Revue de presse / Tribune

"L’extension de l’idéologie #MeToo menace l’édifice démocratique" (collectif, Marianne , 10 déc. 21)

12 décembre 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"Le 15 novembre paraissait dans le Monde une tribune appelant à « écarter les auteurs de violences sexistes et sexuelles » de la vie politique. Ses signataires entendaient peser sur l’élection présidentielle afin que soit mis en œuvre un programme qui peut se résumer en ces termes : « détruire le socle patriarcal » (expression d’une philosophe militante) sur lequel reposerait la société tout entière. La séquence médiatique qui a suivi autour de Nicolas Hulot a démontré ce que signifiait le projet formulé dans cette tribune : tout mis en cause est a priori rangé dans la case « auteur » de violences ; et cette présomption de culpabilité s’étend à son entourage, supposé complice d’un « système » de « prédation ». Ainsi Matthieu Orphelin, sorte de « cas contact » définitif a-t-il été écarté de ses fonctions de porte-parole de la campagne de Yannick Jadot : logique de purge.

Cet épisode s’inscrit dans le sillage de l’offensive #MeTooMedias et de son lot de « témoignages glaçants », grâce auxquels l’émotion gagne l’opinion publique. Tout cela à grand renfort de chiffres lancés pour jeter le discrédit sur l’institution judiciaire, mais dont la fiabilité et le mode de production ne sont jamais examinés.

Cette nouvelle offensive #MeToo appelle quelques remarques, que nous souhaitons soumettre à la réflexion de tous. Parce que l’extension illimitée et tous azimuts de l’idéologie #MeToo, à travers la guerre emblématique menée à l’institution judiciaire et aux principes fondamentaux de l’État de droit, menace l’édifice démocratique.

Une lutte conséquente contre les délits et crimes sexuels, dont s’ensuivent tant de tragédies personnelles, de même que le combat jamais achevé contre le sexisme requièrent un soin extrême apporté à la distinction des atteintes alléguées et/ou subies. Or évoquer pêle-mêle les « violences sexistes et sexuelles » selon une logique de mutualisation d’atteintes de natures différentes, rend cela impossible. Les femmes n’ont rien à gagner à la destruction des ­distinctions que le droit établit en ces matières, supplantées par le postulat du « continuum des violences sexistes et sexuelles ».

La thèse du « continuum » permet de remplacer les principes du droit – qualification précise des actes allégués, présomption d’innocence, droit à un procès équitable, etc. – par deux items censés assurer une nouvelle justice « féministe » : le ressenti « traumatique » d’un côté, la nécessaire intention prédatrice de tout mis en cause de l’autre, ces deux éléments formant preuve. Mais il s’agit d’un raisonnement circulaire, non d’une preuve.

Arguer de dysfonctionnements judiciaires en effet insupportables pour mettre à bas les garanties qu’offrent à tout justiciable les règles de la procédure pénale, et la sérénité propre au débat judiciaire, substituer à la justice des dispositifs médiatiques non soumis à ces règles, c’est un coup de force de nature politique, revendiqué : « La justice nous ignore, on ignore la justice » (Adèle Haenel). La certitude militante que les institutions, au premier rang desquelles la justice, sont une expression de ce « socle patriarcal » à pulvériser anime cette tentation : ainsi la présomption d’innocence est-elle vue comme ce qui vise à « faire taire les victimes » (autodésignées).

En lieu et place des concepts juridiques, de l’effort de précision et de réflexion rationnelle sur un sujet essentiel – les atteintes faites aux femmes, et, à travers elles, à la société tout entière –, un lexique militant envahit l’espace public, infiltrant la quasi-totalité des discours tenus sur ces sujets. Cela jusqu’au sein des institutions – et dans les sphères intellectuelles et culturelles. Il est fait de quelques termes récurrents, un code militant servant à diffuser les idées-force de l’entreprise #MeToo : « prédateur », « féminicide », « victime », « violence systémique », « patriarcat », « traumatisme », « emprise », « sidération », pour en citer quelques-uns.

Ce ­vocabulaire automatique vide les mots et les notions de leur substance sémantique complexe pour les formater au sens que véhicule le projet de « révolution culturelle » porté par #MeToo. Ainsi « féminicide » insuffle l’idée d’une intention génocidaire visant le sexe féminin. Ou bien « emprise », dont l’usage pseudoscientifique ramène à une scène simpliste entre un « bourreau » et une « victime » subjectivement inerte, un type de relation redoutablement complexe, qui existe quelquefois ; mais aussi des situations qui n’ont rien à voir avec ce phénomène, telles que le lien de subordination hiérarchique. Au prisme de l’« emprise », un tel rapport entraînerait nécessairement une absolue soumission – des femmes particulièrement. Vision bien peu féministe de leur autonomie subjective.

Tout ceci doit nous alerter sur les enjeux et l’agenda d’un projet qu’on pourrait qualifier de métapolitique, en un sens issu de la pensée de Gramsci : une stratégie d’action efficiente dans le champ idéologique et culturel – médias, élites intellectuelles, institutions – avant la prise du pouvoir politique. C’est ce que nous voyons à grande vitesse se produire sous nos yeux, #MeToo en chef de guerre.

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Signataires : Martine Bacherich (psychanalyste), Alain Badiou (philosophe), Richard Benatouil (universitaire), Isabelle Bernhard-Lemarchand (professeur agrégé), Peter Bernhard (universitaire), Solange Bied-Charreton (journaliste et écrivain), Daniel Borrillo (juriste et universitaire, professeur de droit privé), Éric Brion (expert media), Pascal Bruckner (écrivain), Michèle Bucci (médecin), Anne-Laure Buffet (thérapeute), Marie Burguburu (avocate), Bertrand Burman (avocat), Belinda Cannone (écrivain), Régis de Castelnau (avocat), Philippe Caubère (comédien), Franck Charles (universitaire), Fanny Colin (avocate), Guy Dana (psychiatre et psychanalyste), Jean-Michel Delacomptée (écrivain), Laure Devallois (productrice), Albert Doja (universitaire), Marie Estripeaut-Bourjac (universitaire), Isabel Floch (psychanalyste), Philippe Foussier (journaliste et ancien grand maître du Grand Orient de France), Renée Fregosi (philosophe), Marcel Gauchet (philosophe et historien), Jacques A. Gilbert (universitaire), Christine Goémé (femme de radio), Alexandre Grandazzi (universitaire), Myriam Harleaux (psychologue clinicienne), Hubert Heckmann (universitaire), Nathalie Heinich (sociologue), Marieme Hélie Lucas (sociologue), Jacques Henric (écrivain), Patrick Kessel (journaliste et essayiste), Catherine Kintzler (philosophe), Rhadija Lamrani-Tissot (psychanalyste et linguiste), Brigitte Lahaie (animatrice radio), Eva Landa (psychanalyste), Fabio Landa (psychanalyste), Rachel Laurent (artiste), Anne-Marie Le Pourhiet (universitaire et professeur de droit public), Élisabeth Lévy (journaliste), Antoine Manologlou (chargé de production), Céline Masson (universitaire et psychanalyste), Odile Mignot (avocate), Catherine Millet (écrivain), David di Nota (écrivain), Sophie Obadia (avocate), Laurent Olivier (conservateur et essayiste), Éric Poindron (éditeur et écrivain), Sabine Prokhoris (philosophe et psychanalyste), Florence Rault (avocate), François Rastier (linguiste), François Regnault (universitaire), Jean-François Révah (psychosociologue), Clélia Richard (avocate), Thierry Roisin (metteur en scène), Peggy Sastre (journaliste et essayiste), Thierry Savatier (historien d’art), Dominique Schnapper (membre honoraire du Conseil constitutionnel), Jean-Éric Schoettl (conseiller d’État et ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel), Antoine Spire (président du PEN club français), Jean Slazmowicz (linguiste et universitaire), Isabelle Vodoz (universitaire), Caroline Wasserman (avocate)."

Lire "Tribune collective : "L’extension de l’idéologie #MeToo menace l’édifice démocratique"".


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Féminisme dans Femmes-hommes (note du CLR).


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