout des provocateurs qui n’ont pas recours à la violence mais cherchent à recruter. [Ils utilisent l’]excuse palestinienne comme un moyen de justifier leur volonté d’imposer un califat mondial, pour protéger l’Islam et tous les musulmans du monde », ajoute-t-il. Depuis le 7 octobre et l’attaque du Hamas, poursuit le chercheur, « on sent beaucoup d’enthousiasme dans ces réseaux fondamentalistes. On ne peut pas dire avec certitude que ce qu’il s’est passé à Arras ou à Bruxelles était lié à l’appel du Hamas au « jour de colère » du vendredi 13 [octobre], mais leurs attentats contre Israël ont assurément créé un regain d’énergie dans la galaxie islamiste, et notamment en Europe ».

Outre-Rhin, Seyran Ates, avocate et imame allemande, a vu la frange islamiste radicale grossir d’année en année, jusqu’à se sentir autorisée à descendre dans la rue. « Cette frange était déjà présente, et s’est particulièrement développée depuis le 11 Septembre. Les islamistes contrôlent déjà de nombreuses rues et quartiers dans le pays », explique-t-elle. Depuis Berlin, où elle réside, elle observe une augmentation des manifestations de ce type, dans la capitale, mais aussi dans tout le pays, et s’inquiète que le conflit leur serve à recruter davantage de militants, dont des jeunes. « Le 7 octobre 2023, l’Europe a perdu son innocence en tant que projet de paix, déplore-t-elle aujourd’hui. Tous nos pays assistent, impuissants, à l’encerclement des démocrates par les islamistes et au vol de notre liberté. »

L’Allemagne n’est pas le seul pays touché. Le vendredi 3 novembre, les rues de Copenhague, au Danemark, ont vibré au doux son de l’appel à la guerre « sainte ». « La Palestine est occupée  ! Cela doit être résolu par le djihad », a-t-on notamment entendu dans un cortège réuni à l’appel, là aussi, d’Hizb ut-Tahrir. La foule a repris en choeur : « Djihad  ! Djihad  ! ­Djihad  ! » Dans une lettre envoyée à son ministre de la Justice, la Première ministre danoise, Mette Frederiksen, s’inquiète de ces « comportements inquiétants » – l’incitation au terrorisme et son approbation, donc – qui « montrent clairement qu’il y a des gens au Danemark qui n’adhèrent pas à nos valeurs ». Doux euphémisme.

La France épargnée  ?

Aucune manifestation propalestinienne n’a encore vu jaillir les drapeaux d’al-Qaida ou de Daech dans les rues de France, à l’heure où nous écrivons ces lignes. Tout au plus a-t-on entendu quelques « Allah akbar » joyeusement scandés lors des mobilisations pro-Palestine auxquelles se sont mêlés les cadres et certains militants de La France insoumise. Qu’y trouveraient-ils à redire  ? En 2019, Jean-Luc Mélenchon ne défilait-il pas lui-même aux côtés du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) – dissous depuis 2020 – et d’autres musulmans intégristes qui scandaient déjà « Allah akbar » à quelques rues du Bataclan  ?

Mais ces dernières semaines, sur les réseaux sociaux français, l’attaque terroriste du Hamas est devenue le « point de tension central pour une partie de la sphère islamiste », explique à Charlie une source proche des services du contre-terrorisme. Le discours est simpliste : Israël a amorcé le cycle de violences ayant poussé le Hamas à l’attaquer, le 7 octobre 2023, par une politique « coloniale » et « raciste » envers les Palestiniens. Un narratif qui « ­s’appuie sur un amalgame volontaire entre militants du Hamas et Palestiniens », nous explique cette source. Dans une même dynamique, la relativisation de la qualification de « terroristes » du Hamas et de ses militants semble avoir été prise très au sérieux par les services de l’État.

Sur ces réseaux, le mouvement terroriste palestinien est devenu une armée de « résistance », comparée à la Résistance des maquisards contre l’occupation nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Les dizaines de viols, de décapitations et d’immolations en plus. Selon nos informations, si la majorité des acteurs évoluant dans la mouvance proche de l’islam fondamentaliste actifs sur les réseaux sociaux condamnent la violence, « quelques acteurs islamistes tentent ouvertement d’importer le conflit israélo-palestinien, fustigeant le soutien de la France à Israël », nous précise la même source.

« Jeu de massacre à la GoPro »

Cette mobilisation virtuelle vise et touche bien évidemment les plus jeunes générations. « Aujourd’hui, les mouvements islamistes structurés sont en déliquescence », rappelle à Charlie l’expert Gilles Kepel, théoricien du « djihadisme d’atmosphère », qu’il considère pleinement à l’oeuvre dans la séquence que nous traversons. « Aussi bien al-Qaida que Daech ont été extrêmement affaiblis, ils n’ont plus la puissance de projection mondiale qui était la leur à leur acmé. C’est donc essentiellement par les réseaux sociaux que la bataille idéologique a lieu. » Ce qui pourrait d’ailleurs expliquer un des événements inédits survenus le 7 octobre dernier : si le Hamas avait déjà pris et exécuté des otages, c’était la première fois que les terroristes s’attachaient à filmer leurs exactions pour pouvoir les diffuser. Un « jeu de massacre à la GoPro », note Kepel.

Une communication qui n’a pas échappé à Hassen Chalghoumi, souvent critiqué par les plus radicaux pour ses positions républicaines et modérées. Alors que l’imam de Drancy prêche régulièrement à la mosquée pour la paix entre la communauté juive et la communauté musulmane, il assure que les pressions exercées sur lui se sont aggravées ces dernières semaines. Des « jeunes perturbateurs » sont venus lui rendre visite à la mosquée, nous a-t-il confié. « Ils ont commencé à crier, à m’insulter, et on a dû appeler la police pour les faire partir », explique celui qui, pourtant, est habitué aux menaces et aux provocations. « Cet islam fondamentaliste se nourrit du conflit, notamment du conflit israélo-palestinien, note-t-il. L’islam politique, particulièrement les Frères musulmans, s’en sert pour attirer les jeunes fidèles, pour les manipuler. Et certains influenceurs tombent dans le panneau, jusqu’à en venir à soutenir le Hamas. »

Et de rappeler un exemple récent : celui des printemps arabes, en 2011, nés d’un désir de démocratie et de liberté de la société civile, récupérés par les islamistes pour tenter d’installer des régimes théocratiques. Très préoccupé par le climat qui s’installe dans la communauté musulmane, l’imam de Drancy a demandé au ministère de l’Intérieur le renforcement de sa sécurité.

60 % de mineurs

Le rajeunissement de la radicalité religieuse inquiète en haut lieu. Interrogé par Charlie, le Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) indique avoir été chargé par le ministre de l’Intérieur « d’accentuer la veille exercée » sur ces jeunes, parfois encore mineurs. Sur un total de 2 600 personnes prises en charge par les cellules de prévention de la radicalisation et d’accompagnement des familles (CPRAF), pilotées par le SG-CIPDR, 60 % sont mineures (1 575 sur 2 600) : « On constate désormais que la tranche des 15–16 ans est plus concernée que les 16–18 ans. Le processus concerne des plus jeunes par rapport à ce que nous avons pu connaître il y a quelques années. »

Et parmi les facteurs d’inquiétude, la diversification des profils. « Si certains éléments communs peuvent être relevés dans les parcours examinés : visionnage de vidéos, isolement, déscolarisation, refus d’adopter les lois de la République, on relève que de bons élèves peuvent également être dans un processus de radicalisation », explique le SG-CIPDR, qui ajoute que « le nombre de filles concernées est également en hausse ». La parité vue par l’islamisme, en quelque sorte."


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