Revue de presse

"Robespierre et La France insoumise : retour sur une récupération" (N. Bouzou, L’Express, 24 août 23)

(N. Bouzou, L’Express, 24 août 23). Nicolas Bouzou, économiste. 28 août 2023

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"Voilà que La France insoumise, jamais lasse de se tromper tout le temps sur tout, a tenté ces dernières semaines une réhabilitation de la figure de Robespierre. Le député de l’Essonne Antoine Léaument, proche de Jean-Luc Mélenchon, qui semble passer le plus clair de sa journée sur les réseaux sociaux, multiplie les tweets aux accents révolutionnaires, demandant une nouvelle nuit du 4 août ou le rétablissement du contrôle des prix – une mesure beaucoup plus liée à la Terreur qu’à l’esprit de 1789, très attaché à la liberté du commerce. Devant une foule compacte d’une trentaine de personnes, il a rendu hommage, le 28 juillet, à l’Incorruptible sur le parvis de la maison où il vécut, à Arras.

La figure de Maximilien Robespierre est complexe et ses idées ont évolué avec le temps. Mais saisissons ce débat pour rappeler les deux grandes thèses qui s’affrontent sur la Révolution française, thèses que l’historiographie récente permet de trancher. Pour la gauche, et LFI en particulier, 1789 a constitué une rupture dans notre histoire. Elle a fait passer la France d’un régime aristocratique à un régime républicain en installant l’opposition entre ces deux régimes comme constitutive de nos débats politiques. Ces débats, suscitant révoltes et nouvelles révolutions, ont émaillé notre histoire, en particulier au XIXe siècle. Pour Tocqueville, au contraire, l’aristocratie avait commencé à dépérir avant 1789, sous l’effet du processus séculaire, et non limité à la France, d’égalisation des conditions de vie. La Révolution, dans ce contexte, constitue un engrenage politique contingent davantage qu’une révolution sociale à proprement parler. Pas si révolutionnaire que cela, elle a même, selon la documentation accumulée par Tocqueville, accentué la centralisation administrative, une tradition bien française, héritée de l’absolutisme instauré par Louis XIV et son contrôleur général des finances Jean-Baptiste Colbert.

La Révolution n’a pas accéléré la mobilité sociale

Pour la gauche, la Révolution est à l’origine de la marche vers l’égalité. Pour Tocqueville, c’est l’égalité qui, dans le contexte institutionnel français, a mené à une révolution. Si le processus d’égalisation des conditions est brutal et postérieur à 1789, les thuriféraires de Robespierre ont raison et la Terreur peut être vue comme un mal nécessaire. Si, au contraire, le processus d’égalisation est antérieur à la Révolution, l’analyse tocquevillienne l’emporte et le soulèvement du peuple doit être considéré comme un fait politique et non économique ou social. Dans cette optique, aucun argument moral ne peut justifier, a posteriori, la Terreur.

L’historien Raphaël Doan a attiré mon attention cet été sur un papier publié dans le Journal of Social History (Social Mobility in France 1720-1986 : Effects of Wars, Revolution and Economic Change, Marco Van Leewen, Ineke Maas, Danièle Rébaudo, Jean-Pierre Pélissier, 2016) qui mobilise un appareil statistique important pour étudier quantitativement la relation entre les guerres et les révolutions d’une part, et la mobilité sociale d’autre part. Mesurer la mobilité sociale est une façon d’appréhender la question de l’égalisation des conditions – on parlerait aujourd’hui d’"opportunités" ou d’"égalité des chances" – présente chez Tocqueville. En comparant la différence de situation sociale entre les parents et leurs enfants, les auteurs montrent que la Révolution de 1789 n’a eu aucun impact. La mobilité sociale a augmenté aussi lentement après 1789 qu’avant. Les chiffres ne font apparaître aucun changement. Il faut attendre le milieu du XXe siècle et la période faste des Trente Glorieuses pour que l’égalité des chances progresse enfin de manière significative d’une génération à l’autre.

Croissance, éducation, liberté : le triptyque gagnant

Tocqueville avait donc vu juste, contrairement aux Insoumis. Avouons qu’il est difficile d’être surpris de ce résultat : l’auteur de L’Ancien Régime et la Révolution (1856) a toujours eu raison, à l’image de Raymond Aron, contre ceux qui, intellectuellement et moralement, indiquent le sud avec une remarquable opiniâtreté, en dépit de leurs diplômes de sociologie ou d’histoire. Il y a quelques leçons à en tirer pour aujourd’hui. La principale, c’est que l’ascension sociale a besoin, non pas de révoltes, de violences ou de guerres, mais de croissance économique, d’éducation et de liberté. Rien de nouveau sous le soleil, ni de bien… révolutionnaire. Mais un vrai et bon programme politique."


Voir aussi la Note de lecture P. McPhee - Robespierre, un bouc émissaire (A. Jourdan), dans la Revue de presse le dossier Robespierre dans Révolution française dans la rubrique Histoire (note du CLR).


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