Revue de presse

"Attentat de Magnanville : comment condamner le « tueur » idéologique  ?" (Charlie Hebdo, 4 oct. 23)

(Charlie Hebdo, 4 oct. 23) 4 octobre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Sept ans après l’attentat de Magnanville, dans les Yvelines, qui avait provoqué la mort d’un couple de policiers à leur domicile, le procès s’ouvre à Paris. Mais le terroriste étant mort pendant l’assaut, il ne reste qu’un possible complice qui, s’il n’était peut être pas présent physiquement ce jour-là, était omniprésent dans le parcours de radicalisation de l’auteur du double assassinat.

Yovan Simovic

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Peut-on faire le procès du terrorisme sans faire celui de son combustible, l’idéologie qui arme les tueurs  ? Pour l’attentat de Magnanville, c’est Mohamed Lamine Aberouz qui était, ce lundi 25 septembre, dans le box des accusés, soupçonné d’avoir participé à l’attentat mais aussi d’avoir « oeuvré à influencer » le tueur, en « renforçant ses convictions » fondamentalistes. La réponse judiciaire débute donc sept ans après l’assassinat, à leur domicile, du couple de policiers Jessica Schneider et Jean-Baptiste Salvaing, par le terroriste Larossi Abballa. Ce dernier avait été tué par le Raid lors de l’assaut de la maison.

C’est donc Mohamed Lamine Aberouz qui se trouve aujourd’hui dans le box des accusés, seul à être renvoyé devant la cour d’assises spéciale de Paris pour « complicité d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste », « complicité de séquestration » et « association de malfaiteurs terroriste ». L’hypothèse d’un second terroriste présent sur les lieux n’avait pas été envisagée au départ.

Aberouz était connu des services pour sa radicalisation, mais son inculpation est due à une découverte tardive : quatre mois après le passage à l’acte, une trace d’ADN découverte sur le repose-poignet de l’ordinateur du couple fait scintiller leur logiciel d’identification. L’empreinte correspond au profil génétique de Mohamed Lamine Aberouz. Était-il pour autant sur les lieux du crime le 13 juin 2016  ?

Les « gentils » et les « méchants »

L’enfant du couple, âgé de 3 ans au moment des faits, a livré, à sa manière, un témoignage qui accrédite cette piste : pour illustrer la scène devant une psychologue, il avait d’abord séparé des figurines d’animaux en deux camps : les « gentils » et les « méchants ». Alors qu’un « chevalier » finit par tuer les vilains, toutes les statuettes disparaissent, sauf une, que le garçon ne fait pas mourir car les gentils « ne pouvaient pas l’attraper ni le tuer », relevaient les juges d’instruction.

Pour caractériser la « complicité d’assassinat », la seule présence de l’accusé, même passive, suffit. Une présence que la seule empreinte d’Aberouz ne suffit, pour l’instant, à prouver. Ce que la défense a parfaitement compris : Aberouz ne serait, selon eux, qu’un « coupable idéal », le bouc émissaire d’une « construction intellectuelle » qui ne repose que sur « une trace isolée d’ADN » et le témoignage d’un gamin.

Dans une conférence de presse, le 20 septembre, ils vont d’ailleurs jusqu’à évoquer une « falsification judiciaire de la vérité ». Mais c’est ignorer que la responsabilité de Mohamed Lamin Aberouz dans le meurtre des deux policiers ne repose pas seulement sur sa présence le jour de l’assassinat : au-delà d’une éventuelle aide matérielle, Aberouz est avant tout celui qui a « armé » idéologiquement le tueur.

Mercredi 27 septembre, troisième jour de procès. Une enquêtrice de la sous-direction antiterroriste (SDAT) s’avance à la barre. Elle déroule pendant plusieurs heures un exposé décrivant avec précision les liens entre les deux hommes. Et pour elle, aucun doute : « Mohamed Lamine Aberouz ne pouvait ignorer le projet de son ami. Il a œuvré à l’influencer dans sa préparation psychologique en renforçant ses convictions. » Même si la radicalisation du terroriste est ancienne, l’accusé serait venu le « structurer idéologiquement » et se positionner comme le « référent religieux » de cet homme décrit comme « peu érudit ».

« Mais on ne peut pas simplement juger un idéologue », balaie Cécile Bigre, une avocate rompue aux procès terroristes, notamment celui de l’attentat des Champs-Élysées en 2017. Car la justice condamne les participations dites « positives » à un acte terroriste. « La défense va plaider l’acquittement en disant qu’il n’y a pas assez de preuves et que l’ADN ne suffit pas. Quand vous regardez les dispositions du Code pénal, tout ce qui est relatif au crime de terrorisme est lié à un acte matériel », ajoute-t-elle. C’est dire, en somme, que la justice ne peut condamner que la pointe de la flèche, la première ligne d’une armée – jamais les têtes pensantes, les idéologues du terrorisme.

Pour Béatrice Brugère, ancienne juge antiterroriste, c’est tout le problème : « Ce sont les gens qui sont en réalité les plus dangereux qui échappent aux sanctions. » Même si elle estime que le contexte actuel, post-2015, influence « forcément » un peu les magistrats, « qui ne vivent pas que dans une tour d’ivoire », précise-t-elle, on ne peut pas pour autant « criminaliser l’opinion ». Un débat qui n’est pas encore tout à fait tranché, chaque présidentielle charriant son lot de propositions plus ou moins réalistes. Xavier Bertrand proposait par exemple d’interdire le salafisme en 2021. « Mais personne n’était d’accord sur la définition de cette idéologie », rappelle-t-elle.

Criminaliser les cerveaux

Pour combattre l’islamisme pourtant, il est indispensable de parvenir à « criminaliser les cerveaux, admet la magistrate. Ils ne commettent pas d’actes matériels stricto sensu, mais sans eux il ne se passe pas grand-chose. » Un respect du droit qui permet, rappelons-le, certaines aberrations. Ainsi, « l’Émir blanc », Olivier Corel, figure des milieux salafistes français, mène une vie des plus tranquilles dans un hameau en Ariège.

Il a pourtant été le mentor de Mohamed Merah, auteur de plusieurs tueries en mars 2012, « celui qui lui a donné le courage des idées, résume Béatrice Brugère. On sait très bien que la plupart sont passés chez lui et qu’il a joué ce rôle déterminant. Il a été celui qui les a convaincus d’aller jusqu’au bout de la doctrine liée au djihad, et pas dans sa version la plus ésotérique et spirituelle évidemment », explique un haut fonctionnaire, source proche des dossiers de radicalisation. La notion de « loup solitaire », l’individu isolé qui passerait à l’acte de son propre chef, semble donc à relativiser.

Lors du procès des attentats de 2015, c’est Farid Benyettou, ex-mentor des frères Kouachi, qui reconnaissait habilement une « responsabilité morale » des actes barbares commis par les frangins. Un euphémisme, donc. Le chef de file de la célèbre filière « des Buttes-Chaumont » s’en est ainsi sorti avec une tape sur les doigts, autrement dit libre comme l’air. Même si des acteurs préparent seuls un projet, ils sont tous pris en main, à un moment ou un autre, par des idéologues. « Lorsque vous êtes imbibé de thèses de haine de l’autre, de l’Occident, du Juif, du mécréant, il n’est pas anormal que la suite logique de ce discours de haine se traduise par la volonté de passer à l’acte », développe le haut fonctionnaire proche du dossier.

Cette corrélation, évidente, entre les discours et le passage à l’acte d’individus fait tout de même son chemin dans la tête de nos dirigeants. Durant l’été 2022, l’imam Iquioussen, connu notamment pour ses prêches dans lesquelles il conspuait notamment les « laïcards terroristes », incitant, en l’espèce, à la haine de l’Occident, des Juifs ou des mécréants, ne s’est pas vu renouveler son titre de séjour par la préfecture du Nord. Le ministre Gérald Darmanin signait ensuite un arrêté ministériel d’expulsion abrogé par le tribunal administratif, mais rétabli le 30 août 2022 par le Conseil d’État. Ces idéologues, rappelons-le, ont entraîné la mort d’individus dont 80 % sont des musulmans qu’ils considèrent comme impurs."


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