“Ne touchons pas à la loi de 1905” (21 av. 08) : intervention de Philippe Foussier

président du Comité Laïcité République 23 avril 2008

Intervention de Philippe Foussier, président du Comité Laïcité République,
lors de la réunion publique “Ne touchons pas à la loi de 1905”, organisée par le Grand Orient de France (GODF) avec les organisations de défense de la laïcité.

21 avril 2008, Hôtel du GODF, Paris.

Nous sommes ici réunis pour évoquer les menaces qui pèsent sur la Loi de 1905. Mais ceux qui plaident pour son « toilettage », au nom de l’adaptation à l’air du temps, veulent en réalité nous faire basculer dans les principes du concordat napoléonien qui date, lui, de 1802. Et ils seraient, eux les modernes et nous les archaïques ! Chacun sait qu’on peut très bien dénaturer totalement cette loi sans l’abroger ainsi qu’y travaillent des juristes de haut vol, et lever la distinction entre le cultuel et le culturel reviendrait à nier sinon la lettre au moins l’esprit de cette loi.

Le problème aujourd’hui n’est hélas pas limité à la seule loi de 1905. Voici un rapide et désolant panorama qui fait s’inscrire l’offensive contre la Loi de Séparation dans un climat général d’hostilité à la laïcité.

Le rapporteur du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, qui prépare la conférence dite Durban 2 en 2009, affirme que la laïcité est ancrée « dans une culture esclavagiste et colonialiste » [1]. Il y a 60 ans, en 1948, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen inspirait la Déclaration universelle des droits de l’homme entérinée par l’ONU. Aujourd’hui, ce sont l’Iran et le Pakistan, entre autres régimes, qui définissent les principes essentiels sur lesquels nous serions censés vivre. Cette affaire est le symptôme d’une évolution qui nous heurte, nous qui croyons à la République universelle, à ces principes formalisés en 1789 et qui voulaient que tous les hommes naissent libres et égaux en droit, quelle que soit leur origine, leur couleur ou leur culture.

En voici maintenant une illustration en France même. Qui témoigne que ce sont les principes qui sont en jeu et non la cosmétique des experts en « toilettage ». Au début du mois d’avril a été installé un « comité de réflexion sur le préambule de la Constitution » qui doit remettre son rapport en juin prochain. Savourons l’exposé des motifs : « Alors que le contexte global dans lequel évolue la société française a profondément changé depuis 1958, notre pays n’a guère actualisé la liste de ses valeurs fondamentales depuis cette date ». Avec des arguments pareils, on jette immédiatement aux orties la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la devise Liberté, Egalité, Fraternité et d’autres vieilleries, au motif que « la société a changé ». Il s’agit, dans cette affaire, d’introduire la notion de « diversité » dans le préambule de la Constitution [2]. Sous couvert de bonnes intentions, il s’agit bel et bien de remettre en cause l’égalité des citoyens sans distinction d’origine, d’ethnie ou de religion. Ainsi, la discrimination positive figurera bientôt dans notre Constitution alors que le pays qui l’a le plus expérimenté, les Etats-Unis d’Amérique, y renonce au motif qu’elle entraine beaucoup plus d’inconvénients que d’avancées. Elle enferme chacun dans un déterminisme biologique, dans une origine qu’il n’a pas choisie et elle est, par essence, réactionnaire car elle tourne l’homme vers son passé au lieu de le projeter vers l’avenir, elle nie sa liberté à se déterminer lui-même comme citoyen. Elle s’appuie sur le différentialisme, théorisé par le Grece dans les années 60. A l’occasion d’un projet de loi, nous avons eu les statistiques ethniques au Parlement il y a quelques mois, heureusement censurées par le Conseil constitutionnel [3] ; elles reviendront conformes dans peu de temps parce que conformes à nos –futurs- principes. Pourquoi s’attarder sur ce thème ? Parce que là aussi, il s’agit de mettre un terme à l’universalisme. Un universalisme qui ne peut se concevoir que parce qu’il est porté par les principes d’égalité et de laïcité. C’est le relativisme qui est désormais la valeur montante, qui nous renvoie vers le passé, qui exalte les différences et les exacerbe, et qui bien sûr nous éloigne du progrès.

Mais l’offensive contre la laïcité provient de plusieurs fronts.

Prenons l’Europe. En 2000, Jacques Chirac et Lionel Jospin avaient tenu bon pour empêcher que le préambule du projet de Constitution européenne n’invoque les « racines chrétiennes » [4]. Mais le mini-Traité adopté par le Parlement il y a quelques semaines contient des dispositions clairement contradictoires avec les principes laïques, et les articles les plus contraires à la laïcité ont été recyclés dans la nouvelle version. Autre exemple : au Conseil de l’Europe, en 2007, l’ancien ministre Guy Lengagne a dénoncé l’offensive créationniste contre la théorie de l’évolution des espèces et le darwinisme, lancée par les musulmans et relayée par les chrétiens, qui veulent tous nous ramener en des temps ou l’on condamnait les scientifiques parce que leurs démonstrations ne correspondaient pas aux dogmes religieux [5]. Les exemples sont innombrables de cette emprise, de cette volonté de nous faire plier, pour que s’impose une seule manière de voir : celle d’une vérité révélée à laquelle il faudrait se soumettre.

On ne peut bientôt plus rire de la religion ! Des responsables de journaux se retrouvent ainsi devant les tribunaux parce qu’ils ont osé « blasphémer » ! [6] Des écoles, des collèges sont devenus des territoires dans lesquels la religion impose ses règles : le rapport Obin, du nom de l’inspecteur de l’Education nationale qui en est l’auteur, témoigne de l’ampleur du problème. Le Comité Laïcité République a soutenu en 2004 avec conviction la loi proscrivant les signes religieux à l’école [7]. Mais elle n’aborde qu’un maigre aspect du problème. Contenus des cours de français, d’histoire ou de sciences contestés, activités physiques refusées, places distinctes à la cantine selon l’origine religieuse [8], robinets d’eau séparés selon les confessions… Quand ce ne sont pas les enfants qui sont pris en otage d’une manipulation religieuse, ce sont les parents eux-mêmes qui tentent de faire rentrer leurs préceptes à l’intérieur de l’école publique.

Et début avril, un amendement à un projet de loi a été adopté sur l’insistance du gouvernement pour prévoir – de manière législative - « l’organisation d’enseignements par regroupements des élèves en fonction de leur sexe » [9]. Le compte rendu des débats et les arguments opposés avancés par la ministre Nadine Morano et la sénatrice Bariza Khiari sont éloquents. Il y avait déjà les piscines réservées aux femmes, nous aurons maintenant les cours séparés dès l’école !

Observons aussi comment les églises font pression pour imposer leur dogme sur le statut de l’embryon, dans le débat sur la fin de vie, cette vie que seul Dieu peut reprendre, selon leurs affirmations, et qui fait fi de la liberté de l’homme à choisir les conditions de sa mort, lorsque tel est son choix [10]. Lors de son voyage aux Etats-Unis il y a quelques jours, le pape Benoît XVI a été très insistant pour demander la « liberté religieuse » [11]. On croit rêver ! On ne cesse de nous imposer ce retour permanent des religions dans la société, dans le débat public. Nous demandons, nous laïques, la liberté : celle de ne pas croire -ou de croire.

Les combats de l’humanisme de la Renaissance puis des Lumières pour desserrer l’emprise des religions sur les sociétés n’ont donc servi à rien ? N’avons-nous rien appris, rien retenu ?

Le grand historien Claude Nicolet, qui fut le premier président du Comité Laïcité République, écrivait ceci : « La laïcité ne nous a pas été donnée comme une révélation. Elle n’est sortie de la tête d’aucun prophète ; elle ne s’est exprimée dans aucun catéchisme. Aucun texte sacré n’en contient les secrets, elle n’en a pas. Elle se cherche, s’exprime, se discute, s’exerce en pleine lumière et, s’il faut, se corrige et se repent ». Voilà pourquoi nous sommes si attachés à ce principe. Nous ne voulons empêcher quiconque de croire, nous respectons les croyants et les pratiquants – nous en comptons dans nos rangs – mais il n’est plus possible de laisser cette offensive cléricale généralisée nous menacer. Et, nous voyons bien sur quel terrain veulent nous entraîner ceux qui nous parlent de laïcité « positive », comme s’il y en avait une « négative » dont nous serions –évidemment – les représentants. Mais nous savons aussi que le président de la République n’avancerait pas aussi loin si, dans l’autre camp, on ne lui avait pas facilité la tâche depuis 20 ans avec la laïcité « ouverte » – comme si la laïcité pouvait être « fermée ». Nous ne sommes pas dupes vis-à-vis de ceux qui se refont une virginité laïque à peu de frais depuis les discours de Latran et de Riyad.

Pour nous qui n’avons pas varié, nous savons que tout est lié. La laïcité, l’égalité, l’émancipation par l’instruction, par le progrès social, tout cela va ensemble pour nous assurer notre condition d’hommes et de femmes libres, c’est-à-dire de citoyens. Les Lumières, les principes des Droits de l’homme de 1789, ceux de la République de 1792, le combat pour l’école publique dans les années 1880, la Loi de Séparation : c’est tout cela qui doit sans cesse nous inspirer. C’est tout cela que nous ne nous devons pas nous lasser d’expliquer, d’enseigner, de dire aux plus jeunes. Car, sinon, l’obscurantisme et le cléricalisme seront immanquablement au rendez vous.

[2Lire dans notre revue de presse “Discrimination positive” (note du CLR).

[3Lire dans notre revue de presse Statistiques ethniques (note du CLR).

[10Lire le communiqué du CLR Droit de mourir dans la dignité : un droit inaliénable pour tout être humain (15 oct. 04), voir dans notre revue de presse Fin de vie (note du CLR).



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