Revue de presse

"Apologie du terrorisme : police et justice au défi d’une inquiétante prolifération" (Le Figaro, 12 av. 24)

(Le Figaro, 12 av. 24) 12 avril 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Apologie du terrorisme : police et justice au défi d’une inquiétante prolifération

Par Jean Chichizola

DÉCRYPTAGE - Depuis le 7 octobre, 350 enquêtes ont été ouvertes contre ce phénomène en forte hausse. Un défi policier et judiciaire en France.

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Angers, Angoulême, Athis-Mons, Bordeaux, Brest, Brive, Dieppe, Lens, Malakoff, Marignane, Oyonnax, Paris, Roanne, Strasbourg, Troyes… Derrière cette liste à la Prévert, loin d’être exhaustive, une même réalité : des affaires d’apologie du terrorisme ouvertes ou jugées depuis le 1er janvier. Les auteurs sont âgés de 11 à 40 ans avec une part notable de mineurs (de 14 à 17 ans) et de jeunes majeurs (18 à 20 ans). On y retrouve pêle-mêle un quadragénaire prônant un « djihad offensif », citant Salah Abdeslam et diffusant le mode d’emploi d’une kalachnikov, un délinquant de 16 ans faisant écho à la propagande djihadiste ou un adolescent de 15 ans disséminant des vidéos de décapitation…

Le phénomène prend de l’ampleur depuis des années, bien avant l’électrochoc du 7 octobre, avec les atrocités du Hamas, et du 13 octobre, avec la mort de Dominique Bernard. Et les messages diffusés par les djihadistes n’y sont pas étrangers. « Les terroristes d’al-Qaida étaient déjà de grands communicants, note un magistrat, mais la propagande de l’État islamique est encore plus professionnelle. Si vous y ajoutez l’ensauvagement des réseaux sociaux, qui touchent notamment les plus jeunes, vous avez une des explications. » Cet univers disparate réunit des suspects à la dangerosité variable.

En 2022, une étude réalisée pour le ministère de la Justice soulignait que cette infraction pouvait recouvrir « un soutien moral effectif au djihadisme, voire un activisme », mais aussi englober « des faits survenus lors d’un conflit occasionné par un contrôle policier, des provocations verbales typiques de l’adolescence, une demande d’attention envers les institutions »… « Les faits d’apologie, bien que révélateurs de l’identification à une cause, ne procèdent parfois que de comportements subversifs et opportunistes, déconnectés de toute forme d’engagement », concluait l’étude. Reste qu’en 2024, sous une très forte menace terroriste islamiste, l’heure est plus que jamais à la vigilance. D’autant plus qu’un « apologiste » peut très bien basculer rapidement dans un passage à l’acte.

350 enquêtes ouvertes depuis octobre
Le délit ne relève pas de la justice antiterrorisme proprement dite. En vertu de l’article 421-2-5 du code pénal, « le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende. Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100.000 euros d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne. » Le 10 octobre 2023, une circulaire du garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti, « relative à la lutte contre les infractions susceptibles d’être commises en lien avec les attaques terroristes subies par Israël depuis le 7 octobre 2023 », demandait ainsi aux procureurs de la République « une réponse pénale ferme, rapide » et systématique pour les infractions d’apologie du terrorisme ou de provocation directe à des actes de terrorisme.

Mais l’exemple vaut bien au-delà de l’explosion d’antisémitisme ayant suivi le 7 octobre. Comme le précise un juriste, « on assiste toujours à une recrudescence de ces faits juste après un attentat, qu’il s’agisse d’une attaque en France ou d’un acte majeur à l’étranger ». Concernant le bilan des incidents survenus, à l’automne 2020, lors de l’hommage à Samuel Paty dans les établissements scolaires, pas moins de 17 % des cas concernaient une apologie du terrorisme. Dans la période 2016-2018, juste après les massacres de 2015 et pendant la vague d’attentats allant de Nice à Strasbourg, 2916 personnes ont été mises en cause pour des infractions liées au terrorisme. 65%, soit quelque 1900 individus, l’ont été pour apologie ou provocation d’un acte de terrorisme…

Enfin, concernant la période suivant le 7 octobre et la circulaire ministérielle du 10, le ministère de la Justice a recensé, au 30 janvier 2024, quelque 350 enquêtes ouvertes pour apologie du terrorisme ou actes antisémites, 278 enquêtes ouvertes par le pôle de lutte contre la haine en ligne pour des messages sur internet, et 80 personnes poursuivies. Face à l’ampleur de ces chiffres, on comprend aisément la nature du défi. D’un côté, la nécessité de « trier » les cas pour ne pas passer à côté d’un individu dangereux. De l’autre, ne pas tout inclure dans le terrorisme, de peur de bloquer le système. « Il y a clairement une nécessité de traiter ces affaires en amont, note un magistrat, pour ne pas engorger des structures antiterroristes déjà très sollicitées et ne pas être débordés. »

Une lutte décentralisée
La réponse a été trouvée en développant un maillage national policier et judiciaire. Un dispositif qui témoigne, en creux, du choc terroriste ininterrompu subi par le pays depuis bientôt dix ans. Sur le plan policier, les enquêtes sur ces apologies et provocations, entre autres dossiers « infradjihadistes », ne relèvent pas directement de la Sous-direction antiterroriste (Sdat) ou de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), mais des groupes de lutte antiterroriste de la police judiciaire. Soit une vingtaine de structures réparties à travers la France, placées sous l’autorité de la Sdat. Ces enquêteurs spécialisés sont à même de repérer les cas les plus à risque. Le tout dans un échange permanent avec la Sdat et la DGSI, chefs de file de la lutte antiterroriste.

Sur le plan judiciaire, le maillage et la remontée d’informations sont tout aussi effectifs. Les affaires sont dans la plupart des cas traitées par les parquets locaux. Le Parquet national antiterroriste n’est saisi que lorsqu’il s’agit d’une personne déjà condamnée pour terrorisme. Ce fut le cas de Jean-Marc Rouillan il y a quelques années et c’est le cas actuellement avec un djihadiste condamné en 2018 en correctionnelle pour des velléités de départ en Syrie.

Autre cas de saisine du Pnat : quand à l’apologie s’ajoutent des soupçons d’association de malfaiteurs terroristes ou d’autres infractions terroristes. De même, en matière d’apologie ou de provocation au terrorisme en ligne, relevant du Pôle national de lutte contre la haine en ligne, créé en 2021, le parquet de Paris n’est saisi que des dossiers les plus complexes et les plus importants, les parquets locaux traitant le reste. Un simple regard sur les chiffres l’explique : en 2021, la plateforme de la police judiciaire Pharos, qui permet de signaler en ligne des contenus et comportements illicites, en relevait 7894 liés au terrorisme (sur un total de 263.825 signalements). Et on dépassait en 2023 les 15.000 contenus antisémites ou terroristes.

« Échange constant d’informations »
Cette mécanique complexe repose sur un échange d’informations permanent entre les structures parisiennes et les parquets locaux. Depuis décembre 2014, chacun comprend un magistrat référent en matière de terrorisme. Dans 13 tribunaux judiciaires particulièrement importants, ils font place à des magistrats délégués à la lutte contre le terrorisme, aux prérogatives plus étendues. Sans grande surprise, la liste de ces tribunaux englobe les bastions de l’islam radical en France : Île-de-France (Bobigny, Créteil, Évry, Nanterre, Paris, Pontoise, Versailles), Lille, Lyon, Marseille, Nice, Strasbourg, et Toulouse. Le tout, souligne-t-on à la Chancellerie, « dans un échange constant d’informations ».

Pour l’heure, ce dispositif reposant sur le « tri » et sur la prévention fonctionne à plein. Il peut toutefois se heurter à des obstacles imprévus. Ainsi de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, en 2022, a jugé qu’une peine d’emprisonnement pour apologie du terrorisme était une violation du principe de la liberté d’expression en raison de « la lourdeur de la sanction pénale infligée ».

Ou de la décision du Conseil constitutionnel du 19 juin 2020 supprimant le délit de recel d’apologie du terrorisme car il portait « une atteinte qui n’était pas nécessaire, adaptée et proportionnée à la liberté d’expression et de communication ». « Nous sommes confrontés à des injonctions contraires, note un magistrat. D’un côté, la jurisprudence, de l’autre, la nécessité de détecter le plus en amont des individus diffusant une propagande mortifère et pouvant basculer dans la radicalité violente. » Gageons que si demain un simple « apologiste » commet une tuerie, la jurisprudence évoluera."


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