Conférence organisée par le CLR Pays de la Loire et l’ADLPF (9 nov. 17)

Alain Azouvi : Ecole, "une guerre sur plusieurs fronts" (CLR PdL, ADLPF, Nantes, 9 nov. 17)

Coauteur du livre "La guerre scolaire" (Max Milo). 24 novembre 2017

"La guerre scolaire

Les défenseurs de l’école publique, gratuite et laïque, ont à se battre sur deux fronts : en externe, contre les attaques dont elle est la cible depuis ses origines ; en interne, contre les conservatismes qui font obstacle à toute mesure visant à rencontrer les attentes et les besoins des enfants tels qu’ils sont, dans leur diversité, celle-ci trop souvent considérée et ramenée à du « retard scolaire » au regard d’une moyenne abstraitement définie.

Guy Georges a consacré sa vie d’enseignant et de militant à inventer, préciser, mettre au point le projet d’Ecole fondamentale, dont on peut trouver aujourd’hui un écho, quoique partiel et assourdi, dans ce que l’on appelle la refondation de l’Ecole. On trouvera l’histoire et les principes de cette autre façon d’imaginer et de comprendre ce que c’est qu’enseigner à des enfants dans les divers ouvrages de Guy, de L’Ecole fondamentale (Sudel, 1973) à I majuscule comme Instituteur (Bruno Leprince, 2011).

Bien entendu La guerre scolaire (chapitre 9) y fait également référence, mais le propos de ce livre-ci est d’analyser l’autre front, externe : comment, sans lésiner sur les moyens, la loi certes mais aussi, le moment venu, le mépris, le mensonge, voire la haine, le parti clérical n’a eu de cesse depuis 1882, d’attaquer, de saper, de vilipender l’école publique, dont le tort impardonnable à ses yeux était, et reste, de former sans conformer.

Une guerre tous azimuts

D’où une guerre sur plusieurs fronts, une guerre qui a joué sur tous les registres, des plus légitimes (guerre philosophique) aux plus bas (guerre de l’insulte et du mensonge), en passant bien sûr par les plus terre-à-terre (guerre financière).

L’Eglise ne se veut jamais battue : « répartition proportionnelle scolaire » dès janvier 1910 ; encyclique Divini Illius Magistri (31 décembre 1929) qui revendique « un esprit vraiment chrétien, sous la direction et la maternelle vigilance de l’Église, de telle façon que la religion soit le fondement et le couronnement de tout l’enseignement à tous les degrés. »

Depuis l’Etat français, la brèche alors ouverte ne s’est jamais refermée, de Poinso-Chapuis à Carle

Une guerre philosophique

L’Eglise catholique, comme toute religion, croit avoir l’éternité pour elle. Elle admet aujourd’hui être confrontée à des valeurs séculières avec lesquelles elle doit transiger, mais perdre une bataille ne signifie jamais pour elle perdre la guerre. Cette certitude s’appuie sur des principes philosophiques qu’il faut prendre au sérieux si l’on veut les combattre avec succès, car ils sont plus que jamais d’actualité : à l’occasion de l’élection présidentielle de 2012, les responsables de l’enseignement catholique ont rendu public un « Manifeste de l’école catholique au service de la Nation » que leur site définissait ainsi : « L’école catholique est donc elle-même un lieu d’évangélisation. »

Cette conception, qui tend à perpétuer les cadres, préjugés et clivages hérités des familles, est clairement aux antipodes de ce qui légitime et anime l’école publique : la formation de citoyens, c’est-à-dire d’individus transcendant leurs particularismes d’origine (ce qui ne signifie pas leur négation) ; une ambition que Jaurès avait remarquablement synthétisée : « L’école ne continue pas la vie de famille ; elle inaugure et prépare la vie des sociétés. »

1832 : Mirari Vos
1943 : Mgr Bonnet.
1949 : Mgr Feltin.
1965 : Vatican II
3 juin 1988, le Vatican : « L’école catholique est un lieu d’évangélisation, d’authentique apostolat, d’action pastorale »
2013 : Nouveau statut de l’enseignement catholique (dont on parlera plus loin)

Une guerre financière

C’est en s’appuyant sur cette stratégie de très long terme que l’Eglise catholique a pu reconquérir le terrain initialement perdu. Elle s’est d’abord consacrée à la dimension financière, en prenant son temps : six lois seulement en soixante ans.

Poinso-Chapuis : le décret se pare des meilleures intentions. Il s’agit d’« aider les familles éprouvant des difficultés matérielles pour l’instruction de leurs enfants » au moyen de subventions versées par l’Union nationale, les unions régionales et les unions locales des allocations familiales.

Marie-Barangé : Bourses à l’enseignement privé. Adoption au galop (8 août-21 septembre 1951) : « Gloire aux vainqueurs. Les élections du 17 juin nous ont donné la victoire. Une brèche est ouverte : il ne s’agit que de l’agrandir et de passer avec le gros des troupes » (Organe des écoles libres).

Debré : de l’aide aux familles (bourses) à la relation contractuelle entre l’Etat et les établissements d’enseignement privés : « l’Etat aide pécuniairement l’enseignement privé, qui se place sous son contrôle, par la prise en charge, totale ou partielle, de la rémunération des maîtres. »

Guermeur : L’« enseignement catholique » devient l’égal de l’éducation nationale. Sont pris en charge sur fonds publics, le déroulement des carrières des enseignants, les mesures sociales, les retraites. La contribution des communes devient obligatoire. Refus de certaines d’entre elles. Le jugement du TA de Pau fera jurisprudence : inscription d’office de la dépense au budget communal.

Lang-Cloupet : La procédure d’abord déroge à la loi de 1959, selon laquelle l’État passe contrat avec des établissements. Or, le protocole précise qu’il est signé entre « l’État représenté par le Ministre d’État, ministre de l’Éducation Nationale, et l’Enseignement Catholique sous contrat représenté par son secrétaire général ».

L’accord a été étendu à des dispositions sans rapport avec le litige initial : le point 2 traite de « la prise en charge des documentalistes » ; le point 4, « des retraites » (ce sera la loi Censi, janvier 2005) ; le 5e, des directeurs d’école ; le 3e, de « la formation et du recrutement » des enseignants du privé.

La référence à l’article L 442-1 est amputée d’une autre exigence que le caractère propre, et pas des moindres : « le respect total de la liberté de conscience ».

La loi Guermeur avait pour objet (nouveau) de former des enseignants à un enseignement privé de caractère propre et non à l’enseignement « dispensé selon les règles et programmes de l’enseignement public » (L 442-5). C’était déjà beaucoup mais elle n’engageait nullement l’Etat dans l’organisation de cette formation. Dans les accords Lang-Cloupet au contraire, on relève une parfaite identité, voire osmose, entre les conditions de recrutement et de rémunérations des professeurs du second degré, public et privé : mêmes concours (CAPES, CAPET, etc.) avec les mêmes sections et mêmes jurys que ceux de l’enseignement public.

13 août 2004 : financement par les communes des dépenses d’entretien des élèves dont les parents, domiciliés dans la commune, ont un enfant qui fréquente une école privée d’une autre commune.

Carle : garantit « la parité » de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat, en toutes circonstances.

La guerre d’une Eglise en mission

Parachevant la démarche et bien plus effronté que la Charte de la formation de l’enseignement catholique de 2002, le Nouveau Statut de l’Enseignement catholique, élaboré et publié en toute autonomie en 2013, renvoie aux oubliettes (sans le dire explicitement) les termes et obligations du contrat passé avec l’Etat : il porte dorénavant sur le contenu même de l’enseignement dispensé (en pleine contravention, on le note au passage, avec les principes de la loi Debré).

Le projet éducatif

Il est spécifique :
« L’école catholique propose à tous son projet éducatif spécifique et, ce faisant, elle accomplit dans la société un service d’intérêt général » (art. 13).
« Le caractère ecclésial de l’école est inscrit au cœur même de son identité d’institution scolaire » (art. 17).
« La proposition éducative spécifique de l’école catholique s’exprime dans le projet éducatif de chaque école ; elle constitue ce que la loi désigne comme le caractère propre » (art. 18).

Les personnels

Art. 32 : « Une école catholique se constitue autour d’un chef d’établissement qui reçoit mission de l’Église… Il lui revient de veiller à ce que la foi catholique soit proposée à tous ».

L’organisation « administrative »

Elle se caractérise notamment par l’interdiction de la liberté d’association, les APEL (Association des Parents de l’Ecole Libre) étant seules reconnues par le Statut, et l’absence de liberté syndicale, le Statut désignant ceux dont il estime qu’ils lui « apporteront leur expertise et leur concours ».

La gouvernance, enfin, est comme le reste très bien verrouillée … et parfaitement organisée : Comité diocésain de l’enseignement catholique (CODIEC) ; Comité académique (ou régional) de l’enseignement catholique (CAEC et CREC) ; Comité national de l’enseignement catholique (CNEC) ; Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique.

Pointons les manquements à la loi de l’enseignement privé catholique :
1- Le statut détourne délibérément la notion de caractère propre.
2- S’agissant des enseignants, le Code de l’éducation exige le respect de leur liberté de conscience. Le nouveau statut de l’enseignement catholique l’ignore.
3- L’enseignement doit être donné dans le respect des consciences des élèves. Comment l’enseignement préconisé par le nouveau statut, imprégné du dogme de la religion catholique, peut-il être respectueux des consciences, c’est-à-dire neutre comme l’est l’enseignement officiel laïque ?
4- Enfin, tolérer un statut qui proclame et organise la « mission de l’Eglise » dans l’enseignement, c’est accepter que d’autres imitent ce mauvais exemple. Car ce statut est présenté comme une « mission d’intérêt général », « une mission de service public ».

Une guerre de sape idéologique

L’une des grandes forces du parti clérical est qu’il trouve des relais dans la société, qui affichent haut et fort ne rien avoir à faire avec le pacte républicain. Par exemple Philippe Nemo. Concrètement, la traduction des orientations prônées par Philippe Nemo signifie que :

  • la « collectivité » finance l’enseignement, mais la prestation est assurée par des écoles indépendantes, librement créées et gérées ;
  • l’école a un statut de droit privé ; elle est l’employeur de ses personnels ; elle est gérée comme une entreprise ;
  • un cahier des charges fixe les normes selon lesquelles un établissement reçoit un financement public ; cet établissement pourra avoir des programmes « plus riches », des « activités supplémentaires » ;
  • tout acteur du système éducatif a le droit de créer ses propres examens et diplômes ;
  • les établissements peuvent se regrouper en réseaux qui auront « adopté la même philosophie », qui auront « un label », « une identité » propres, chaque réseau ayant « son école normale », « sa production de manuels scolaires. »

Une guerre sémantique

Champ libre est alors laissé aux approximations, aux contre-vérités, et pourquoi pas aux contre-sens : « C’est la liberté religieuse qui soutient la liberté de conscience, pas l’inverse » (Mgr Luc Ravel, évêque catholique aux armées - Colloque Cefrelco, 1er-2 avril 2014).

Les cléricaux ne tendent pas l’autre joue

Au fil du temps -ici sur un siècle-, rien ne change : même mépris, même haine, mêmes mensonges.

Outrance et mensonge : la dénaturation du projet de loi Savary de 1984

Ici, la caricature se veut intellectuelle, mais elle reste tout autant mensongère et malhonnête. Le projet de loi voulait :
Préciser la loi Debré : projet éducatif, genre d’éducation, liberté de choix précisent et se substituent à la notion de caractère propre.
Création des Etablissements d’Intérêt Public (EIP) : dispositifs de contrôle financier des dotations et des dépenses, rassemblant des représentants de l’Etat, de communes, du département, de la région, et des représentants des établissements privés sous contrat.
Personnels : enseignants relevant soit du statut de la Fonction Publique, soit du droit privé avec possibilité de choix au bout de six ans.

Entraver à tout prix 

Les ressources sont infinies pour ne pas appliquer le Code de l’Education. La droite au pouvoir (le ministre Darcos) met en œuvre le programme qu’elle avait annoncé.

Entraver par le mépris de la loi

Beaupréau. Les effectifs des écoles publiques sont passés de 680 élèves en 2010 à 811 à la rentrée de 2013. Aucun argument ne peut plus s’opposer à l’ouverture d’un collège public à Beaupréau. Le président UMP de l’assemblée départementale modifie à la hausse les critères d’élection … et persiste dans son refus.

Entraver par l’asphyxie

Darcos :
Augmentation de la taille des classes dans le premier degré.
Réduction du besoin de remplacement dans le premier degré.
Baisse de la scolarisation des enfants de deux ans
Suppression des RASED (fait)
Fermeture des petits établissements

S’il le faut, soyons illégaux

Une République où les puissants n’ont d’autres limites que celles de leurs caprices : Ploërmel ; le lycée Jean-Paul II de Sartrouville

Ploêrmel, mai 2015 : la veille de la réunion du conseil municipal, conférence de presse des lycées privés accompagnés des responsables catholiques du département. Etude démographique bidon contredisant celle de la région.

Lycée Jean-Paul II de Sartrouville :

  • le terrain : 850 000 € payés par la mairie UMP
  • la construction : 1,9 million d’euros (1/3 du total) payés par la région Ile-de-France
  • lycée G,T,P ? : « Professionnel » parce que la loi Astier (25 juillet 1919) permet le financement immédiat du fonctionnement et des investissements des établissements techniques et professionnels privés
  • Plan banlieue : zone défavorisée ? Non. Peu importe : 145 heures d’enseignement
  • contrat : JPII décrété « annexe » du lycée Notre-Dame de Saint-Germain-en-Laye. 10 kilomètres au lieu d’1 ? Peu importe.

Pour une guerre du courage politique

Ne pas jouer les don Quichotte, mais commencer par le commencement, c’est-à-dire :

  • Appliquer le Code de l’Education
    * l’ouverture d’une école privée n’est pas automatique
    * le contrat peut être passé
    * son application est contrôlée par l’Etat
    * « caractère propre » : on peut considérer qu’il résulte de la phrase : « les établissements organisent librement toutes les activités extérieures au secteur sous contrat. » Cette disposition légale est-elle effectivement appliquée ? La réponse est toujours évasive ou dilatoire quand est soulevée la réalité des inspections et des rapports qui doivent en découler.
    Peu de curiosité, voire indifférence du Parlement comme de la Cour des Comptes.
  • Refonder l’Ecole"


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