Revue de presse

Pierre-André Taguieff : "Le wokisme est la forme contemporaine de la bêtise cultivée et sophistiquée" (lexpress.fr , 3 oct. 23)

(lexpress.fr , 3 oct. 23). Pierre-André Taguieff, philosophe, politiste et historien des idées. 8 octobre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Pierre-André Taguieff, Le Nouvel Âge de la bêtise, éd L’Observatoire, 20 sept. 23, 23 e.

Propos recueillis par Alix L’Hospital

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Lire "Pierre-André Taguieff : "Le wokisme est la forme contemporaine de la bêtise cultivée et sophistiquée"".

"[...] Il faut bien reconnaître à la haute culture française du dernier tiers du XXᵉ siècle le douteux mérite d’avoir mis à la portée du premier militant venu, quelle que soit sa "cause", le recours à un maniérisme pseudo-savant dans la pratique de la sottise blablateuse.

Mais celle-ci se concentre désormais dans les milieux qui collectionnent les "bonnes causes" selon l’esprit du temps. Disons les milieux qui se disent encore "progressistes". La défense desdites "bonnes causes" alimente la vanité des imbéciles, qui se félicitent d’être "du bon côté", et donc, par là même, intelligents. C’est ainsi qu’ils fanfaronnent. Dans sa conférence de mars 1937 sur la bêtise, Robert Musil rappelait le vieil adage "vanité et bêtise poussent sur la même tige", avant d’affirmer qu’"il y [avait] depuis toujours entre bêtise et vanité un lien étroit".

Aujourd’hui, la cuistrerie révolutionnariste donne son style commun au néoféminisme intersectionnel, à l’écologisme radical, au décolonialisme et au néo-antiracisme contemporains, pépinières de pense-menus emplumés des deux sexes (et de tous les genres, trans compris), prétentieux et arrogants. Dans son court essai sur le "bullshit", Harry Frankfurt commençait par noter : "L’un des traits les plus caractéristiques de notre culture est l’omniprésence du baratin."

Comment se manifeste ce "baratin" de nos jours ?

Depuis les années 1990, les choses se sont considérablement aggravées en raison du surgissement et de l’extension de la bêtise "woke", qui est la forme contemporaine de la bêtise cultivée et sophistiquée des intellectuels de gauche et d’extrême gauche. Mais ce n’est que tout récemment que s’est opérée la prise de conscience du phénomène nommé globalement "wokisme", désignation assurément discutable, en passe de devenir aussi sloganique que "radicalité", "communautarisme" ou "panique morale".

C’est pourquoi se multiplient les essais polémiques ou les pamphlets contre la bêtise idéologisée et institutionnalisée qu’est le wokisme dans tous ses aspects. Au risque de faire naître un nouveau sous-genre polémique : l’"anti-wokisme", et de réduire les débats politico-intellectuels à un débat aussi houleux que stérile entre "wokistes" et "anti-wokistes", l’enjeu étant de monopoliser la position dite "progressiste", chaque camp s’efforçant de disqualifier l’autre en le fascisant ou en le nazifiant, ou en l’accusant de "racisme".

A vous entendre, on pourrait croire que dénoncer la bêtise est la meilleure porte d’entrée pour y sombrer soi-même… et perdre son public, s’il en est.

Dans les milieux intellectuels, depuis quelques années, rares sont ceux qui ne dénoncent pas rituellement la "reductio ad hitlerum" [NDLR : procédé rhétorique qui coupe court à tout débat raisonné en assimilant son interlocuteur à un idéologue nazi]. Mais les mêmes, s’ils sont de gauche, ne s’interdisent pas pour autant de pratiquer la nazification de ceux qu’ils haïssent.

Au niveau de la politique internationale, dans les discours de propagande, on assiste à un spectacle de nazifications croisées entre ennemis. La propagande poutinienne nazifie l’ennemi ukrainien, tandis que la propagande antipoutinienne nazifie l’ennemi russe. Les gauches finissent toujours, un jour ou l’autre, par nazifier telle ou telle droite. Mais les gauches se nazifient aussi entre elles, avec jubilation. Le 20 septembre dernier, la députée mélenchonienne Sophia Chikirou a ainsi dénoncé le dirigeant communiste Fabien Roussel en le comparant au collaborationniste Jacques Doriot. Ce jeu de bascule ne peut que susciter un profond ennui et pousser les spectateurs à sortir de la salle. Le désintérêt pour la vie politique est alimenté par ces spectacles dérisoires. [...]"


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique "Wokisme",
J. Julliard : "La troisième glaciation" (Marianne, 20 jan. 22) (note de la rédaction CLR).


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