Revue de presse

"Sciences Po : du service de l’État à l’hystérie de la tribu" (J.-Y. Camus, Charlie Hebdo, 20 mars 24)

(J.-Y. Camus, Charlie Hebdo, 20 mars 24). Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite 24 mars 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Si la prestigieuse école aspirait historiquement à former des élites au service du pays, Sciences Po s’est peu à peu internationalisé, jusqu’à devenir un campus à l’américaine aux allures de tour de Babel.

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[...] Je suis entré dans cette maison à la fin des années 1970, lorsque la majorité d’entre nous l’avait encore choisie pour, précisément, satisfaire sa vocation du service public. D’autres condisciples se préparaient certes au monde de l’entreprise, à la recherche en sciences sociales, au journalisme, mais le service de l’État était notre choix. L’école était à taille humaine. Un directeur de grande classe, Michel Gentot, avait entrepris de la rendre accessible aux boursiers, et nul élève issu de la classe moyenne n’avait besoin de s’endetter ou de saigner à blanc sa famille pour terminer un cursus au coût modique. Le gigantisme, voire la démesure, qui a fait de Sciences Po un campus à l’américaine aux allures de tour de Babel, dont le prix est inversement proportionnel à la cohésion, a ouvert la maison à tous les vents, à toutes les modes intellectuelles.

Tribalisation progressive

Avec un niveau de conflictualité que je n’ai jamais connu. Des étudiants propalestiniens, il y en avait. Des étudiants juifs, aussi. Chacun militait pour sa cause, encore que notre souci premier ne fût pas l’agitation mais la réussite d’un examen très sélectif de la première à la dernière année. Qu’on ne me dise pas « oui, mais il y a Gaza » ! Il y eut le débat sur Camp David, l’opération israélienne au Liban sud, l’attentat de la rue Copernic, plus tard Sabra et Chatila et la guerre civile libanaise. ­Simplement, nous n’étions pas tribalisés : la vie de la France que nous voulions servir ne se décidait pas sur le Litani, pas davantage que la paix au Proche-Orient ne nous paraissait pouvoir dépendre de notre éventuelle réussite au concours du Quai d’Orsay.

L’antisémitisme existait. Il était alors principalement la conséquence d’un habitus social, celui d’une bourgeoisie d’État et d’affaires qui n’avait pas trop détesté Vichy. Il était aussi d’extrême droite, soit, à tout casser, une trentaine de militants, ce qui est loin de la foule mobilisée lors de l’incident du 12 mars. Et il était sanctionné par des jours d’exclusion sans que personne ne bronche. Des directeurs qui restaient en poste assez longtemps et qui avaient une colonne vertébrale y veillaient.

L’antisémitisme d’extrême gauche, en 2024, bénéficierait-il d’une indulgence que ne connurent pas les fafs de mon époque ? Peut-être. L’école a voulu s’ouvrir, en finir avec un certain entre-soi social, devenir un « campus-monde » adapté à la globalisation et remplissant plus qu’honorablement le coffre-fort de ce qui est devenu une entreprise. Elle a perdu sa boussole en faisant des droits des minorités actives le cœur de son fonctionnement, quand nous y étions venus pour apprendre comment on fait nation. Et on en est là."


Voir aussi dans la Revue de presse les dossiers Sciences Po Paris : guerre Hamas-Israël (2023-24) dans Sciences Po Paris dans Enseignement supérieur, Guerre Hamas-Israël (2023-24) dans Palestine dans Israël (note de la rédaction CLR).


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