Revue de presse

Alain Seksig : sur la laïcité, « le "En même temps" n’est pas vraiment tenable » (Marianne, 16 mars 23)

Alain Seksig, ancien instituteur, Inspecteur d’académie honoraire de l’Education nationale, Secrétaire général du Conseil des sages de la laïcité. 16 mars 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Propos recueillis par Hadrien Brachet.

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Lire "Alain Seksig : "En matière de laïcité, le ’en même temps’ de Macron n’est pas tenable"".

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Marianne : Selon une enquête menée par le syndicat SNPDEN-UNSA, les principaux et les proviseurs ne font pas systématiquement remonter à l’institution les atteintes à la laïcité. 26% des 1000 personnels de direction interrogés entre le 1er septembre et le 15 janvier ont été confrontés à des contestations d’enseignement au nom d’une « vérité religieuse ». 37% d’entre eux ne l’ont pas signalé à l’institution [1]. Ces données vous ont-elles surprises ?

Alain Seksig : C’est extrêmement intéressant qu’un syndicat des personnels de direction ait élaboré et rendu publique une telle enquête. Je n’ai pas été surpris car les conclusions vont dans le sens des précédentes études réalisées par l’IFOP ces dernières années pour le Comité national d’action laïque ou la Fondation Jean Jaurès. Nous sommes face à une réalité que tout le monde doit regarder en face. J’ai été chagriné de voir qu’un pourcentage important de chefs d’établissements ne signalent pas les atteintes à la laïcité dont ils sont témoins. Certains craignent qu’un tel signalement ne vienne ternir l’estime que l’institution porte à leur établissement et à la qualité de leur travail.

D’après cette même étude, des chefs d’établissements considèrent comme inutile de faire remonter des cas qu’ils ont eux-mêmes réglés, quand d’autres craignent en effet pour leur carrière. Est-ce le signe d’un « pas de vague » persistant ?

J’ai été directeur d’école et il est vrai que j’avais à cœur de régler moi-même les problèmes qui pouvaient se poser. Je peux donc comprendre que les chefs d’établissement ne signalent pas des incidents que par ailleurs ils s’affairent à résoudre et résolvent bien souvent. Mais on peut aussi y lire la crainte de certains de voir leur institution se défier d’eux et ne pas les soutenir. Ce sentiment d’être livrés à eux-mêmes, c’est déjà ce que ressentaient majoritairement les chefs d’établissement lors de l’affaire de Creil en 1989. Il a fallu la loi de 2004, pour sortir de plusieurs années d’atermoiement. Nous en subissons encore les conséquences.

Ces atermoiements ont-ils disparu de l’Education nationale ?

Depuis cette période, une parole claire s’est progressivement faite entendre, et même un peu avant avec Jack Lang qui avait institué, près de deux ans avant la Commission Stasi, une commission de réflexion sur la laïcité à l’école. Ces dernières années, différents ministres successifs y auront contribué, chacun à leur manière : Vincent Peillon avec notamment la charte de la laïcité à l’école, Najat Vallaud-Belkacem avec les premiers référents académiques sur ces sujets et évidemment Jean-Michel Blanquer avec la création du Conseil des sages, des équipes académiques « Valeurs de la République », et le lancement d’un vaste plan de formation des cadres et de l’ensemble des personnels. Il y a encore ici ou là des réflexes timorés et la tentation de mettre la poussière sous le tapis. Mais la position de l’institution dans son ensemble est désormais claire ; simplement le mal étant profond, il lui faudra encore du temps pour s’imposer dans la pratique. Notre ministre actuel Pap Ndiaye s’inscrit dans cette direction avec sa circulaire du 9 novembre et le « plan laïcité ». [...]

Que pensez-vous du positionnement d’Emmanuel Macron et de la majorité sur la laïcité ?

Comme l’ensemble des partis politiques, la majorité présidentielle est traversée d’opinions différentes sur le sujet. Concernant le président de la République, il est normal et heureux qu’il veuille rassembler les citoyens qui ont des positions différentes sur la question. Rien ne serait plus terrible qu’un président qui organise la division. On peut en ce sens - positif - comprendre le « en même temps ». Nous sommes toutefois en droit d’attendre là aussi de la cohérence, entre par exemple le discours des Mureaux dans lequel le président de la République exhortait au « réveil républicain » face au « séparatisme islamiste » et d’autres assertions de responsables de la majorité tendant à minimiser la réalité du communautarisme en France et à l’école. Il serait important d’afficher cohésion et cohérence, car en matière de principes républicains et de laïcité, le « en même temps » n’est pas vraiment tenable.

Que répondez-vous à ceux qui vous rétorquent qu’aborder ces sujets « fait le jeu de l’extrême droite » ?

C’est une objection que nous entendons quelquefois et qui ne date pas d’aujourd’hui. Élisabeth Badinter a su, à raison, en dénoncer la part d’intimidation. Mais au nom de quoi devrions-nous faire cadeau du réel à l’extrême droite ? Les situations dont nous parlons sont avérées. C’est nier la vérité qui ferait le jeu de l’extrême droite. Se taire serait lui laisser le champ libre et, de surcroît, cela impliquerait de s’empêcher de résoudre réellement les problèmes.

Et que rétorquez-vous à ceux qui affirment que, avec 280 signalements d’atteinte au principe de laïcité en janvier sur 59 260 établissements, le phénomène est minoritaire ?

C’est une chance qu’il reste encore minoritaire ! Devrions-nous attendre qu’il devienne majoritaire pour agir ? Ce phénomène dure, et bien au-delà du cadre ­scolaire. Mais si l’école peut et fait déjà beaucoup, elle ne peut pas tout, et moins encore toute seule. C’est à la République tout entière et à son plus haut niveau de représentation qu’il appartient de faire preuve de cohérence, de lucidité et de courage en la matière.

Que dites-vous aux enseignants pour les encourager à défendre la laïcité ?

Nous sommes dans une situation où réaffirmer des principes qui paraissaient aller de soi réclame à présent un peu de courage, a fortiori après le terrible assassinat de notre collègue Samuel Paty. Qu’on puisse éprouver de l’appréhension à exercer le métier de professeur et aborder certains sujets en classe peut, aujourd’hui, se comprendre. Mais nous devons – et nous pouvons – collectivement nous montrer plus forts que cette peur. Comme l’écrivait Albert Camus le 26 décembre 1944 dans Combat, « notre monde n’a pas besoin d’âmes tièdes. Il a besoin de cœurs brûlants qui sachent faire à la modération sa juste place ». Cette exhortation vaut encore pour aujourd’hui."

[1Étude réalisée auprès de 1 000 personnels de direction interrogés entre le 1er septembre 2022 et le 15 janvier 2023.



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