Revue de presse

Riss : "Rions un peu avec le Guide suprême" (Charlie Hebdo, 12 oct. 22)

Riss, directeur de "Charlie Hebdo". 13 octobre 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"« Guide suprême » est le nom donné à celui qui est actuellement à la tête de l’Iran, un certain Ali Khamenei. « La plus haute et la plus puissante autorité du pays », lit-on, impressionné, dans les journaux. Ce vocabulaire usité pour qualifier un dirigeant semble tout droit sorti d’un conte moyenâgeux. D’autres avant lui furent affublés de titres honorifiques aussi débiles que ridicules. Mohammed VI est le Commandeur des croyants  ; Bourguiba était le Combattant suprême  ; Kadhafi, le Guide de la révolution  ; Fidel Castro, le Lider maximo  ; Mao Zedong, le Grand Timonier  ; Ceausescu, le Génie des Carpates ou le Danube de la pensée  ; et Staline, le Petit Père des peuples. Plus on s’éloigne de la démocratie, plus les surnoms des dirigeants deviennent prétentieux et mégalos.

Donc, les Iraniens sont gouvernés par un Guide suprême. Qu’est-ce qu’un guide suprême  ? C’est un type qui a passé sa vie dans les livres religieux, les prières et les bondieuseries, et qui estime que ça lui donne le droit de commander les autres. Pourtant, quand on prend le temps d’examiner ses petits yeux noirs, le visage d’Ali Khamenei respire davantage la perversion que la spiritualité. Au XIXe siècle, ­l’Europe s’est péniblement débarrassée de ses tyrans, et on ­souhaite aux Iraniens de réussir à faire la même chose avec cette vieille chouette fasciste déplumée. Comment peut-on supporter d’être dirigé par un tel individu  ? Je dis « individu » pour éviter de sombrer dans la grossièreté.

Car même avec des tyrans comme Khamenei, notre éducation nous retient de déverser des tombereaux d’insultes sur sa sale gueule de cureton malsain. Souvent, Charlie s’est fait injurier – encore récemment, il a été traité de « torchon » par une célèbre députée –, et on a parfois des scrupules à s’abaisser pour se mettre au même niveau que nos détracteurs. Cabu disait que la satire devait être créative et que, même si on voulait qualifier défavorablement un personnage, il fallait être inventif.

Comment interpréter cet appauvrissement de l’art de ­l’injure politique  ?

On en viendrait presque à admettre que c’était mieux avant, car il faut reconnaître que certains personnages historiques nous ont gratifiés de petits chefs-d’œuvre d’invectives politiques. Napoléon disait de Talleyrand qu’il était « de la merde dans un bas de soie », et Lyndon Johnson de Gerald Ford que c’était « un bon gars, mais [qu’]il [avait] trop joué au football sans casque ». À une députée travailliste qui lui reprochait d’être soûl, Churchill répondit : « Madame, vous êtes moche. Mais moi, demain, je ne serai plus soûl. »

Malheureusement, en politique, le goût pour la belle insulte se perd, et on doit se contenter d’expressions assez vulgaires et bas de gamme, comme « mange tes morts » ou « casse-toi, pauv’ con ». Comment interpréter cet appauvrissement de l’art de ­l’injure politique  ? Manque de culture littéraire et d’esprit de repartie  ? À vouloir être proche du peuple, les politiciens abaissent parfois le débat au niveau du café du commerce en s’invectivant avec des injures d’alcoolos avinés. Est-ce ainsi qu’ils imaginent le peuple, c’est-à-dire trop bête pour comprendre le second degré  ?

L’ironie disparaît des joutes politiques, alors qu’elle peut être une arme efficace. Quand, à Alger, de Gaulle prononça son fameux « Je vous ai compris », rétrospectivement, c’est hilarant. Peut-être la phrase la plus comique de toute l’histoire de France. Se foutre de la gueule d’autant de gens en direct, sans que ceux-ci ne s’en aperçoivent, c’est du grand art et la preuve qu’avec un peu d’ironie on peut tout dire en politique.

Les communicants dont se sont entourés les politiques leur ont bourré le crâne d’éléments de langage qui ont stérilisé le peu de créativité qu’ils avaient. Quelque chose s’est perdu qui faisait peut-être qu’on s’y intéressait davantage, car l’humour, en politique, même sous forme d’expressions cruelles, est une preuve de sincérité et d’authenticité. Précisément ce qui manque au débat et augmente probablement le désintérêt du public pour lui.

Il faudrait lancer un concours sur les réseaux sociaux : trouver la plus belle insulte pour désigner Ali Khamenei par un autre qualificatif que son prétentieux « Guide suprême ». Soyez inventif, surprenant et surtout sans pitié. Le premier qui se prend une fatwa a gagné."

Lire "Rions un peu avec le Guide suprême".



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