Revue de presse

"Un féminicide, où ça  ?" (G. Biard, Charlie Hebdo, 27 sept. 23)

(G. Biard, Charlie Hebdo, 27 sept. 23). Gérard Biard, rédacteur en chef de "Charlie Hebdo" 27 septembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"Il est des évidences tellement énormes qu’on ne les remarque même pas. C’est ce qu’on appelle « l’éléphant dans la pièce ». Parfois, il s’agit carrément d’un mammouth. Ainsi, quelqu’un a-t-il jamais entendu l’une ou l’autre de nos grandes consciences progressistes autoproclamées prononcer le mot « fémi­nicide » s’agissant de l’assassinat de Mahsa Amini  ?

En cherchant dans les coins, il est apparu furtivement au détour d’une tribune ou de quelques tracts, mais jamais, en un an, ce mot né des luttes féministes mais aujourd’hui ­devenu quasi usuel – il arrive qu’on le croise jusque dans Le Figaro, c’est dire – n’a été utilisé comme le seul réellement légitime pour désigner ce crime. En effet, s’il est un cas où il revêt tout son sens – « meurtre d’une femme, d’une fille en raison de son sexe », dit le ­Robert –, c’est bien ici.

Aucune autre qualification possible

Comment qualifier autrement le lynchage, au fond d’un commissariat, de cette jeune étudiante arrêtée par la police des mœurs iranienne pour un voile mal ajusté  ? On peut même parler de féminicide d’État. Voire de féminicide systémique, pour employer un autre terme en vogue. Car l’apartheid sexuel instauré par le régime criminel des mollahs est bien un système politique et social qui cible les femmes et seulement les femmes, avec sa législation et ses nervis pour la faire respecter. Et on peut en dire autant de l’Afghanistan des talibans, des monarchies du Golfe et de tous les pays où règne l’obscurantisme religieux.

La semaine dernière, alors que l’Iran adoptait une loi durcissant les peines contre les pécheresses occidentalo-­sionistes qui osent sortir tête nue ou en portant des « vêtements inappropriés » – désormais, elles encourent de cinq à dix ans de prison… –, António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, prononçait un vibrant discours en faveur des droits des femmes dans le monde, déplorant qu’ils soient bafoués dans trop de pays. Il aurait pu parler, là aussi, de féminicides d’État.

Après tout, nous n’étions qu’au lendemain du premier anniversaire de la mort de Mahsa Amini. À la tribune des Nations unies, ça aurait eu de la gueule. Il ne l’a pas fait. Il a préféré renvoyer dos à dos de sanglantes dictatures religieuses comme l’Iran ou l’Afghanistan, qui persécutent et assassinent des femmes parce qu’elles sont des femmes, et la France laïque, qui estime que l’école publique n’est pas le lieu pour exprimer ostensiblement sa foi : « Dans certains pays, les femmes et les filles sont ­punies parce qu’elles portent trop de vêtements. Dans d’autres, parce qu’elles n’en portent pas ­assez. » Olivier Véran, Ali Khamenei, même combat…

Un refus délibéré

L’absence frappante de ce mot pourtant évident de « féminicide » dans les discours sur Mahsa Amini et sur le calvaire des femmes iraniennes – ou afghanes – pourrait bien ne pas relever de l’impensé, mais du refus délibéré. Refus de le prononcer pour ces cas précis, comme pour tous les crimes, innombrables, commis contre les femmes par des islamistes. On comprend pourquoi l’islam radical séduit tant de monde. Il vous met souvent à l’abri de toutes les accusations infamantes : miso­gyne, réac, raciste, obscurantiste, homophobe, fasciste, tortionnaire, assassin… Vous réclamer de la parole burnée du prophète fait de vous, par principe, un être de pure lumière aux yeux énamourés de celles et ceux qui ont décidé que, quoi que vous fassiez, vous avez une bonne raison pour le faire.

Faut-il en déduire que tous ces mots si nécessaires pour nommer une réalité, et que beaucoup ne se privent pas de faire gronder et résonner sans modération sur l’« agora » nombriliste des réseaux sociaux, ne sont pour certains que des enveloppes sans substance  ? Des ballons gonflés à la fatuité militante, politique ou journalistique que l’on lâche dans l’air du temps  ? On n’ose y croire."


Voir aussi dans la Revue de presse les dossiers Iran : manifestations contre le régime (2022...) dans la rubrique Iran : voile dans Iran,
Voile, signes religieux à l’école dans Atteintes à la laïcité à l’école publique dans la rubrique Ecole (note de la rédaction CLR).


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