Revue de presse

L. Bouvet : "Accorder une place à l’Eglise catholique pour déboucher sur l’islam de France : le pari risqué de Macron" (lefigaro.fr/vox , 11 av. 18)

Laurent Bouvet, universitaire, cofondateur du Printemps républicain, auteur de "La gauche Zombie" (Lemieux) et "L’insécurité culturelle" (Fayard). 11 avril 2018

"FIGAROVOX.- Le discours de Macron aux Bernardins a été vivement critiqué par une partie de la gauche, qui l’accuse d’atteinte à la laïcité. Mais n’est-ce pas son rôle d’entretenir un dialogue avec les représentants des cultes ?

Laurent BOUVET.- S’il est tout à fait normal que le président de la République dialogue avec des représentants des cultes, le cadre (la conférence des évêques de France) comme le contenu du discours (une adresse très empreinte de références religieuses destinée expressément aux catholiques) tenu lundi soir le sont moins pour le chef d’un État laïque. Ce discours s’écarte en effet brutalement de ce qu’un président de la République a coutume de dire sur le sujet, même à des responsables religieux. L’empathie qu’il a manifestée pour son auditoire catholique - tenant à apparaître à plusieurs reprises comme l’un des leurs, ou du moins inspiré par une culture profondément catholique - et l’appel qu’il a lancé à l’investissement politique des croyants ne sont pas conformes sinon à la lettre du moins à l’esprit de la loi de 1905, notamment de son article 2, celui qui établit la séparation de l’Église et de l’État.

La gauche ne se scandalise pas lorsque le président de la République, accompagné du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, se rend à un dîner de rupture du jeûne du ramadan ou au dîner communautaire du Crif. Plus grave, elle est dans le déni concernant la question de la montée de l’islamisme en France...

C’est là en effet l’une des ambiguïtés d’une partie de la gauche, qui se souvient soudain qu’elle est historiquement porteuse de la laïcité lorsque c’est l’Église catholique qui est en cause. Elle défend aujourd’hui à hauts cris ce principe fondamental du pacte républicain contre Emmanuel Macron alors qu’elle critique vigoureusement les défenseurs de la laïcité - qu’elle n’hésite pas à traiter de « laïcards » en reprenant même sans sourciller le mot de Maurras à leur encontre ! - le reste du temps. Spécialement lorsque ceux-ci se battent contre le débordement dans la sphère politique de l’islamisme.

Ce deux poids deux mesures, perceptible aussi dans l’antisionisme militant affiché désormais quotidiennement de ce côté-là de l’échiquier politique, est insupportable. Il nuit d’ailleurs à la crédibilité d’ensemble de la gauche. Nos concitoyens très majoritairement attachés à la laïcité ne comprennent pas cette complaisance à l’égard de l’islamisme ou a minima ce refus de condamner un discours d’inspiration religieuse, réactionnaire et menaçant pour nos droits et libertés. Il faudrait d’ailleurs pouvoir mesurer précisément le coût électoral d’une telle dérive, mais je formule l’hypothèse qu’il doit être assez lourd.

Sur le fond, qu’avez-vous pensé du discours ? Le président était-il à la hauteur des enjeux actuels ? Et y a-t-il une part d’opportunisme dans cette démarche ?

Ce discours est très important, et il peut, doit même, malgré le désaccord qu’on peut avoir sur le fond avec celui-ci, être lu, compris et critiqué à l’aune du haut niveau de réflexion politique auquel le président a voulu d’emblée se situer. C’est d’ailleurs pourquoi il ne peut pas être uniquement lu, par exemple, ni comme la révélation soudaine de la culture chrétienne du président de la République, ni comme une simple opération de « câlinothérapie » politique à destination d’un électorat catholique qui serait choqué par le durcissement de la politique de l’immigration.

Ce discours doit plutôt être replacé dans le cadre d’une réflexion plus large qu’a annoncée le président de la République sur deux grands sujets au moins.

Le premier tient à la relation de l’État avec les cultes : il s’agit du projet d’intégration du culte musulman dans le cadre républicain. En d’autres termes, il souhaite la mise en place d’un islam de France qui marche, si j’ose dire, contrairement aux tentatives précédentes qui ont échoué, notamment celle du CFCM (conseil français du culte musulman). Or pour réussir un tel projet, le chef de l’État a besoin de modifier l’ensemble de l’équilibre laïque, notamment en matière de financement du culte musulman, celui-ci étant aujourd’hui très dépendant de l’étranger. Ce qui induit un accord voire une association avec l’ensemble des cultes compte tenu des modifications nécessaires des équilibres actuels. C’est notamment pourquoi le président de la République s’est montré très attentif aux représentants des cultes depuis son accession au pouvoir, et donc qu’il a poussé très loin l’offre politique faite aux catholiques dans son discours de lundi soir.

Le second grand sujet qui était en toile de fond du discours tient à l’ambition réformatrice annoncée en matière bioéthique (PMA, GPA, fin de vie…). Et là aussi, de la même manière, le chef de l’État tient à s’appuyer sur les représentants des cultes pour s’assurer de la meilleure réception possible des réformes qu’il envisage. Il veut à tout prix éviter le traumatisme national du débat sur le mariage pour tous en 2013. L’Église catholique étant en la matière la pièce maîtresse, puisqu’elle seule dispose d’un réel pouvoir de mobilisation contre ces réformes. L’associer en amont aux discussions, et plus encore assurer les catholiques de toute son attention et sa considération, voilà qui apparaît clairement comme la stratégie privilégiée par Emmanuel Macron.

Ce pari est-il réaliste ? Et en particulier, est-ce que la Conférence des évêques de France (CEF) à laquelle s’est adressé Emmanuel Macron est vraiment représentative des catholiques aujourd’hui ?

Il faut en effet se demander si le pas de côté considérable qu’il a délibérément fait par rapport à la laïcité avec ce discours en vaut la chandelle. Or je ne crois pas. Et je dirais même que le président a rouvert la boîte de Pandore, celle de l’investissement de la religion dans l’espace du politique, alors qu’il a fallu bien du temps, des efforts et des affrontements pour la fermer. Pour résumer ma critique, il me semble qu’Emmanuel Macron commet une erreur fondamentale d’interprétation de ce qu’est aujourd’hui le catholicisme politique, et que cela devient une faute au regard des conséquences qui peuvent en découler sur l’équilibre laïque (imparfait sans doute mais solide) qui existait jusqu’ici.

La culture politique du président de la République, celle qui vient via son milieu d’origine et son compagnonnage avec la revue Esprit et avec Paul Ricoeur en particulier, de cette « gauche du Christ » pour reprendre le titre du livre de Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel, forgée dans l’après-Vatican II et les années 1970, intégrée à l’histoire victorieuse de la conquête du pouvoir à travers la « deuxième gauche », autour des figures de Michel Rocard et Jacques Delors notamment, le conduit à une compréhension particulière du catholicisme politique qui ne correspond pas nécessairement à son évolution récente. Ce sont en effet les segments les plus conservateurs du catholicisme qui forment aujourd’hui sa réalité politique - assez loin sans doute du centre de gravité de la CEF, pour répondre à votre question. Le sens de l’épisode de l’opposition au mariage pour tous l’a mis en évidence et l’a en grande partie constituée dans sa forme actuelle. Et si bien des catholiques restent empreints d’un esprit humanitaire à l’égard des migrants notamment, on retrouve tout de même les gros bataillons du vote catholique d’aujourd’hui (celui qu’ont mis en évidence récemment Jérôme Fourquet et Hervé Le Bras) au sein de la droite dite « des valeurs » (opposés au mariage pour tous et aux évolutions des lois sur la bioéthique) voire de la droite « identitaire » encline à un « choc des civilisations » contre les musulmans. Il n’est donc pas du tout certain que l’appel du président à l’investissement politique des catholiques contre les vulnérabilités, thème de la soirée aux Bernardins lundi, puisse inverser ce fait sociologique et électoral majeur.

Ce type de discours ne trahit-il pas une vision communautariste de la société de la part du président de la République ? Par ailleurs, on peut supposer qu’il sera désormais tenté de s’adresser de la même manière à d’autres cultes. Cela ouvre-t-il la porte à une politique d’accommodements raisonnables ?

Cette erreur devient une faute lorsqu’en s’adressant ainsi aux catholiques en tant que croyants et non comme citoyens, en les encourageant à investir le champ politique, le président de la République adresse un signal aux croyants de tous les cultes, en laissant délibérément de côté tous ceux qui ne croient pas ou ne placent pas leur croyance au premier rang des motivations de leur engagement social et politique. Il joue là, pour le dire autrement, le jeu, dangereux, d’une conception identitaire de la foi dans l’espace commun où les identités particulières devraient précisément être secondes derrière la citoyenneté. C’est là, me semble-t-il, le plus grave et le plus lourd de sens dans le discours tenu par le chef de l’État. C’est pourquoi je posais la question plus haut du rapport coût-bénéfice d’une telle déviation par rapport à la droite « raison laïque » si l’on peut dire, c’est-à-dire à l’idée que les Français sont d’abord des citoyens avant d’être, identitairement, ceci ou cela, et notamment des croyants de tel ou tel culte.

Le risque est grand en effet que ce pas de côté du président par rapport au fragile équilibre laïque d’un pays soumis à des chocs terribles ces dernières années ne conduise à une déstabilisation durable plutôt qu’au succès des grands projets présidentiels, notamment concernant l’islam de France. On peut gager en effet qu’à l’image des catholiques les plus engagés, dont il était question ci-dessus, les musulmans les plus enclins à faire valoir leurs idées et reconnaître leurs revendications seront les plus déterminés idéologiquement, et donc que l’islamisme dans sa version politique sera plus présent et plus pressant dans un espace ouvert et légitimé par la parole présidentielle. La majorité de nos concitoyens de confession musulmane comme ceux de confession catholique ne souhaitant assurément pas qu’on les désigne publiquement en fonction de leur identité religieuse mais plutôt, conformément à la règle laïque, qu’on leur garantisse, comme citoyens, la liberté de croire et de vivre leur foi tranquillement, à l’abri des pressions communautaires et de toute forme d’extrémisme religieux ou politique.

On peut donc craindre que le pari présidentiel en forme de coup de billard à trois bandes qui entend déboucher sur un islam de France en accordant d’abord une attention et une place particulière à l’Église catholique ne soit rapidement condamné par les conditions et les formes mêmes de l’expression politique de la foi à l’âge identitaire."

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