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Suspension problématique de l’expulsion du « prédicateur » Hassan Iquioussen et indignation de certains oublieuse des faits (G. Chevrier)

par Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 11 août 2022

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Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé mardi 2 août, que le Maroc avait délivré un « laisser-passer consulaire » ouvrant la voie à l’expulsion du « prédicateur » Hassan Iquioussen, réputé proche des Frères musulmans, fiché « S », connu pour prêcher un islam rigoriste sur YouTube. Selon France info, « Certaines de ses vidéos préconisent de "ne pas suivre les lois de la République", remettant en question la réalité des attentats commis par Daech, affichant une sympathie pour Oussama Ben Laden, s’opposant à la laïcité » [1]. Dans un tweet, le ministre de l’Intérieur a fait valoir que cette expulsion était justifiée par le fait que « ce prédicateur tient depuis des années un discours haineux à l’encontre des valeurs de la France contraire à nos principes de laïcité et d’égalité entre les femmes et les hommes ». Des éléments recueillis par la préfecture du Nord dont l’AFP a eu connaissance, confirment des discours « haineux envers les valeurs de la République » ainsi que « des thèses antisémites ». Il avait déjà été accusé en 2004 de propos antisémites par le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France). On lui reproche aussi d’inciter « à une forme de séparatisme » et d’alimenter « des thèses complotistes autour de l’islamophobie ». Une expulsion rendue possible par la loi luttant contre le séparatisme d’août 2021.

Le mis en cause se défend, pour dire qu’il « conteste avec force » ce qu’on lui reproche. Son avocate, Me Simon, a affirmé, que « La menace à l’ordre public n’est pas caractérisée et en tout état de cause il y a des atteintes aux libertés fondamentales qui sont disproportionnées », se disant prête à aller « jusqu’au conseil d’État », et même de déposer une « question prioritaire de constitutionnalité » et de saisir « la Cour européenne des droits de l’Homme ». Depuis, cette dernière a rejeté la demande de suspension de l’expulsion de monsieur Iquioussen, mais le Tribunal administratif de Paris saisi en référé, en a décidé autrement, en accédant à la demande du prêcheur islamique sur le motif que cela constituerait « une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ». On s’interroge sur cet argument au regard de ceux avancés sur la dangerosité du prêcheur par le ministre, qui ne relèvent ni du même champ ni des mêmes enjeux de proportionnalité. Gérald Darmanin a annoncé faire appel devant le Conseil d’Etat.

On conforte ainsi indirectement certaines personnalités qui ont contesté cette expulsion. Le député du Nord David Guiraud, élu sous l’étiquette Nupes (LFI), pointe selon lui “des procédures douteuses ». Face aux arguments du ministre de l’Intérieur, il s’offusque, avançant que le prédicateur n’a « pourtant été poursuivi pour aucun crime ni aucun délit ». Pour lui, pas de doute : « Cette expulsion résulte du fait du prince » et d’« un discours sécuritaire et répressif ». Il y a même rajouté récemment, alors qu’il était accusé par Gérald Darmanin de défendre ainsi l’imam, que ce dernier avait « peur de lui ». On admirera la qualité de l’argument. De son côté, le journaliste militant et ex-candidat aux législatives, Taha Bouhafs, s’est fendu d’un tweet inscrivant sans surprise l’expulsion d’Hassan Iquioussen « dans un contexte plus large de répression, d’humiliation et de mise à l’index de la communauté musulmane »... Manuel Bompard, député LFI des Bouches-du-Rhône, estime lui, ne « pas être à l’arbitraire du ministre de l’Intérieur, de décider des propos qui sont acceptables ou pas ». Vu la nature des propos reprochés à Hassan Iquioussen, on peut s’étonner que ces élus de la République et/ou militants « de gauche », ne commencent pas par les dénoncer. Manuel Bompard d’en appeler à « revenir dans les principes de l’Etat de droit » et « à la justice ». Revenir à l’Etat de droit et protéger ses principes, sa sécurité ? Oui, effectivement ! En se protégeant sans doute de l’influence de ce genre de prédicateur. Face à ces réactions, comment ne pas être troublé ? On se remémore la participation controversée de la LFI à la marche pour dire « stop à l’islamophobie », organisée en novembre 2019 par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). Une organisation dissoute depuis, selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, du fait de « propagande islamiste ». Et aussi, cette forte tendance à la captation du vote musulman lors des dernières élections par la France insoumise via la Nupes, comme cela a été constaté, après que l’un des engagements déclarés de Jean-Luc Mélenchon s’il était Premier ministre, soit d’abroger la loi contre le séparatisme.

Les liaisons pour le moins dangereuses de monsieur Iquioussen

Certaines liaisons dangereuses de monsieur Iquioussen peuvent nous éclairer, pour mieux situer ce qui lui est reproché. En 2004, le journal l’Humanité révélait qu’il avait qualifié les juifs dans l’un de ses prêches d’"avares et usuriers" et d’être "le top de la trahison et de la félonie". Il s’affiche en 2011 et 2012 avec l’idéologue d’extrême droite Alain Soral, condamné depuis pour Contestation de crime contre l’humanité (l’existence de la Shoah). Dans une vidéo postée en décembre 2013, il déclare : "Alain Soral dit des choses très intéressantes, très intelligentes, pertinentes, et parfois, on peut très bien ne pas être d’accord avec lui." [2]

Mieux encore, le vendredi 24 mai 2019, à Saint-Denis, devait se tenir un dîner caritatif à vocation religieuse, en présence de Monsieur Iquioussen, conférencier et membre de l’Union des Organisations islamiques de France (UOIF, rebaptisée depuis « Musulmans de France »), de Mohamed Bajrafil, imam de la mosquée d’Ivry-sur-Seine, avec en visioconférence le Cheikh Dedew [3]. La chose étant censée se dérouler à Saint-Denis, à l’adresse de l’Institut européen des sciences humaines, un institut islamique derrière une présentation très lisse (lié à l’UOIF). Une initiative qui faisait appel aux dons, curieusement pour un Centre de formation des Oulémas en Mauritanie, fermé par le gouvernement de ce pays. Selon RFI : « Les autorités mauritaniennes soutiennent » qu’il enseigne « un islam radical tendant à inculquer dans l’esprit des étudiants des idéologies extrémistes. » [4]. Le Cheikh Dedew était l’un des principaux animateurs de ce Centre de formation des Oulémas. Ce dernier explique dans des vidéos postées sur YouTube, « qu’il faut suivre la voie du prophète (…) étape par étape (…) en étant patient » indiquant qu’il faut ainsi attendre d’être assez fort, en sachant « utiliser élections et médias » comme hier « la flèche et l’épée » en gagnant des fervents, pour s’attaquer « aux symboles de l’idolâtrie », faisant écho à la technique de la taqîya [5]. Le même a déclaré « lors d’une émission diffusée le 12 février sur Dorar TV (Soudan) que les juifs étaient les ennemis d’Allah et de l’économie et qu’ils utilisaient des moyens détournés pour piller les richesses d’autrui. Il a affirmé qu’ils étaient les créateurs des compagnies d’assurance, casinos, loteries et banques usuraires. S’agissant des chrétiens, il les a qualifiés d’arrogants et de hautains par nature. » [6]

Dans une vidéo publiée et traduite par le compte YouTube du @HavreDeSavoir, inscrite dans ce réseau islamique, le prédicateur déclare que Al-Qaradawi est le plus grand savant musulman de notre époque [7]. Un prédicateur islamiste connu pour ses prêches radicaux, vivant au Qatar, et recherché par Interpol. Il condamne la séparation de l’État de la religion. En janvier 2009, il déclare sur Al Jazeera "Tout au long de l’Histoire, Allah a imposé [aux juifs] des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le dernier châtiment a été administré par Hitler [...]. C’était un châtiment divin. Si Allah le veut, la prochaine fois, ce sera par la main des musulmans » [8]. Il défend l’usage de la violence d’un mari envers sa femme, comme la sourate IV du coran l’évoque (verset 34), la peine de mort pour les homosexuels, il banalise l’excision qui concerne, terrible exemple, 97 % des femmes égyptiennes.

La participation du Cheikh Dedew, qui tient des propos dont l’idéologie verse dans l’islamisme le plus dangereux, dont l’institution a été fermée pour cause de radicalisme, et explicitement s’inspire d’une figure les plus radicales dans ce domaine, s’exprimant par visioconférence en France, dans l’une de nos banlieues, ne semblait pas choquer du tout monsieur Iquioussen. Concernant l’autre participant à ce dîner caritatif, Mohamed Bajrafil, pas plus gêné que son collègue, a accordé à la rédaction de Zaman France un entretien vidéo exclusif en octobre 2015, dont le titre était tiré de ses propos « J’appelle à un retour au salafisme véritable » [9]. Le diner caritatif, face à une forte opposition, sera finalement annulé.

Selon l’essayiste Fiammetta Venner, « Musulmans de France » (ex-UOIF) a « une stratégie de conquête », qu’elle illustre par une déclaration des années 1990, d’Ahmed Jaballah, cofondateur de l’UOIF : « L’UOIF est une fusée à deux étages. Le premier étage est démocratique, le second mettra en orbite une société islamique » [10]. En mars 2012, Nicolas Sarkozy alors président de la République, a déclaré son intention de renforcer les mesures d’interdiction du territoire envers les imams extrémistes, consécutivement aux attentats de Toulouse, dont Al-Qaradawi a fait partie. Ceci, alors qu’il était invité à l’occasion du rassemblement annuel de l’ex-UOIF, proche des Frères musulmans, en 2012… On voit bien comment on cherche à déstabiliser les démocraties en en retournant les principes contre elles-mêmes, considérés comme leur point faible, pour tenter de les soumettre à la seule loi islamique.

Défendre la République et l’Etat de droit face au danger de l’islamisme

L’avocate d’Hassan Iquioussen indique que Le conseil de l’imam espère une audience « dans les prochains jours »... L’annonce de l’expulsion a déclenché une levée de boucliers d’une partie des mosquées proches des Frères musulmans. De nombreux soutiens de fidèles ont été aussi adressés au prédicateur qui a mis en place une adresse email à cet effet, pour « témoigner de l’humanisme de ses enseignements ». En commentaires, de nombreux messages s’indignent de la situation ou s’étonnent, voyant en lui un prêcheur plutôt « libéral »...

Au vu d’un certain nombre d’informations, on ne peut donc que s’inquiéter gravement de ces réactions de responsables politiques, et du caractère problématique de cette décision du Tribunal administratif de Paris, alors que ce genre de prédicateur radical bénéficie d’une audience considérable, et selon les informations données par le ministre de l’Intérieur, constituerait un danger pour notre République, et ainsi pour notre Etat de droit. A-t-on déjà oublié le danger bien réel qui se tient en embuscade dans l’ombre de l’intégrisme, avec sa cohorte d’attentats islamistes, de Charlie Hebdo à Samuel Paty ? Il est sans doute un enjeu majeur d’actualité que l’on passe à une prise de conscience aiguë de ce qui nous pend au nez, au regard d’une banalisation qui n’a que trop durée.

Guylain Chevrier



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