Revue de presse

"Les noces des milliardaires et de l’Académie française" (L’Express, 4 août 22)

7 août 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Pour financer leur habit vert et leur épée, les Immortels ont besoin de sponsors. Parmi les mécènes habituels, les plus grandes fortunes de France.

Par Étienne Girard

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On rêverait tous d’avoir un admirateur comme Nicolas Bazire. Le directeur du développement de LVMH est un inconditionnel de l’oeuvre de Daniel Rondeau. En 2006, à la sortie des Vignes de Berlin (Grasset), récit autobiographique où l’écrivain raconte notamment ses vacations d’adolescent à la maison de champagne Moët - le M de LVMH -, ce proche de Bernard Arnault fait donner un dîner pour ses éditeurs. On n’y sert que des vins de 1961 et de 1962, deux excellents millésimes. Quand le romancier est élu à l’Académie française, en 2019, le financier a l’accord du grand patron pour un cadeau plus magnifique encore. Givenchy, maison de couture de la multinationale, confectionnera son habit vert, Sidney Toledano, PDG de LVMH Fashion Group, supervisera la fabrication. Quelque 1 600 heures de travail, gratis. Dans l’entourage de l’homme le plus riche de France, habiller un Immortel n’a pas de prix.

Sans doute n’existe-t-il pas une coutume plus académique que celle du port de l’habit vert. [...]

La famille Wertheimer, propriétaire de la marque Chanel, a fabriqué l’uniforme porté par la romancière Chantal Thomas lors de son discours de réception, le 16 juin 2022. Une page entière du dossier de presse transmis aux journalistes est consacrée à la tenue. "Taillée dans du crêpe de laine noir et bordée de rameaux d’olivier vert et or au col, aux bas de manches et sur le devant, la veste à la ligne épurée associe des manches montées, un col officier et une discrète fermeture zippée", apprend-on à propos de ce vêtement qui a nécessité trois essayages et 760 heures de travail. En mars 2010, Simone Veil avait déjà opté pour Chanel à son entrée sous la Coupole. "1 490 heures de couture", annonçait à l’époque la marque sur son site internet. Karl Lagerfeld s’était chargé des dessins.

"Tu n’aurais pas envie un jour de porter un beau costume comme ça ?" demande Louis de Funès alias le critique gastronomique Charles Duchemin, tout juste élu à l’Académie française, à son fils joué par Coluche, à la fin de la comédie L’Aile ou la Cuisse. Dans son dos, un tailleur ajuste sa tenue aux somptueuses broderies vert doré. La fiction a révélé l’imaginaire collectif. L’habit aux rameaux d’olivier symbolise la réussite des académiciens, l’accessoire qui les sépare de la banalité des mortels. Les géants du luxe ont naturellement plaisir à s’associer au succès, constate Marc Lambron, fauteuil 38 : "A l’étranger, ces grandes maisons représentent l’excellence française. Elles incluent l’Académie française dans cette excellence et construisent ces pièces comme des chefs-d’oeuvre." L’écrivain a lui-même confié son costume à Berluti, une autre marque de LVMH, qui l’a récemment sollicité afin qu’il prête son habit pour une exposition en octobre. Retour sur investissement indirect, mais réel. Même les Italiens d’Armani débarquent sur le marché. Ils ont dessiné les tenues de l’écrivain Andreï Makine et du diplomate transalpin Maurizio Serra. "Giorgio Armani m’a même envoyé la maquette !" raconte l’ex-ambassadeur, qui n’a pourtant jamais rencontré le couturier. Le pouvoir de fascination du Quai Conti dépasse les frontières.

"A Oxford, à Cambridge, et plus généralement en Angleterre, j’ai admiré une société qui sait encore faire sa place au rituel. L’Académie est, en France, un des derniers lieux où il subsiste", saluait Claude Lévi-Strauss dans De près et de loin (Odile Jacob), en 1988. Parmi ces rites immuables, la tenue occupe une place indépassable. L’arrêté consulaire 23 floréal an IX, c’est-à-dire du 13 mai 1801, signé Napoléon Bonaparte, institue l’habit vert et le définit assez précisément : "Gilet ou veste, costume ou pantalon noirs, brodés en plein d’une branche d’olivier vert foncé." Une référence probable à la Grèce antique, où l’on attribuait à l’olivier des propriétés divines - Athéna en avait fait, déjà, l’objet ouvrant l’immortalité à la civilisation hellène. Le texte prévoit aussi le port d’un "chapeau à la française", comprendre un bicorne, tombé en désuétude. Preuve que les usages de la "Française" dépendent moins de règles strictes que du charme qu’ils exercent.

[...] L’habit vert apparaît comme un accessoire obligatoire... et coûteux.

Comptez 35 000 euros environ pour un costume de haute couture, indiquent plusieurs Immortels. Cela fait cher le vêtement que certains ne porteront qu’une fois. [...]

Le plus souvent, le nouvel élu moyennement prévoyant se retrouve donc avec une ardoise embarrassante à régler avant même son entrée sous la Coupole. "Les premiers jours, c’est un peu la panique", témoigne Dominique Bona, fauteuil 33. La biographe a fait confectionner sa tenue par Chanel, sans qu’il s’agisse d’un cadeau, précise-t-elle. Pas plus que les autres académiciens, l’écrivaine n’a payé de sa poche. Chaque Immortel crée un "comité de l’épée", le plus souvent organisé par son éditeur. Sous cette appellation mystérieuse se cache le regroupement des amis de l’élu, afin de financer les frais occasionnés par son entrée sous la Coupole, qui peuvent monter jusqu’à 100 000 euros. [...]

L’épée, c’est la "coquetterie" absolue, dit Gabriel de Broglie, fauteuil 11. Aucun texte ne l’impose, mais la pratique s’est généralisée depuis l’époque napoléonienne où tous les fonctionnaires la portaient. Hélène Carrère d’Encausse ne partage pas l’analyse de Chantal Thomas, qui a choisi un éventail en regrettant "l’esprit militaire" de l’épée. "Je crois qu’elle a commis une erreur, ce n’est pas une arme de guerre mais le symbole des gentilshommes", rectifie le secrétaire perpétuel, qui fut la première femme à décider de porter l’accessoire, en 1989. [...]"

Lire "Arnault, Pinault, Wertheimer... Les noces des milliardaires et de l’Académie française".


Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier L’Express "Les secrets de l’Académie française" (juil.-août 22) (note du CLR).


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