Note de lecture

L. Bouvet : Liberté religieuse à l’anglo-saxonne ou laïcité républicaine, il faut choisir ! (J.-P. Sakoun)

par Jean-Pierre Sakoun, président du CLR. 3 février 2019

Laurent Bouvet, La Nouvelle question laïque, Flammarion, 2019, 336 p., 18 e.

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Professeur de Sciences politiques, membre du Conseil des Sages de la laïcité du ministère de l’Éducation nationale, cofondateur du Printemps républicain, Laurent Bouvet vient de publier aux éditions Flammarion un livre intitulé La Nouvelle question laïque. Auteur de plusieurs ouvrages, il s’est en particulier fait connaître du grand public par L’insécurité culturelle (Fayard, 2015) un livre qui a largement alimenté le débat intellectuel.

L’auteur entend dans La Nouvelle question laïque rappeler les enjeux laïques, les (r)évolutions majeures et récentes de la société française autour de ce pivot qu’est la laïcité et le caractère original de ce principe, porteur des idéaux humanistes, universalistes et républicains.

Dans un premier chapitre complet, éclairant et en même temps écrit dans un style accessible, avec quelques vrais bonheurs de plume, Laurent Bouvet remet en perspective l’évolution identitaire de la société française depuis les années 1960 et 70 jusqu’à la loi de 2004 sur l’interdiction du port des signes religieux ostensibles à l’école, et consacre des pages très utiles au rappel des principaux événements internationaux et nationaux qui ont participé au modelage de notre société. Ce chapitre devrait rester en permanence sous la main de tous les citoyens qui veulent comprendre ce qui nous arrive.

L’auteur décrit ensuite avec finesse les mécanismes qui vont faire de la laïcité un enjeu politicien, de Nicolas Sarkozy alors ministre de l’intérieur, aux prises de position favorables aux religions d’Emmanuel Macron, en passant par les renoncements de François Hollande et les positions ondoyantes de l’Observatoire de la Laïcité dont on se souvient de la lutte qu’il a menée contre le Premier ministre Manuel Valls pour contourner l’engagement laïque de ce dernier.

Laurent Bouvet décrit alors les renversements et les contre-emplois qui traversent la gauche traditionnellement porteuse des idéaux laïques et largement devenue communautariste et intersectionnelle. Il expose les évolutions de la droite, qui se dit désormais laïque par identitarisme catholique au mieux, par xénophobie voire racisme contre les immigrés de culture musulmane au pire. Il analyse la situation inconfortable des musulmans eux-mêmes, soumis à la volonté de communautarisation politique que des organes proches des Frères musulmans et, d’une autre manière, des intégristes salafistes déploient avec un succès certain dans la société française. Il alerte en particulier sur l’évolution et l’orthopraxie religieuses d’un nombre important de jeunes que l’école de la République ne parvient plus à intégrer.

Se fondant sur ces constats, l’auteur analyse avec une grande perspicacité la mécanique de ce qu’il appelle la « normalisation libérale de la laïcité ». Il démontre de manière très convaincante que la « nouvelle » laïcité que tentent d’imposer tous ses contempteurs, porteurs de l’idéologie « américaine » de la liberté religieuse comme pierre angulaire de la liberté des individus, n’a rien à voir avec les idéaux et les mécanismes de la laïcité républicaine, qui soutiennent le sujet autonome en s’appuyant sur l’État protecteur. Il appelle à ne pas se laisser tromper par le discours « libéral » sur la laïcité, au sens anglo-saxon du terme, qui se présente comme objectif alors qu’il est profondément idéologique et destructeur des solidarités de la société française.

Après ces pages énonçant avec talent et perspicacité un terrible et inquiétant constat, sans rien laisser dans l’ombre des mécanismes complexes qui participent à la guerre menée de toute part contre la laïcité, Laurent Bouvet trace une nouvelle voie républicaine, capable de concilier les exigences nouvelles des sociétés mondialisées et divisées et la poursuite de l’effort d’émancipation qui reste au cœur de l’idéal laïque. La question brûlante de la liberté des femmes dans notre société, et particulièrement des femmes confrontées à l’intégrisme musulman, lui permet de mettre en application le concept de cette laïcité du XXIe siècle qu’il appelle de ses vœux en reprenant l’heureuse formule de Michael Walzer, « l’universalisme réitératif » qui retrouve dans chaque société des exigences et des valeurs morales communes, permettant en particulier de combattre les penchants identitaires de l’islam, nouvelle religion en France.

Au total, le livre de Laurent Bouvet allie la retenue, la précision de l’information et la justesse de l’analyse universitaires avec une grande simplicité de style et une « force tranquille » pour nous emmener vers un avenir laïque accessible et partageable par tous.

Cet ouvrage, tant par la qualité et l’exhaustivité de l’exploration des mécanismes à l’œuvre pour liquider la laïcité au profit d’une organisation séparatiste et identitaire de la société, que par l’originalité des voies esquissées pour sortir « par le haut » de ce piège, doit devenir un livre de chevet pour les citoyens porteurs de l’idéal de fraternité universelle et républicaine.

Jean-Pierre Sakoun
Président du CLR



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