Revue de presse

X.-L. Salvador : "Quand le « genre » détermine les carrières universitaires" (lejdd.fr , 7 fév. 24)

(lejdd.fr , 7 fév. 24). Xavier-Laurent Salvador, agrégé de lettres modernes, maître de conférences, cofondateur de l’Observatoire du décolonialisme. 25 février 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Quand le « genre » détermine les carrières universitaires".

"Sandrine est une jeune chercheuse de l’Université. Elle entend candidater à une promotion pour la première fois de sa carrière. Elle doit soumettre son dossier à l’appréciation d’une commission : elle découvre alors avec sidération que les membres de ladite commission sont les collègues de l’unité de recherche concurrente de la sienne… Il faut comprendre que l’Université est un monde professionnel d’une rare complexité fondé entièrement sur le jugement inter pares (« entre pairs »), euphémisme latinisant qui recouvre l’horrible réalité de la rumeur et du qu’en-dira-t-on.

Imaginez une entreprise où la promotion, la récompense et le salaire dépendent de votre voisin de bureau, de votre concurrent du premier étage ou de vos excellents rapports avec le réceptionniste de l’entrée ? C’est pourtant exactement ainsi que fonctionne la carrière des enseignants-chercheurs. Les collègues, les voisins de bureau, les « gens de l’administration » émettent des avis sur la qualité pas seulement professionnelle, mais aussi humaine ou politique de tout candidat à la promotion ou l’avancement.

Pour un seul vainqueur, combien de personnes laminées par le procédé ?

Ce système est engagé à tous les niveaux imaginables de la consultation : à l’échelle, locale, d’un laboratoire ; à l’échelle moins locale de l’établissement voire enfin à l’échelle nationale. Cela concerne aussi bien la qualité de la recherche pour une prime, que la qualité de l’engagement pédagogique pour la carrière ou que la validation d’une demande de financement pour un projet de recherche : un voisin viendra émettre un avis à partir des pièces d’un dossier calibré téléchargé sur une plateforme. Le recrutement même des titulaires est un processus électoral auquel sont soumis de jeunes docteurs : au terme d’une présentation de leurs recherches, une commission de futurs collègues émet un avis sur leur personne. Un avis d’autant plus légitime qu’il est voté par une commission pouvant accueillir parfois plus d’une dizaine de personnes.

Évidemment, comme tout vote, il légitime le vainqueur. Mais pour un seul vainqueur, combien de personnes laminées par le procédé ? Cela touche parfois à l’absurde lorsque les établissements, cherchant tout de même à diminuer l’effet de rivalité lié aux concurrences internes propres à chaque discipline, « dépaysent » tous les dossiers de manière arbitraire : c’est ainsi que des chimistes se retrouvent, au sein de « conseils académiques » à évaluer des dossiers de psychologues et que les mêmes psychologues se retrouvent à évaluer les dossiers des physiciens.

Cette mise en situation d’incompétence absolue est pourtant bien le seul moyen de garantir l’absence de règlements de comptes directs autour d’une candidature où tel mandarin trouvera opportun de tuer symboliquement l’élève de son rival. Les dossiers de recherche, les dossiers pédagogiques, les dossiers de publications sont soumis à la lecture et à l’appréciation de collègues dont la fonction à ce moment-là est de donner leur avis. Oui : leur avis. Imaginez d’un côté la jouissance incroyable qui découle du pouvoir de donner son avis sur un collègue ! Et imaginez réciproquement l’endurance, la résistance nécessaire pour supporter de recevoir un jugement aussi frontal de la part de ce genre de commissions.

C’est un système cruel et violent comme le monde politique peut l’être

Ce système, qui peut paraître violent, est en réalité politique : profondément politique. Il découle naturellement de la position des chercheurs dans la société qui, pour des raisons évidentes d’autonomie vis-à-vis du pouvoir et de l’administration, doivent assurer de manière presque autarcique leur composition en garantissant que les recrutements et les évolutions de carrière sont bien le fruit d’une forme de mérite dont la notoriété, la reconnaissance par les pairs et la qualité des dossiers sont les seuls garants.

C’est un système cruel et violent comme le monde politique peut l’être dès lors qu’il s’agit d’entrer dans un système fondé sur la reconnaissance. La force de ce système est de constituer malgré tout encore un peu un verrou disciplinaire solide contre les dérives idéologiques des disciplines. Prenez l’exemple de Tariq Ramadan : il n’a jamais pu trouver de poste en France quand les Universités suisses et britanniques l’ont accueilli à bras ouverts. La raison principale de notre immunité est à trouver dans l’imbrication de ces différents verrous que l’on ne peut presque pas contourner.

Le prétexte fallacieux et biaisé de l’égalité

Au sommet de cette pyramide se trouve le Conseil national des universités (CNU). C’est une institution composée d’autant de sections qu’il y a de disciplines reconnues dans l’épistémologie universitaire et regroupant à chaque fois des chercheurs d’une même discipline. Il n’y a pas de section du CNU en « magie » parce que la magie n’est pas une science. Il y a une section « linguistique » parce que la linguistique est une « discipline ».

Autrefois – je vous parle d’un temps où Alain Bentolila et moi-même siégions – les membres étaient nommés par le ministre et les syndicats déléguaient quelques représentants. Puis la tendance s’est inversée : les syndicats règnent en maître dans la plupart des sections. La section 17 du CNU est la section qui regroupe les philosophes, car oui, la philosophie est une discipline académique. La prestigieuse section des académiciens du portique a adopté la semaine dernière une motion qui retient évidemment toute notre attention. Voilà ce qui y est dit :

« La section 17 du CNU rappelle son engagement en faveur de […] l’égalité de genre […] L’engagement de la section 17 du CNU passe par la reconnaissance des travaux et des collègues qui œuvrent à penser ces questions ; la section les encourage donc, que ce soit au travers de recherches que d’enseignements au sein des établissements d’exercice […] Nous invitons les candidat·e·s aux promotions, congés et primes à l’indiquer expressément dans leur dossier. »

Dans l’évaluation à l’échelle des enseignants-chercheurs se trouve la notion de genre

Autrement dit, aujourd’hui, dans l’évaluation à l’échelle nationale de la carrière des enseignants-chercheurs en philosophie, se trouve intégrée en écriture inclusive la promotion de la notion de genre. Sous le prétexte fallacieux et systématiquement biaisé de la lutte pour la promotion de l’égalité (entre hommes et femmes ? On n’ose le penser tant ces deux notions semblent écartées du spectre de la réflexion) voilà qu’on légitime avec un autoritarisme glaçant la reconnaissance officielle de la promotion des études de genre pour l’évaluation des « carrières, des promotions et des primes ».

Vous en faut-il vraiment plus pour saisir l’ampleur de la pénétration des idéologies identitaires au sein des institutions universitaires et de recherche ? Or derrière la question apparemment sans importance du destin des derniers philosophes en France : ne voyez-vous pas que se dessine l’enjeu essentiel de la formation des enseignants qui se fait dans les Universités ?"


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