« Laïcité et enseignement supérieur » (30 mai 15)

Alain Seksig : "En finir avec le déni" (Colloque du CLR, 30 mai 15)

Inspecteur de l’éducation nationale, ancien responsable de la mission Laïcité du Haut Conseil à l’intégration, vice-président du CLR. 10 juin 2015

Voici quelques mois, sur les ondes de France Culture, l’inspecteur général honoraire de l’Education nationale Jean-Pierre Obin déclarait que, selon lui, la loi du 15 mars 2004 serait étendue à l’enseignement supérieur dans les 10 ans à venir. Avis d’expert.

On se souvient en effet du rôle non négligeable joué par l’excellent rapport qui porte son nom, le rapport Obin, dans la justification de cette loi. Du moins pour ceux qui alors en ont eu connaissance, car on se souvient aussi que ce rapport fut longtemps mis sous le boisseau par les différents ministres qui, en 2003 et 2004, l’ont commandé, reçu et, à sa lecture, décidé de ne pas le publier. Ils ne furent pas moins de quatre ministres à se succéder durant cette courte période.

En janvier dernier, après les tueries de Charlie Hebdo et de l’hyper cacher, au lendemain du deuil national et de la minute de silence organisée dans les établissements scolaires, le journal de 20h de France 2 ouvrait sur un propos que l’on aurait pu croire d’actualité immédiate ; il s’agissait d’un extrait du rapport Obin rédigé onze ans auparavant !

Devra-t-on pour le sujet qui nous réunit aujourd’hui attendre encore dix ans avant qu’on se décide à le considérer ?

La mission Laïcité du HCI - dont j’ai eu l’honneur, de décembre 2010 à juin 2013, de coordonner les travaux - avait pour sa part décidé de s’y pencher dès la fin 2011, soit un an après sa création. Elle avait consacré sa première année d’existence à réfléchir à la problématique, encore peu traitée alors, de la neutralité religieuse dans l’entreprise.

Au cours de l’année 2012, plusieurs auditions ont été organisées, notamment avec la Conférence des présidents d’université (CPU) dont le guide, "Laïcité et enseignement supérieur" élaboré en 2004, servit de base à notre réflexion [1]. Au terme de très nombreuses heures de discussion, un avis a été remis plus d’un an plus tard, en avril 2013, au cabinet du Premier ministre d’alors : "Expression religieuse et laïcité dans les établissements publics d’enseignement supérieur en France" [2]. Tandis que celui-ci devait normalement paraître fin 2013 à La Documentation française, une "fuite" a été organisée dans la presse, à l’insu de la mission Laïcité [3]. Celle-ci s’est vue brutalement interdite d’expression et c’est à la volonté opiniâtre de ses membres et à l’engagement d’un éditeur - Le Publieur - que nous devons l’édition de cet avis [4].

Que n’a-t-on entendu contre celui-ci. "Vous inventez des problèmes qui n’existent pas", "Vous tenez des propos discriminatoires !", "Contre le voile à l’université ou contre quelques étudiantes ?" titrait encore voici peu une tribune d’universitaires fustigeant la prise de position voisine de la nôtre sur ce point de Pascale Boistard, Secrétaire d’Etat aux droits des femmes – que je veux saluer ici [5].

Lorsque les propositions de l’ex-mission Laïcité du HCI ont été publiées de façon tronquée dans la presse, le président de la Conférence des Présidents d’université et président de Paris 13 - dont il a été question ce matin - a déclaré en août 2014 sur les ondes que notre rapport était, je cite, "teinté d’islamophobie" ! Comme chacun peut l’imaginer, ce propos est allé droit au cœur de tous les membres de cette mission qui comptait notamment en son sein Elisabeth Badinter, Ghaleb Bencheikh, Sihem Habchi, Abdennour Bidar, Catherine Kintzler, Patrick Kessel, tous aussi racistes les uns que les autres, bien entendu !

Nous n’avons jamais prétendu, pas plus hier qu’aujourd’hui, à travers l’ensemble des interventions, que les atteintes au principe de laïcité submergeaient l’enseignement supérieur en général et l’université en particulier. Nous l’avons écrit :

"Certes tous les établissements publics d’enseignement supérieur ne sont pas touchés par ces phénomènes. Il est vrai aussi que certains d’entre eux, confrontés à des situations de ce type, y ont apporté des solutions concrètes et apaisantes ; nous en donnons quelques exemples plus loin. Mais il est non moins réel que les situations [évoquées plus haut] conflictuelles ne remontent pas toutes à la connaissance des présidents d’universités ; et quand bien même c’est le cas, il arrive qu’elles ne soient pas prises en compte à la mesure de ce qu’elles signifient, voire pas du tout comme à Paris 13 !

C’est bien, d’une part, parce que ces phénomènes existent par endroits et, d’autre part, parce qu’il est toujours préférable d’anticiper, de ne pas attendre d’être confronté à une situation conflictuelle pour commencer à réfléchir aux réponses qu’il conviendrait d’y apporter, que la mission Laïcité du Haut Conseil à l’Intégration s’est emparée de ce sujet et a formulé douze recommandations" [6]

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Emballement médiatique aidant, au cœur de l’été 2013, on n’en a guère retenu que la proposition n° 2 recommandant une mesure législative établissant que dans les salles de cours, lieux et situations d’enseignement et de recherche des établissements publics d’enseignement supérieur, les signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse soient interdits.

Contrairement à ce qui a pu être dit ici ou là de l’ignorance dans laquelle étaient tenus les services du Premier ministre et du Secrétariat d’Etat à l’enseignement supérieur et à la Recherche, je veux vous informer de faits dont nous n’avons jusque-là jamais fait mention, ni oralement ni par écrit.

Avant d’être l’objet de propos infâmants et de censure politique, ces douze propositions avaient fait l’objet de discussions et même de commentaires écrits avec les responsables de la CPU, tout comme avec les conseillers du cabinet – la quasi-totalité – de la secrétaire d’Etat à l’Enseignement supérieur d’alors, Geneviève Fioraso. Si tous se montraient hostiles – ou encore simplement réservés – sur la proposition d’aller vers une loi d’interdiction des signes manifestant une appartenance religieuse dans les salles de cours, la plupart de nos autres propositions recueillaient l’approbation de nos interlocuteurs institutionnels. Fruits d’échanges constructifs, certaines propositions ont pu ainsi être amendées voire réécrites.

Nous étions loin alors d’imaginer que cet avis et ces propositions susciteraient par la suite un tel rejet, y compris un rejet a priori de ceux qui manifestement n’avaient pas pris la peine d’en connaître !

Il ne fut en effet pas même question d’en débattre, moins encore de publier et diffuser notre avis. Notre parole fut bâillonnée. C’est qu’il fallait alors mettre en scelle un rapport en 5 volets sur la politique d’intégration [7] – qui, on l’a vu, a fait "pschitt" ! Celui-ci ne préconisait rien moins que l’abrogation de la loi du 15 mars 2004 jugée discriminatoire ! C’est qu’il fallait aussi mettre en scène le tout nouvel Observatoire de la laïcité chargé d’une mission "d’apaisement", bel objectif qui à l’usage se révèle le masque du renoncement.

Au terme de cette riche matinée de témoignages et d’échanges, nous devons réaffirmer notre volonté d’en finir avec le déni des problèmes qui se posent, aussi, dans l’enseignement supérieur.

L’université, "service public laïque" comme nous l’ont rappelé avec force et précision Charles Coutel et Frédérique de la Morena, pourrait-elle devenir un "territoire sacrifié de la laïcité" pour reprendre les propos de Samuel Mayol et Yolène Dilas-Rocherieux ? Oui, le risque est là si l’on s’obstine, du côté des pouvoirs, à refuser de voir, de considérer les problèmes et d’en débattre au fond pour apporter des solutions.

Il nous faut en effet passer "de la cécité, à la nécessité" d’affirmer et affermir la laïcité dans tous les secteurs de l’enseignement supérieur, les universités aussi bien que les Ecoles supérieures du professorat et de l’Education comme nous l’ont bien montré dans leurs interventions Maryline Manté-Dunat, Isabelle de Mecquenem et Agnès Perrin-Doucey.

Les propositions qu’avait formulées l’ex-mission Laïcité du HCI sont toujours d’actualité. En août 2013, alors ministre de l’intérieur, Manuel Valls les avait publiquement jugées "dignes d’intérêt" quand, dans le même temps, notre ami Jean Glavany, député des Hautes Pyrénées, défendait l’impérieuse nécessité d’en débattre – et d’abord au sein de l’Observatoire de la laïcité.

Je veux donc, pour conclure, rappeler ces propositions, sachant qu’on peut les retrouver et lire l’intégralité de l’avis qui les fonde dans l’ouvrage déjà cité [8]

La mission Laïcité du HCI recommande :

1) que tous les établissements publics d’enseignement supérieur inscrivent dans leur règlement intérieur les obligations de l’étudiant au regard du principe de laïcité, en matière d’enseignement, de même que les procédures disciplinaires applicables en cas de manquement. Aucune raison d’ordre religieux, philosophique, politique, aucune considération de sexe ne peuvent en effet être invoquées pour refuser de participer à certains enseignements, pour empêcher d’étudier certains ouvrages ou auteurs ou pour récuser certains enseignants.

2) qu’une mesure législative établisse que dans les salles de cours, lieux et situations d’enseignement et de recherche des établissements publics d’enseignement supérieur, les signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse soient interdits.

3) que les obligations qui régissent les documents d’identité et de voyage -tels que carte nationale d’identité, passeport ou titre de séjour s’appliquent aussi à la carte d’étudiant.

4) qu’un temps d’enseignement soit consacré à l’étude du principe de laïcité pour les étudiants durant le cycle Licence.

Elle recommande l’insertion de l’étude du principe de laïcité dans les programmes des formations débouchant sur un métier des fonctions publiques d’État, hospitalière ou territoriale ou sur un métier des carrières sanitaires et sociales. Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation et les établissements du réseau des écoles du service public [9] doivent intégrer l’étude de la laïcité, pour tous leurs étudiants, élèves et stagiaires, en formation initiale et continue.

La mission Laïcité recommande enfin l’organisation, par le Ministère de l’Enseignement supérieur, d’une formation de formateurs sur la laïcité [10]. Cette formation pourrait être confiée à l’Ecole Supérieure de l’Education nationale (ESEN).

5) que soient rappelées les obligations des étudiants lors des examens, notamment l’exigence d’identification (en conformité avec la recommandation n°3) l’interdiction de tout objet ou manifestation susceptible de gêner les autres candidats dans le traitement même de l’épreuve ou d’en perturber le déroulement en contrevenant à la nécessaire neutralité des conditions d’examen. Elle préconise de faire figurer ces obligations dans la partie règlementaire du Code de l’Éducation.

6) La mission Laïcité du HCI appuie la démarche des responsables des établissements d’enseignement supérieur qui consiste à éviter de programmer des séances d’examen écrit les jours de grandes fêtes religieuses tels que mentionnés, chaque année, au Journal Officiel de la République Française.

La mission Laïcité du HCI recommande que figure dans les règlements intérieurs des établissements un article précisant qu’aucune raison d’ordre religieux ne pourra être invoquée pour refuser de participer aux examens, contester les sujets, les examinateurs ou les jurys.

7) La mission recommande l’application effective du monopole d’État de l’attribution des grades universitaires (collation des grades) par les seules universités publiques.

8) que toute occupation d’un local, au sein d’un établissement d’enseignement supérieur par une association étudiante, fasse l’objet d’une convention d’affectation des locaux. Ces locaux ne peuvent en aucun cas être affectés aux cultes.

Des critères d’attribution, en particulier la non-discrimination et l’égalité hommes-femmes doivent être retenus [11]. Hors les aumôneries, l’objet et les activités de ces associations ne sauraient être cultuels.

9) la diffusion, par arrêté du Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de la Charte de la laïcité dans les services publics dans tous les sites des établissements publics d’enseignement supérieur. Celle-ci doit être affichée aux entrées et dans les espaces de circulation de ces établissements. Elle doit enfin être annexée au règlement intérieur et portée à la connaissance de tous les étudiants.

10) l’application effective des circulaires et décrets concernant les crédits du Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes (FSDIE). Ces crédits ne sauraient être attribués à des associations dont l’objet et les activités sont cultuels.

11) la désignation par les instances décisionnelles de chaque établissement d’un correspondant Laïcité en son sein [12]. Cette mission pourrait être dévolue – là où la fonction a été créée- au médiateur de l’établissement d’enseignement supérieur.

12) l’insertion dans le Code de l’Éducation d’une disposition législative précisant que le personnel et les locaux des Crous sont soumis au principe de laïcité. Ils ne peuvent notamment accueillir aucun lieu de culte, ni fournir de restauration de nature confessionnelle.

Avant de redonner une dernière fois la parole à Patrick Kessel pour la lecture d’une résolution du Comité Laïcité République qui fera dès cet après-midi l’objet d’un communiqué, il me reste à remercier tous nos intervenants pour la qualité de leur propos ainsi que l’assistance pour son attention et sa participation active au débat. Celui-ci doit se poursuivre et s’amplifier.

[1"Laïcité et enseignement supérieur", Guide CPU, Paris, septembre 2004.

[4Faire vivre la laïcité, sous la direction d’Alain Seksig, préface d’Elisabeth Badinter. Le Publieur, 2014, Paris.

[6Op. cité, pages 26-27.

[8Cf. note 1.

[9Après une collaboration de quatre années dans l’organisation de sessions communes de formation, plusieurs écoles du service public (École nationale d’administration, Instituts régionaux d’administration, École nationale de la magistrature, École supérieure de l’Éducation nationale,…) décidaient en 1995 de fonder un réseau afin d’étendre leur coopération dans différents domaines. La déclaration commune fondant le réseau est signée en 1996 à l’École Nationale de la Santé Publique. Source : http://www.resp-fr.org/index.php?option=com_content&task=view&id=12&Itemid=27

[10Cette formation pourrait s’inspirer notamment de l’ouvrage Pour une pédagogie de la laïcité à l’école, rédigé par Abdennour Bidar, dans le cadre de la mission conjointe Éducation Nationale / HCI, (La Documentation française, Décembre 2012. Préface de Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale).

[11Il serait à ce titre judicieux de s’inspirer des critères retenus pour les associations « jeunesse et éducation populaire », tels que fixés par l’article 8 de la loi n°2001-624 du 17 juillet 2001 "portant diverses dispositions d’ordre social, éducatif et culturel" (JO du 18 juillet) :
- l’existence et le respect de dispositions statutaires garantissant la liberté de conscience,
- le respect du principe de non-discrimination,
- un fonctionnement démocratique,
- la transparence de leur gestion,
- l’égal accès des hommes et des femmes et l’accès des jeunes à leurs instances dirigeantes, sauf dans les cas où le respect de cette condition est incompatible avec l’objet de l’association et la qualité de ses membres ou usagers. Les associations de jeunesse et d’éducation populaire pourront être conduites à inciter les jeunes à prendre des responsabilités. Les jeunes de 16 à 18 ans peuvent être élus aux instances dirigeantes ; cependant ils ne peuvent pas exercer les fonctions de président, trésorier ou secrétaire général qui supposent une capacité juridique dont les mineurs sont dépourvus.
Les associations, pour être agréées, devront donc, notamment, être ouvertes à tous, être gérées démocratiquement (renouvellement régulier des membres qui composent les instances dirigeantes), s’adresser aux jeunes et/ou concerner le domaine de l’éducation populaire. Pour l’appréciation de ce dernier critère, on considère que, si le domaine de la jeunesse peut être délimité en fonction du public concerné, le domaine de l’éducation populaire recouvre tout ce qui touche à la formation globale des hommes et des femmes, à leur épanouissement et à leur prise de responsabilités dans la Nation comme dans leur vie personnelle : ce champ d’action n’est pas strictement délimité et peut être très divers (formation professionnelle, formation du citoyen, formation à la responsabilité…). A noter que les associations n’ayant pas pour objet exclusif la jeunesse ou l’éducation populaire peuvent cependant faire l’objet d’un agrément à ce titre, dès lors qu’elles pourront démontrer qu’elles mènent un certain nombre d’actions significatives et de qualité, dans l’un ou l’autre de ces domaines.
Précisons enfin que l’association, pour faire l’objet d’un agrément, doit être suffisamment autonome financièrement par rapport à des partenaires publics ou privés. (Source : http://www.associations.gouv.fr/639-l-agrement-de-jeunesse-et-d.html).

[12Ce dispositif fonctionne déjà à l’université d’Évry.



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