Revue de presse

"Islam français, le livre qui va scandaliser" (Le Point, 25 av. 13)

A propos de "Islam, l’épreuve française", d’Elisabeth Schemla (Plon). 4 mai 2013

"Elisabeth Schemla dénonce la montée de l’islam radical. A tort ?

"Si toute religion a sa part d’intégrisme, c’est aujourd’hui dans l’islam que cette part suscite la crainte." Cette phrase n’est pas extraite d’un brûlot islamophobe, mais d’un discours du ministre de l’Intérieur lors de l’inauguration de la mosquée de Strasbourg, le 27 septembre 2012. Le constat que dresse Manuel Valls, les études d’opinion le vérifient vague après vague. Après les tueries de Mohamed Merah, l’attentat de Boston ne va pas améliorer l’image de la religion de Mahomet. L’islam fait incontestablement peur à une majorité de Français. Cette crainte est-elle justifiée ? Le livre d’Elisabeth Schemla répond oui, sans hésiter. La journaliste y raconte comment elle a observé depuis vingt-cinq ans "la conquête progressive et patiente de la France par l’islam radical". En 1989, elle avait couvert pour Le Nouvel Observateur la première affaire du foulard. L’exclusion de trois élèves de Creil qui refusaient d’enlever leur voile en classe avait divisé le pays. C’était l’époque où le ministre de l’Education nationale Lionel Jospin pouvait répondre à la journaliste, effarée : "Et qu’est-ce que vous voulez que cela me fasse que la France s’islamise ?" Inimaginable aujourd’hui... Mais , vingt-cinq ans après la "bombe" du foulard, rien n’est réglé. Même défis au modèle laïque français, même tentation du renoncement devant la poussée intégriste. Qui est responsable ? Comment en est-on arrivé là ? Est-il encore temps de détourner les Français musulmans de cette influence ? Tel est le sujet de ce livre dérangeant.


Extraits

Pourquoi les Français ont peur

"L’idéologie dominante prétend que cette inquiétude plus ou moins sourde [des Français vis-à-vis de l’islam] est infondée ou artificielle, le symptôme de la dépression collective, voire d’une grave paranoïa, ou la marque d’une obsession raciste. Bref, elle serait l’apanage de malades ou de salauds, quand ce n’est pas les deux à la fois. Certains le sont. Mais fourrer tout le monde dans le même sac, c’est étouffer sciemment un souci national. (...) Il est irresponsable de tromper le peuple sur l’inadaptation actuelle de l’islam à la laïcité, de tourner le dos à des dizaines de millions de Français. De faire jouer en eux tous les ressorts de la honte et de la culpabilité, de les injurier ou de les clouer au pilori quand ils tentent d’ouvrir la bouche pour évoquer leur désarroi, lorsqu’ils cherchent simplement à alerter contre les assauts dont ils se sentent l’objet. (...).

Partout les attentats portent la signature des islamistes avec toujours les mêmes images de décombres, de sang et les milliers de victimes innocentes, sans parler du 11 Septembre, traumatisme déterminant. En France même, on a oublié les 80 actes terroristes perpétrés entre 1979 et 1987 par Action directe, groupuscule anarcho-communiste, et les attentats particulièrement meurtriers commandités par Carlos de 1974 à 1983. Pourquoi ? Parce que, depuis vingt-cinq ans - une génération -, cette violence [terroriste] a été l’oeuvre exclusive de musulmans. (...).

Et puis, il y a eu la révolution arabe en 2011. Son influence, quoique souterraine, compte beaucoup dans l’état d’esprit national. Les Français, dont 1789 fait partie du patrimoine génétique, ne se sont pas seulement réjouis de voir tomber des dictateurs ou des présidents autoritaires sous la houle irrésistible de peuples qui se libéraient. (...) Ils ont donc cru que cette révolution serait l’avènement d’un nouveau monde libre, à leur porte, autour de la Méditerranée. Ils l’ont d’autant plus cru que de vrais démocrates, hommes et femmes, participaient, fous d’espoir, à ces mouvements. Et que de désespérants "experts" en erreurs leur ont vendu, de plateau télé en studio radio, un conte de fées qui cachait un cauchemar. Tunisie, Libye, Egypte, Syrie, on connaît la suite. Prise de pouvoir ou montée en puissance des Frères musulmans, poussée des salafistes, charia par-ci, charia par-là, de l’Atlantique au golfe d’Aden. Rien d’étonnant dès lors que l’islam ait une image absolument désastreuse auprès des Français.

Ils lui reprochent fortement de ne pas être porteur de tout ce à quoi ils sont, eux, viscéralement attachés après des siècles d’enfantement. Démocratie, protection de la femme, justice, liberté et tolérance en particulier. (...).

La revendication halal choque, elle aussi. Quand la mairie du Havre donne l’ordre de jeter à la poubelle plus de 8 000 crèmes au chocolat destinées aux cantines parce qu’elles contiennent de la gélatine de porc, les Français ne peuvent s’empêcher de penser que quelque chose est en train de dérailler. (...).

Mais cette crainte sourde qui les habite ne les aveugle pas. Ils savent faire le tri. Une bonne preuve nous en est fournie par le top 50 de leurs personnalités préférées [dans Le Journal du dimanche]. (...) Il y a vingt-cinq ans, précisément quand commençait à poindre cette préoccupation de l’islam, l’abbé Pierre et le commandant Jacques-Yves Cousteau se disputaient la première place, et pour longtemps. (...) Avant de s’effacer devant Zinedine Zidane, le Franco-Algérien, et David Douillet. Puis Yannick Noah, métis adulé, qui a trôné jusqu’à cette année. Gad Elmaleh, Français juif du Maroc, le précède désormais ; Jamel Debbouze, l’Arabe franco-marocain, le talonne. Et, au sommet, Omar Sy. Plus black que black, un Peul magnifique, joie et drôlerie, un rire qui dévore la vie. Et musulman... (...) "Je suis pratiquant mais je n’aime pas trop en parler, dit-il. Je n’ai pas envie d’être récupéré par les politiques ou les religieux. Je ne me cache pas, je n’ai pas honte. (...) Je suis comme ça, je suis tout ça. Sans militantisme. (...) Je suis libre et (...) je suis toujours gêné, en tant que croyant, quand les gens font de la propagande." (...) Les Français adorent son histoire. Ils plébiscitent la success story, un homme talentueux et discret. Tout simplement : voilà l’idée qu’ils se font du modèle républicain.

Au fond, leur grande trouille vient de ce qu’ils n’ont pas de réponse à la question suivante : lequel, de Merah, de Médine [un rappeur radical du Havre] ou de Sy, préfigure les rapports que l’ensemble des Français adeptes de l’islam, religion prosélyte à vocation communautaire mondialiste, entretiendront avec la République laïque ? (...) Que l’étranger musulman devienne un compatriote, de plus en criant gare avec une ardeur grandissante, c’est une révolution culturelle. En l’occurrence, cultuelle aussi. Quelle angoisse à la perspective que ces Français puissent importer, surtout vouloir imposer à la "douce France" l’ensemble de ces moeurs, de ces modes de vie, de ces structures politico-religieuses qui font tant de désastres ailleurs ! La réislamisation ou l’islamisation se font toujours par le bas et répondent à un scénario immuable : les femmes, les enfants, les mosquées, les associations et les médias. Les Français redoutent qu’il soit à l’oeuvre." (...).

Des prêcheurs venus d’ailleurs

"On parle toujours de l’islam en général. De fait, cela n’a guère de sens. Nous avons tellement perdu de vue la religion que nous en oublions l’élémentaire : elle vaut ce que valent les ministres du culte. Jésus n’est pas tout à fait de la même espèce que Torquemada, ni Jean XXIII que Borgia ! L’islam n’échappe pas à la règle, il vaut ce que valent ses imams. (...) L’affaire aujourd’hui n’est pas tant de savoir s’il faut distinguer islam et islamisme, piège dans lequel nous nous enfermons tous. Cette vision dictée par une peur sourde et néfaste des musulmans repose sur l’idée saugrenue qu’il y aurait un bon islam et un mauvais islam. Comme le christianisme et le judaïsme, l’islam est ce que son clergé et ses fidèles en font. La question est donc plutôt la suivante - hélas, elle est rarement posée, trop réaliste sans doute, trop lourde de conséquences : les 2 052 imams exerçant en France enseignent-ils la lettre de leur religion, un islam cherchant toujours à établir coûte que coûte une société conforme à celle de l’époque et des préceptes de Mahomet ? Ou bien en enseignent-ils l’esprit, un islam inscrit dans un environnement culturel et civilisationnel, celui de la société française du XXIe siècle ? Pour l’instant, la réponse penche nettement du côté de la première option, avec tous les degrés possibles.

C’est une tromperie inacceptable de laisser croire que seuls les radicaux salafistes ou turcs sont dans ce cas. Très rares sont les responsables du culte musulman qui font l’effort de prendre en compte le contexte français. Ce n’est pas près de s’arranger. D’abord, presque tous les imams qui pratiquent en France sont étrangers. Sur 2 052, seulement entre 400 et 440 - soit 1 sur 5 - sont français. Ils parlent donc mal notre langue et ont souvent les plus grandes difficultés à faire un prêche en français. (...) Les prêcheurs ignorent d’ailleurs à peu près tout de la société française (...), de ses institutions et de son fonctionnement général, hormis celui de la Sécurité sociale. Notre modèle est incompréhensible pour eux. (...).

Tous ces prêcheurs ne cherchent nullement à combler leurs lacunes. A ce titre déjà, ils constituent un énorme obstacle à l’apaisement entre l’islam et la laïcité. Au lieu d’être les facilitateurs d’une harmonie, ils fabriquent plutôt un surplus de dissonance. Car ils importent aussi leur propre expérience de l’islam. Ils sont d’où ils sont nés. (...) Ils ont évolué dans des sociétés à majorité, si ce n’est entièrement, musulmane, où l’islam est religion d’Etat et la charia appliquée avec plus ou moins de rigueur. (...) Il est logique que, prenant en charge une salle de prière et des fidèles qui sont originaires du même endroit, l’imam cherche à perpétuer un monde clos et paranoïaque, plus encore s’ils sont tous sur la défensive, la société française manifestant une incontestable hostilité."

"Islam, l’épreuve française", d’Elisabeth Schemla (Plon, 272 p., 14,99 E)"

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